La Machine

L’Ennemi est La Machine

« L’ennemi contre lequel nous lut­tons a plus d’un visage et porte plus d’un nom. C’est une mons­trueuse machine, aux rouages soi­gneu­se­ment cachés, une machine infer­nale à l’échelle du monde, une machine que nous devons enrayer avant qu’il ne soit trop tard ! »

Adrien Fores­tal à Jane Hun­ting­ton, lors de son admis­sion au Club

Plutôt que de vous infli­ger un indi­geste pensum théo­rique sur la Machine, ses objec­tifs, ses méthodes et ses acti­vi­tés, nous avons choisi de vous pré­sen­ter ces diverses infor­ma­tions sous la forme d’un échange de ques­tions-réponses entre une nou­velle recrue du Club et un de ses com­pa­gnons plus expé­ri­men­tés, les réponses de ce der­nier per­met­tant de dres­ser un bilan de ce que la plu­part des agents du Club savent (et ignorent encore) au sujet de leurs enne­mis. En marge du texte prin­ci­pal, vous trou­ve­rez des cita­tions, des pré­ci­sions et des ren­sei­gne­ments sup­plé­men­taires qui vous aide­ront, en tant que Chro­ni­queur, à com­plé­ter votre connais­sance de la Machine.

Qu’est ce exac­te­ment que la Machine ?

C’est un assem­blage com­plexe et hété­ro­clite de socié­tés plus ou moins secrètes, d’organisations scien­ti­fiques et de ligues cri­mi­nelles. Tous ces groupes sont appa­rem­ment indé­pen­dants les uns des autres, mais en réa­lité, leurs acti­vi­tés sont coor­don­nées et super­vi­sées par les sept membres du Sym­po­sium, avec pour objec­tif final de pré­pa­rer la future inva­sion de la Terre par les forces pro­mé­théennes, prévue pour l’an 1900.

Quel rôle ces dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions jouent-elles dans tout cela ?

Leur prin­ci­pale fonc­tion est de per­mettre au Sym­po­sium d’étendre son influence dans le monde entier, au sein des milieux les plus divers : ainsi, grâce à des groupes comme les Hérauts du Pro­grès ou les Conqué­rants de l’Air, les membres du Sym­po­sium tentent d’établir un contrôle total sur l’évolution de la tech­no­lo­gie ter­restre, tandis que des socié­tés comme le Stahl Kar­tell en Europe ou la Ven­ture Society aux États Unis leur per­mettent d’attirer dans leurs filets cer­tains des hommes les plus riches de la pla­nète : barons de la finance, empe­reurs de l’acier et autres princes de la mine et du rail.

Depuis quand la Machine est-elle active ?

Il est impos­sible de répondre avec pré­ci­sion à cette ques­tion. Nous croyons savoir que les Pro­mé­théens ont pris contact avec les futurs membres du Sym­po­sium pour la pre­mière fois vers 1880 et qu’à partir de là, les choses se sont struc­tu­rées pro­gres­si­ve­ment. Cer­taines orga­ni­sa­tions ont été créées de toutes pièces par les membres du Sym­po­sium : d’autres exis­taient bien avant sa fon­da­tion et ont été peu à peu ava­lées ou détour­nées par la Machine, sans que leurs membres en aient for­cé­ment conscience.

Concrè­te­ment, qui dirige quoi ?

En pra­tique, chaque membre du Sym­po­sium dirige en per­sonne, ou contrôle de façon plus indi­recte, trois ou quatre orga­ni­sa­tions, qui servent aussi bien ses propres inté­rêts que ceux du Sym­po­sium et des Pro­mé­théens. A quelques excep­tions près, cha­cune de ces orga­ni­sa­tions ignore l’existence des autres, et la plu­part des agents de la Machine sont bien loin de soup­çon­ner la véri­table nature des inté­rêts qu’ils servent… La Machine consti­tue donc une sorte d’immense réseau d’organisations soi­gneu­se­ment cloi­son­nées, où la mani­pu­la­tion, l’endoctrinement et la dés­in­for­ma­tion règnent en maîtres.

Com­ment s’appellent ces orga­ni­sa­tions ?

Pour le moment, nous en avons iden­ti­fié onze, mais nous sup­po­sons qu’il en existe davan­tage. Les onze que nous connais­sons sont :

Note : Ces onze groupes vous sont pré­sen­tés en détail un peu plus loin, ainsi que quelques autres dont le Club ne connaît pas encore l’existence… Seuls les orga­ni­sa­tions occi­den­tales ont été détaillées : celles qui dépendent du Russe Kry­len­kov et du Japo­nais Naka­mura vous seront pré­sen­tées dans un pro­chain sup­plé­ment.

De quelles res­sources spé­ciales les agents de la Machine dis­posent-ils ?

Sui­vant la fac­tion à laquelle ils appar­tiennent et l’importance des mis­sions qui leur sont confiées, les agents de la Machine ont accès à tout un arse­nal d’armes étranges et sophis­ti­quées, qui vont du pis­to­let à aiguille sopo­ri­fique au fusil dis­lo­ca­teur de matière en pas­sant par la bombe de gaz empoi­sonné. Cer­tains dis­posent éga­le­ment d’appareils de com­mu­ni­ca­tion à dis­tance extrê­me­ment sophis­ti­qués, les trans­met­teurs vocaux, qui fonc­tionnent un peu comme des télé­phones, mais sans fil ni opé­ra­trice ! Mieux encore, cer­tains de leurs ingé­nieurs sont capables de fabri­quer de véri­tables aéro­nefs à moteur, mais aussi des auto­mates capables d’imiter la vie humaine… sans parler de toutes les armes de des­truc­tion mas­sive et autres machines infer­nales conçues dans l’attente de la pro­chaine grande guerre. Évi­dem­ment, ils pré­fèrent garder toutes ces inven­tions secrètes afin d’en rester les seuls déten­teurs, un peu comme nous, du reste.

Jus­te­ment, d’où pro­vient cette incroyable tech­no­lo­gie ? A-t-elle la même ori­gine que celle dont nous dis­po­sons ?

Pas vrai­ment. Pour l’essentiel, ce sont les Pro­mé­théens qui ont révélé à leurs ser­vi­teurs du Sym­po­sium les connais­sances scien­ti­fiques néces­saires à la concep­tion et à la réa­li­sa­tion de toutes ces babioles : l’imagination d’Edison et consorts a fait le reste. Le prin­ci­pal point commun entre la tech­no­lo­gie secrète de la Machine et celle de nos Hor­lo­gers réside dans la source d’énergie uti­li­sée par les engins et les dis­po­si­tifs les plus puis­sants : le Vul­ca­nium, un mine­rai aux pro­prié­tés uniques, dont l’existence reste encore pour l’instant un secret bien gardé. Il semble que le Vul­ca­nium existe éga­le­ment sur Mars, la pla­nète d’origine des Pro­mé­théens. Sur Terre, il n’est pré­sent qu’en quan­ti­tés limi­tées, et la maî­trise de ces pré­cieux gise­ments consti­tue un des enjeux les plus immé­diats de la guerre que nous livrons à la Machine.

Qui sont les sept membres du Sym­po­sium ?

Le pro­fes­seur Bar­ry­more, que tout le monde croit mort, l’inventeur amé­ri­cain Thomas Edison, le finan­cier fran­çais Charles-André Béthan­court, le comte Fer­di­nand von Zep­pe­lin, le mathé­ma­ti­cien russe Sergei Kry­len­kov, l’ingénieur japo­nais Tada­shi Naka­mura et le doc­teur Gregor, un célèbre alié­niste pra­guois.

Com­ment les Pro­mé­théens les ont-ils choi­sis ?

Nous igno­rons pour l’instant la manière exacte dont les membres du Sym­po­sium ont été contac­tés mais il n’est pas très dif­fi­cile d’imaginer la façon dont les Pro­mé­théens les ont gagnés à leur cause. En échange de leurs bons et loyaux ser­vices, les Pro­mé­théens ont livré aux Sept cer­taines de leurs connais­sances scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques et leur ont garanti qu’ils consti­tue­raient la future oli­gar­chie ter­rienne, char­gée de toutes les média­tions entre une huma­nité réduite en escla­vage et ses nou­veaux sei­gneurs venus des étoiles. Mieux encore, ils leur ont mani­fes­te­ment fait miroi­ter la pos­si­bi­lité de deve­nir immor­tels, grâce aux secrets de leur pro­di­gieuse science. Savoir, pou­voir et éter­nité : c’est l’éternelle his­toire du doc­teur Faust…

En quoi consiste exac­te­ment la pré­pa­ra­tion de l’invasion pro­mé­théenne ?

Le pre­mier grand objec­tif de la stra­té­gie du Sym­po­sium consiste à pro­vo­quer avant la fin du siècle un conflit d’ampleur inter­na­tio­nale entre les grandes puis­sances du globe, afin d’éliminer une bonne partie de la popu­la­tion ter­restre, mais aussi de plon­ger les nations les plus puis­santes dans le chaos le plus com­plet. Ceci faci­li­te­rait consi­dé­ra­ble­ment la tâche des futurs enva­his­seurs pro­mé­théens, qui n’auraient alors qu’à prendre pos­ses­sion d’une pla­nète rava­gée, sans que ses habi­tants puissent leur oppo­ser la moindre résis­tance orga­ni­sée.

Et com­ment comptent-ils mener le monde à la guerre ?

Cer­tains agents de la Machine ont pré­ci­sé­ment pour mis­sion d’attiser les ten­sions déjà vives entre les grands Empires, afin de désta­bi­li­ser la paix pré­caire qui règne en Europe et d’allumer ainsi le foyer d’une Grande Guerre Mon­diale. C’est le rôle d’organisations comme le BRIC ou l’Abteilung, grâce aux­quelles le Sym­po­sium mani­pule et infiltre les milieux diplo­ma­tiques et mili­taires. Les membres du Sym­po­sium ont éga­le­ment pris soin d’établir une influence consi­dé­rable dans l’industrie de l’armement, et super­visent la mise au point d’armes de des­truc­tion mas­sive, afin que le futur conflit soit aussi meur­trière que pos­sible : canons sur­puis­sants, aéro­nefs de guerre et autres bombes volantes font partie du pro­gramme. Tout est prévu pour que cette guerre soit la der­nière de l’Histoire de l’Humanité…

Quel inté­rêt les membres du Sym­po­sium peuvent-ils avoir à déclen­cher une telle folie ?

En plus de son poten­tiel stric­te­ment des­truc­teur, qui sert les des­seins de leurs maîtres pro­mé­théens, cette Grande Guerre Mon­diale pour­rait éga­le­ment per­mettre aux membres du Sym­po­sium de conso­li­der leur pou­voir poli­tique per­son­nel, en s’érigeant en guides pro­vi­den­tiels d’une huma­nité déso­rien­tée, prête à embras­ser n’importe quel Ordre Nou­veau lui garan­tis­sant un avenir meilleur. Endoc­tri­née, enré­gi­men­tée et purgée de ses élé­ments réfrac­taires à l’accomplissement de sa des­ti­née, l’espèce humaine serait ainsi mieux à même d’accueillir ses nou­veaux maîtres venus des étoiles, sous la tutelle du Sym­po­sium, seule auto­rité humaine habi­li­tée à trai­ter avec les Pro­mé­théens.

Mais com­ment des êtres humains peuvent-ils ainsi pro­je­ter la des­truc­tion de notre monde ?

C’est une ques­tion que nous nous posons tous, à un moment ou à un autre de notre combat. A mon avis, les Sept ne se consi­dèrent ni comme des traîtres, ni comme des monstres, mais comme des élus, dont le destin est de guider l’humanité vers son futur. D’après ce que nous savons d’eux, tous sont des vision­naires, des esprits brillants, cer­tains de leur supé­rio­rité sur le commun des mor­tels : le fait d’avoir été spé­cia­le­ment choi­sis par les Pro­mé­théens n’a cer­tai­ne­ment pas arrangé leur folie des gran­deurs. Je pense que les membres du Sym­po­sium consi­dèrent l’invasion pro­mé­théenne comme un évé­ne­ment iné­luc­table, une fata­lité contre laquelle il est inutile de se révol­ter et qu’il faut accep­ter comme un fait établi : à partir de là, ils estiment très cer­tai­ne­ment être les mieux placés pour deve­nir les garants du futur de l’humanité en pac­ti­sant avec l’envahisseur. Si l’on suit cette vision des choses, un tel com­pro­mis sert à la fois leur propre soif de pou­voir, mais aussi l’intérêt géné­ral de l’espèce humaine…

Où se trouvent les quar­tiers géné­raux des membres du Sym­po­sium ?

Chacun des Sept pos­sède appa­rem­ment plu­sieurs places fortes. En ce qui concerne Edison, nous savons qu’il fait bâtir une véri­table cité ultra-moderne en plein désert de l’Arizona et qu’il pos­sède éga­le­ment une base secrète à New York, et peut-être même des bureaux à l’intérieur même de la tête de la Statue de la Liberté. Le comte von Zep­pe­lin quitte rare­ment son châ­teau de Koë­nig­sberg en Alle­magne, une for­te­resse qui cache sous ses allures médié­vales diverses ins­tal­la­tions aussi meur­trières que per­fec­tion­nées. Quant à Béthan­court, il vit à Paris, entouré d’une armada d’hommes de paille… et mieux pro­tégé qu’un pré­sident.

De quelle façon les membres du Sym­po­sium se concertent-ils ?

D’après ce que nous savons, ils ne se réunissent jamais, du moins phy­si­que­ment. Leurs assem­blées ont lieu par le biais de la trans­vi­sion, un sys­tème de com­mu­ni­ca­tion extrê­me­ment per­fec­tionné qui permet de parler à un inter­lo­cu­teur n’importe où dans le monde, tout en obser­vant son image sur une grande len­tille optique, un peu comme le « télé­phote » décrit par Jules Verne dans un de ses der­niers récits. Jusqu’ici, nos ten­ta­tives d’interception de ces mes­sages sonores et visuels ne per­mettent pas d’espionner leurs com­mu­ni­ca­tions de façon effi­cace, mais nos Hor­lo­gers y tra­vaillent d’arrache-pied.

Com­ment les Pro­mé­théens com­mu­niquent-ils avec le Sym­po­sium ?

Par le biais d’un sys­tème sur­puis­sant de trans­mis­sion de signaux sonores voya­geant à tra­vers l’éther entre la Terre et Mars. Les deux prin­ci­paux trans­met­teurs ter­restres se trouvent l’un à l’intérieur du flam­beau de la statue de la Liberté de New York, l’autre au sommet de la Tour Eiffel pari­sienne, inau­gu­rée pour l’Exposition Uni­ver­selle de 1889. Dans les deux cas, le tra­vail d’installation secrète a été super­visé par l’ingénieur fran­çais Gus­tave Eiffel, un membre haut placé de la loge des Nou­veaux Bâtis­seurs.

Puisque nous connais­sons Edison et von Zep­pe­lin, pour­quoi ne pas les éli­mi­ner ?

Pour plu­sieurs rai­sons, en fait. La pre­mière, et la plus évi­dente, c’est que ces deux per­sonnes ne sont pas des plus faciles à appro­cher et sont pro­té­gées en quasi-per­ma­nence. La seconde est qu’une telle action ne résou­drait rien, bien au contraire : la France aurait-elle évité la guerre avec l’Allemagne en 1870 si Bis­marck ou le Kaiser avait été assas­siné ? Cer­tai­ne­ment pas. Si nous nous en pre­nions direc­te­ment à Edison ou à von Zep­pe­lin, nous ris­que­rions de perdre toute chance d’identifier les autres membres du Sym­po­sium : pire encore, ces der­niers ris­que­raient d’oublier défi­ni­ti­ve­ment leurs riva­li­tés et d’unir toutes leurs res­sources contre nos propres forces, ce qui n’est évi­dem­ment pas sou­hai­table. Selon Nemo lui-même, l’élimination phy­sique des membres du Sym­po­sium ne sera envi­sa­geable que lorsqu’ils auront tous été iden­ti­fiés et que nous en connaî­trons encore davan­tage sur leurs pos­si­bi­li­tés d’action. Pour le moment, une telle ini­tia­tive serait aussi pré­ma­tu­rée qu’hasardeuse, et pour­rait com­pro­mettre très sérieu­se­ment notre stra­té­gie.

Quelle est la prin­ci­pale fai­blesse de la Machine ?

Para­doxa­le­ment, le grand point faible de la Machine est éga­le­ment ce qui fait sa force : l’étendue de son champ d’action, le cloi­son­ne­ment de ses dif­fé­rentes fac­tions, et la mani­pu­la­tion constante à laquelle sont soumis la plu­part de ses agents. Tout cela semble limi­ter consi­dé­ra­ble­ment la cir­cu­la­tion d’informations vitales (concer­nant, par exemple, nos propres acti­vi­tés) entre les dif­fé­rents pans de la Machine, comme nous avons pu le consta­ter plu­sieurs fois. Ce phé­no­mène tend éga­le­ment à confir­mer ce que nous subo­do­rons depuis long­temps, à savoir qu’il exis­te­rait cer­taines dis­sen­sions assez sérieuses au sein même du Sym­po­sium. Il semble en effet que ses dif­fé­rents membres aient beau­coup de mal à coopé­rer les uns avec les autres et ne soient pas par­ti­cu­liè­re­ment pres­sés d’avertir leurs homo­logues de leurs éven­tuels échecs. Nous cher­chons évi­dem­ment à en apprendre le plus pos­sible sur ces pro­bables riva­li­tés entre nos sept appren­tis maîtres du monde…

Et eux, que savent-ils exac­te­ment sur nous ?

Sui­vant l’organisation à laquelle ils appar­tiennent, les agents de la Machine nous voient tou­jours comme leur ennemi natu­rel : en inter­ro­geant de nom­breux pri­son­niers, nous nous sommes aper­çus qu’ils nous pre­naient géné­ra­le­ment pour des espions à la solde de l’Angleterre ou de l’Allemagne (s’ils étaient issus du BRIC) ou, au contraire, de la France (s’ils appar­te­naient à l’Abteilung), ou encore comme les membres d’une ligue cri­mi­nelle rivale (dans le cas de la Taren­tule); quant aux Hérauts du Pro­grès et aux nom­breux autres ser­vi­teurs de la Machine à voca­tion scien­ti­fique, ils pensent avoir affaire à des « apôtres de l’obscurantisme » ou aux tenants d’une vaste conspi­ra­tion visant à domi­ner le monde, ce qui donne une idée du degré de mani­pu­la­tion dont ils sont vic­times. Quant à leurs supé­rieurs du Sym­po­sium et à leurs col­la­bo­ra­teurs les plus proches, ils connaissent l’existence de Nemo, mais pos­sèdent très peu de ren­sei­gne­ments concrets sur nos res­sources, notre fonc­tion­ne­ment ou même nos moti­va­tions exactes. Il est même pos­sible qu’ils nous voient comme une sorte de Machine rivale qui leur dis­pu­te­rait la supré­ma­tie mon­diale et la faveur des Pro­mé­théens !

Mais nous, com­ment pou­vons-nous être aussi bien ren­sei­gnés sur leur compte ? Com­ment les Invi­sibles ont-ils pu apprendre l’existence des Pro­mé­théens ou même celle du Sym­po­sium ?

Là, tu m’en demandes trop. Seuls les Invi­sibles connaissent la réponse à ce genre de ques­tions…

Le brouillard de la guerre (secrète)

Comme on le voit dans cet entre­tien, les connais­sances du Club sur la Machine – bien qu’encore incom­plètes – sont à la fois suf­fi­sam­ment pré­cises et éten­dues pour per­mettre aux agents des Invi­sibles de mener une lutte effi­cace contre les ser­vi­teurs du Sym­po­sium. Pour le moment, le Club pos­sède une appré­ciable avance sur ses adver­saires : les membres et même les têtes pen­santes de la Machine ignorent encore beau­coup de choses sur les moyens, les res­sources et les inten­tions exactes du Club – pire (ou mieux ?) encore, cer­taines de leurs sup­po­si­tions sont tota­le­ment erro­nées. Vous trou­ve­rez ci-des­sous un bilan résumé des connais­sances actuelles des diri­geants du Sym­po­sium au sujet du Club. Pour savoir ce que savent (ou croient savoir) leurs agents et leurs pions, repor­tez-vous à la des­crip­tion détaillée des dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions qui com­posent la Machine.

Ce qu’ils savent déjà

Ce qu’ils aime­raient bien savoir

Ce qu’ils sup­posent

Obnu­bi­lés par la déser­tion de leur ancien confrère Ter­ra­nova, les membres du Sym­po­sium soup­çonnent for­te­ment ce der­nier de faire partie des Invi­sibles, voire d’être leur chef suprême, ce qui expli­que­rait à la fois l’extraordinaire tech­no­lo­gie dont dis­pose le Club et l’incroyable quan­tité d’informations que semblent pos­sé­der ses agents sur la Machine, le Sym­po­sium et les Pro­mé­théens : cette hypo­thèse, qui paraît être la seule expli­ca­tion logique à la situa­tion actuelle, a contri­bué à brouiller les pistes, en orien­tant les inves­ti­ga­tions du Sym­po­sium dans de mau­vaises direc­tions – plu­sieurs de ses membres sont ainsi per­sua­dés que l’Academia Meca­nica et le Club sont en réa­lité les deux faces de la même orga­ni­sa­tion, ce qui est tota­le­ment inexact. En revanche, les ren­sei­gne­ments du Club sur le Sym­po­sium et sa conspi­ra­tion pro­viennent effec­ti­ve­ment en grande partie du pro­fes­seur Ter­ra­nova — pour plus de détails à ce sujet, consul­tez les sec­tions sur l’histoire du Club et sur le « Mys­tère Ter­ra­nova ».

Histoire du Symposium et de la Machine

1877 : Premier contact avec les Prométhéens

Tout com­mença en février 1877, par la chute d’un mys­té­rieux météore dans les glaces de l’antarctique, non loin du pôle sud de notre pla­nète. Le météore en ques­tion n’avait rien d’un corps céleste natu­rel, puisqu’il s’agissait en réa­lité du pre­mier obus d’exploration envoyé sur la Terre par les Pro­mé­théens depuis leur cita­delle du Mont Olympe, point culmi­nant de la pla­nète Mars. A bord de l’obus se trou­vait une dou­zaine de Pro­mé­théens, tous char­gés d’étudier l’environnement ter­restre et sa popu­la­tion en vue d’une éven­tuelle colo­ni­sa­tion. Grâce à leur extra­or­di­naire tech­no­lo­gie, les explo­ra­teurs pro­mé­théens éta­blirent en peu de temps un pre­mier bas­tion près du pôle, soi­gneu­se­ment isolé et pro­tégé de toute intru­sion exté­rieure par de puis­sants champs magné­tiques. Aucun être humain ne se serait jamais douté de leur pré­sence si un brillant astro­nome anglais, le pro­fes­seur James H. Bar­ry­more, n’avait repéré le météore dans son téles­cope… Après avoir suivi avec atten­tion sa tra­jec­toire des plus inha­bi­tuelles, le pro­fes­seur par­vint à cal­cu­ler très pré­ci­sé­ment son point d’impact sur Terre. Sur­ex­cité par les pers­pec­tives scien­ti­fiques d’une telle décou­verte, Bar­ry­more réus­sit à convaincre ses confrères du très res­pec­table Ins­ti­tut Bain­bridge de mettre sur pied une expé­di­tion mari­time des­ti­née à étu­dier de plus près l’étrange aéro­lithe, sur les pro­prié­tés duquel le pro­fes­seur se per­dait déjà en conjec­tures. L’expédition fut orga­ni­sée avec une cer­taine dis­cré­tion car Bar­ry­more sou­hai­tait se réser­ver la pri­meur de sa décou­verte. Bar­ry­more et plu­sieurs émi­nents scien­ti­fiques s’embarquèrent donc à bord de l’Hibernia, solide navire ayant déjà connu les glaces des deux pôles. Au terme d’un long voyage, l’Hibernia arriva à des­ti­na­tion…

Ayant détecté l’approche de mys­té­rieux intrus, sans doute animés d’intentions hos­tiles, les Pro­mé­théens du pôle réagirent avec la froide bru­ta­lité carac­té­ris­tique de leur espèce et envoyèrent l’Hibernia par le fond en quelques salves de canon dis­lo­ca­teur. Seuls sur­vé­curent quelques scien­ti­fiques et hommes d’équipage qui avaient quitté le navire quelques heures plus tôt à bord d’une cha­loupe dans le but d’explorer la zone d’impact sup­po­sée. Hor­ri­fiés, ils assis­tèrent impuis­sants à la des­truc­tion du navire avant d’être cap­tu­rés par des Pro­mé­théens curieux d’en apprendre plus sur les étranges habi­tants de ce monde inconnu. Au cours des mois qui sui­virent, les sur­vi­vants du nau­frage furent soumis à d’innombrables tests scien­ti­fiques des­ti­nés à défi­nir les carac­té­ris­tiques phy­sio­lo­giques et psy­cho­lo­giques de l’espèce humaine. Au terme de ses tests, les Pro­mé­théens éli­mi­nèrent pure­ment et sim­ple­ment les mal­heu­reux spé­ci­mens, à l’exception de Bar­ry­more, dont l’extraordinaire intel­li­gence et les connais­sances avan­cées en mathé­ma­tique et en phy­sique avaient retenu toute leur atten­tion. Ils gar­dèrent donc Bar­ry­more à leurs côtés dans leur base polaire (une étrange cita­delle de forme pyra­mi­dale), sou­met­tant leur « fidèle créa­ture infé­rieure » à de nou­veaux tests d’apprentissage, qui eurent pour effet de le faire défi­ni­ti­ve­ment som­brer dans la démence tout en le fami­lia­ri­sant avec la nature, le savoir et la men­ta­lité de ses nou­veaux maîtres. De son côté, le savant four­nit aux Pro­mé­théens une extra­or­di­naire masse de ren­sei­gne­ments bio­lo­giques, his­to­riques, géo­gra­phiques et poli­tiques sur la race humaine, per­met­tant aux créa­tures venues de Mars de dis­po­ser de connais­sances géné­rales très com­plètes sur notre pla­nète et sur notre espèce. Pen­dant ce temps, le monde appre­nait la dis­pa­ri­tion de l’Hibernia et de tous ses pas­sa­gers dans les glaces de l’antarctique… La triste nou­velle fit la une des quo­ti­diens pen­dant quelques jours, avant d’être relé­guée au second plan par les exi­gences de l’actualité. Aujourd’hui, en 1890, le désastre de l’Hibernia est une vieille his­toire qui n’intéresse plus grand monde…

1879 : Genèse du Symposium

Très vite, et devant les brillants résul­tats obte­nus avec Bar­ry­more, les Pro­mé­théens du Pôle furent char­gés par leurs maîtres de recueillir encore plus de don­nées sur les Ter­riens et d’établir avec « les plus avan­cés d’entre eux » un pro­to­cole secret basé sur un échange soi­gneu­se­ment contrôlé d’informations et de connais­sances scien­ti­fiques. Ne pou­vant agir au grand jour, ils choi­sirent d’utiliser le Pro­fes­seur comme inter­mé­diaire et lui don­nèrent comme mis­sion de créer un réseau d’influence regrou­pant les plus brillants cer­veaux de la pla­nète. Offi­ciel­le­ment porté dis­paru, Bar­ry­more rega­gna l’Angleterre sous une fausse iden­tité, à bord d’une cap­sule sub­mer­sible de fac­ture pro­mé­théenne. Désor­mais entiè­re­ment dévoué à ses nou­veaux maîtres (et irré­mé­dia­ble­ment dérangé), le Pro­fes­seur s’attela dans l’ombre à la glo­rieuse tâche qui lui avait été confiée : il lui fal­lait réunir les futurs bâtis­seurs de la pro­chaine ère ter­restre, une ère où la Science et l’Ordre triom­phe­raient enfin sous l’égide des tout-puis­sants Pro­mé­théens… Un soir his­to­rique d’octobre 1879, Bar­ry­more exposa l’incroyable vérité aux pro­fes­seurs Kry­len­kov et Ter­ra­nova, deux hommes qu’il consi­dé­rait comme ses égaux sur le plan scien­ti­fique et intel­lec­tuel : d’omniscientes et omni­po­tentes enti­tés venues de Mars se pro­po­saient de guider les habi­tants de la Terre vers un nouvel Age d’Or et l’avaient choisi, lui, James H. Bar­ry­more, pour être le pre­mier de leurs glo­rieux ser­vi­teurs. Les deux hommes firent évi­dem­ment montre du plus vif scep­ti­cisme, jusqu’à ce que leur col­lègue leur pré­sente plu­sieurs arte­facts et sché­mas tech­niques d’origine pro­mé­théenne. Face à ces preuves tan­gibles de l’existence d’une civi­li­sa­tion extra-ter­restre dotée d’un savoir scien­ti­fique lar­ge­ment supé­rieur à celui de l’humanité, Kry­len­kov et Ter­ra­nova durent se rendre à l’évidence : Bar­ry­more, qu’ils avaient cru dément, disait bien la vérité. Après leur avoir fait jurer de ne rien divul­guer à qui que ce soit, Bar­ry­more pro­posa aux deux hommes de l’accompagner jusqu’à ce qu’il appe­lait « la Pyra­mide du Pôle », pour y ren­con­trer de visu les mys­té­rieuses enti­tés.

Quelques semaines plus tard, après moult dis­cus­sions, Kry­len­kov, Ter­ra­nova et Bar­ry­more embar­quèrent dans le plus grand secret à bord de la cap­sule sub­mer­sible avec pour des­ti­na­tion le conti­nent antarc­tique. Là, au terme d’un long voyage, ils furent enfin mis en pré­sence des Pro­mé­théens. Ter­ra­nova et Kry­len­kov séjour­nèrent à la Pyra­mide pen­dant près d’un mois, par­ta­geant les pro­di­gieuses connais­sances scien­ti­fiques et tech­niques de leurs hôtes. A leur retour, émer­veillés et fas­ci­nés, ils déci­dèrent de tout mettre en œuvre pour pré­pa­rer l’Humanité à la Grande Révé­la­tion : aveu­glé par son maté­ria­lisme mes­quin, pri­son­nier de pré­ju­gés issus de son igno­rance crasse, le commun des mor­tels n’était pas encore prêt à accep­ter l’existence d’entités supé­rieures dési­reuses de guider sa des­ti­née vers un âge de pro­grès et d’harmonie ; il fal­lait d’abord édu­quer les esprits, éveiller les consciences et, pour cela, contrô­ler les rouages de la société – à l’insu de l’espèce humaine, certes, mais pour son plus grand bien. Le Sym­po­sium était né.

1880 : Naissance de la Machine

Sur Mars, l’épuisement pro­gres­sif des res­sources natu­relles deve­nait une réelle menace pour la survie des Pro­mé­théens en tant qu’espèce. Les pré­dic­tions les plus pes­si­mistes sem­blaient se réa­li­ser et même les plus scep­tiques durent bien­tôt se rendre à l’évidence : la pla­nète rouge se mou­rait, vic­time d’un lent pro­ces­sus de désa­gré­ga­tion éco­lo­gique amorcé deux mil­lé­naires plus tôt lors de la grande guerre entre les Anciens de Mars et leurs suc­ces­seurs pro­mé­théens. Confron­tés à la pers­pec­tive de leur extinc­tion, les Pro­mé­théens déci­dèrent bien­tôt de quit­ter leur monde ago­ni­sant pour colo­ni­ser la Terre… Grâce aux résul­tats des expé­riences opé­rées par leurs explo­ra­teurs ter­restres et aux pré­cieuses don­nées four­nies par Bar­ry­more, les diri­geants pro­mé­théens purent rapi­de­ment mettre au point leur grand pro­gramme d’exode et d’invasion, pro­gramme dont le bas­tion du pôle Sud consti­tuait désor­mais l’avant-poste. De simples obser­va­teurs scien­ti­fiques, les Pro­mé­théens du Pôle se trou­vèrent bien­tôt char­gés d’organiser sur Terre les pré­pa­ra­tifs de la future conquête, avec l’aide de leurs contacts humains. Bien évi­dem­ment, ils se gar­dèrent bien de révé­ler leurs véri­tables des­seins à leurs pré­cieux agents du Sym­po­sium, auprès des­quels ils conti­nuèrent à jouer le rôle de puis­sances cos­miques énig­ma­tiques mais bien­veillantes.

Des trois membres fon­da­teurs du Sym­po­sium, Bar­ry­more fut sans doute le plus actif. Après avoir secrè­te­ment pris le contrôle de l’Institut Bain­bridge, qui lui per­met­tait d’exercer une influence consi­dé­rable au sein des milieux scien­ti­fiques anglais, le Pro­fes­seur s’attela à la créa­tion du Coun­cil Extra­or­di­naire, cabale poli­tico-finan­cière des­ti­née à deve­nir le gou­ver­ne­ment secret de l’Empire bri­tan­nique. Dési­reux d’étendre son influence occulte sur le conti­nent et à tra­vers les colo­nies des autres puis­sances euro­péennes, il entra en contact avec le richis­sime indus­triel et spé­cu­la­teur fran­çais Charles-André Béthan­court, qui devint bien­tôt le qua­trième homme du Sym­po­sium. Ensemble, Bar­ry­more et Béthan­court mirent sur pied la pros­pec­tion, l’exploitation et le contrôle des gise­ments ter­restres de Vul­ca­nium par l’intermédiaire de diverses com­pa­gnies minières. Dans le même temps, Ter­ra­nova pro­posa d’accueillir au sein du petit conclave le brillant inven­teur amé­ri­cain Thomas Edison, dont il avait suivi les tra­vaux avec grand inté­rêt. Déjà célèbre et doté de cet esprit d’entreprise typi­que­ment amé­ri­cain, Edison fut spé­cia­le­ment chargé d’étendre l’influence du Sym­po­sium aux États Unis, par l’intermédiaire d’organisations comme la Ligue des Inven­teurs ou la fra­ter­nité secrète des Hérauts du Pro­grès. Peu à peu, la Machine pre­nait forme. Bien­tôt, les pre­mières dis­sen­sions sérieuses appa­rurent au sein du Sym­po­sium, prin­ci­pa­le­ment à cause de l’ambition et du carac­tère très indé­pen­dant d’Edison. En ren­for­çant ses liens avec Béthan­court, l’inventeur amé­ri­cain s’attira tout d’abord l’inimitié de Bar­ry­more, obsédé par ses pré­ro­ga­tives de fon­da­teur et d’interlocuteur pri­vi­lé­gié des Pro­mé­théens. De son côté, Kry­len­kov se mit à repro­cher ouver­te­ment à Edison de vou­loir uti­li­ser le savoir pro­mé­théen pour son seul profit per­son­nel. Quant à Ter­ra­nova, l’avidité et l’arrogance qu’il décou­vrait chez son dis­ciple l’amenèrent à s’interroger sur l’avenir du Sym­po­sium, dont les objec­tifs lui sem­blaient de plus en plus éloi­gnés de la grande cause de la Science et du Pro­grès… 

1883 : Clarification des objectifs

Pen­dant ce temps, sur la pla­nète rouge, alors que s’organisait la grande migra­tion, les immenses forges pro­mé­théennes don­naient nais­sance aux gigan­tesques vais­seaux-obus et aux engins de mort des­ti­nés à semer le chaos et la ruine sur notre monde. La posi­tion des stra­tèges pro­mé­théens était claire : la conquête rapide et totale de la Terre se trou­ve­rait gran­de­ment faci­li­tée si ses habi­tants s’étaient préa­la­ble­ment entre-mas­sa­crés dans un conflit d’ampleur pla­né­taire. Il fut donc décidé qu’une guerre mon­diale aurait lieu sur Terre avant son inva­sion défi­ni­tive et que le Sym­po­sium serait l’instrument de son déclen­che­ment. Au début de 1883, les Pro­mé­théens du Pôle réunirent les cinq membres du Sym­po­sium pour leur révé­ler la ter­rible nou­velle : grâce à leurs extra­or­di­naires facul­tés d’analyse et aux infor­ma­tions four­nies par leurs pré­cieux cor­res­pon­dants humains, les esprits vision­naires qui diri­geaient la civi­li­sa­tion pro­mé­théenne étaient arri­vés à la conclu­sion qu’une guerre géné­ra­li­sée entre les habi­tants de la Terre était mal­heu­reu­se­ment inévi­table. Il ne s’agissait pas d’une éven­tua­lité, mais d’une cer­ti­tude scien­ti­fique : avant la fin du siècle, les grands empires de la Terre s’affronteraient en un conflit aussi meur­trier qu’absurde, un conflit qui rava­ge­rait la pla­nète et qui com­pro­met­tait gra­ve­ment l’avènement de cette ère de pro­grès pour laquelle Pro­mé­théens et membres du Sym­po­sium avaient si géné­reu­se­ment œuvré durant les cinq der­nières années… 

Il sub­sis­tait tou­te­fois un espoir, une ultime chance pour que l’Humanité puisse malgré tout accé­der à ce nouvel âge d’or et décou­vrir enfin l’existence de ses bien­veillants guides : s’il était désor­mais impos­sible d’empêcher cette guerre inévi­table, peut-être pou­vait-on espé­rer qu’elle consti­tue­rait au moins une leçon pro­fi­table pour l’espèce humaine, une sorte d’ordalie dont elle sor­ti­rait meur­trie mais assa­gie, fina­le­ment ren­for­cée par la ter­rible épreuve. Ayant pris conscience de sa place dans l’univers, elle pour­rait enfin accé­der à la révé­la­tion suprême et par­ta­ger l’extraordinaire sagesse des Pro­mé­théens. Compte tenu du carac­tère iné­luc­table des évé­ne­ments, la seule manière de les maî­tri­ser consis­tait non seule­ment à les pré­voir mais encore à les pro­vo­quer : ainsi pour­rait-on contrô­ler le dérou­le­ment du conflit, depuis son déclen­che­ment jusqu’à sa conclu­sion, et ce, comme tou­jours, pour le plus grand bien de l’humanité. Loin d’être un obs­tacle à leur sublime des­sein, cette guerre ferait des membres du Sym­po­sium les bâtis­seurs d’une nou­velle ère placée sous le signe de la Science et suprêmes média­teurs entre les humains et les Pro­mé­théens : tout bien consi­déré, la future guerre mon­diale était une chance ines­pé­rée pour l’Homme…

Parmi les cinq maîtres de la Machine, seul Ter­ra­nova fut véri­ta­ble­ment ter­ri­fié par ce dis­cours, dont les impli­ca­tions dépas­saient ses pires craintes : les Pro­mé­théens n’étaient venus sur Terre que pour asser­vir ou anéan­tir l’Humanité, et le Sym­po­sium avait été l’instrument dévoué de leurs sinistres des­seins… Quant aux quatre autres, chacun d’entre eux accueillit la nou­velle de façon dif­fé­rente, mais aucun ne songea un seul ins­tant à briser le pacte qui les liaient aux Pro­mé­théens et tous acce­ptèrent de conti­nuer à servir leurs pro­jets : Bar­ry­more était guidé par sa folie, Kry­len­kov par son aveu­gle­ment, Béthan­court par sa cupi­dité et Edison par son ambi­tion. Com­pre­nant qu’un refus met­trait sa vie en péril, Ter­ra­nova fei­gnit de se sou­mettre à la déci­sion géné­rale… avant de s’évanouir dans la nature dès son retour en Europe. A partir de cette date, son his­toire et celle du Sym­po­sium sui­virent des routes sépa­rées (voir Le Mys­tère Ter­ra­nova). Les quatre autres membres assi­mi­lèrent son départ à une tra­hi­son, et mirent tout en œuvre pour retrou­ver sa trace, crai­gnant qu’il ne divulgue aux yeux du monde l’existence et les pro­jets de leur auguste assem­blée : ils infil­trèrent notam­ment de nom­breux espions et infor­ma­teurs au sein de l’Academia Meca­nica, pen­sant ainsi décou­vrir la cachette et les inten­tions exactes de leur ancien confrère.

1884–1887 : Le compte à rebours commence

La défec­tion de Ter­ra­nova ne modi­fia en rien la stra­té­gie glo­bale du Sym­po­sium, qui s’attela avec ardeur à sa nou­velle mis­sion : déclen­cher une gigan­tesque guerre mon­diale avant 1899. Sur un plan stric­te­ment poli­tique, il fut décidé de tout mettre en œuvre pour désta­bi­li­ser l équi­libre pré­caire exis­tant entre les grandes puis­sances euro­péennes (la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Empire Austro-Hon­grois, la Russie) et pour encou­ra­ger l’expansionnisme de jeunes nations entre­pre­nantes et ambi­tieuses, comme les États Unis ou le nou­veau Japon. D’un point de vue plus tech­nique, les armées des futurs bel­li­gé­rants devaient abso­lu­ment être dotées d’un arse­nal suf­fi­sam­ment per­fec­tionné pour assu­rer une des­truc­tion mas­sive des grands centres de popu­la­tion – arse­nal dont la concep­tion et la pro­duc­tion seraient évi­dem­ment tota­le­ment contrô­lées par le Sym­po­sium, qui se dote­rait lui-même d’un arme­ment encore plus puis­sant et sophis­ti­qué, afin d’assurer sa propre sécu­rité et de parer à toute éven­tua­lité.

Pour mener à bien ces tâches tita­nesques, le Sym­po­sium accueillit dans ses rangs deux nou­veaux membres, répu­tés pour leurs tra­vaux en matière d’armement et de tech­no­lo­gie mili­taire : l’Allemand Fer­di­nand von Zep­pe­lin, par­rainé par Bar­ry­more, et le Japo­nais Naka­mura, contacté par Edison. La Machine s’enrichit bien­tôt de nou­veaux rouages, tous appe­lés à jouer un rôle dans la pré­pa­ra­tion de la grande guerre : les Conqué­rants de l’Air et les Nou­veaux Bâtis­seurs, l’Abteilung et le BRIC, la Ven­ture Society et le Stahl Kar­tell… 

Grâce à son dyna­misme et à son sens de la mani­pu­la­tion, Edison par­vint peu à peu à sup­plan­ter Bar­ry­more auprès de leurs maîtres extra-ter­restres, deve­nant ainsi l’interlocuteur pri­vi­lé­gié des Pro­mé­théens. Cette prise de pou­voir feu­trée fut gran­de­ment faci­li­tée par le sou­tien de Béthan­court et l’indifférence affi­chée de Naka­mura et Zep­pe­lin pour les luttes de pou­voir internes. Ainsi Edison se vit-il confier la direc­tion d’un projet de la plus haute impor­tance, qu’il super­visa avec l’aide de l’ingénieur fran­çais Gus­tave Eiffel, membre émi­nent des Nou­veaux Bâtis­seurs : la construc­tion de deux gigan­tesques antennes de trans­mis­sion (une en Amé­rique et l’autre en Europe) per­met­tant des com­mu­ni­ca­tions directes avec les Pro­mé­théens de Mars. La pre­mière fut ins­tal­lée à l’intérieur du flam­beau de la Statue de la Liberté du port de New York (dont Eiffel avait conçu l’armature métal­lique), la seconde au sommet de la fameuse Tour Eiffel pari­sienne, construite à l’origine pour l’Exposition Uni­ver­selle de 1889.

1887 : Entrée dans la Guerre Secrète

Jusqu’à cette date, le Sym­po­sium igno­rait tout de l’existence et des objec­tifs du Club. Certes, quelques signes avant-cou­reurs (pro­jets mys­té­rieu­se­ment sabo­tés, dis­pa­ri­tion de scien­ti­fiques en voie de recru­te­ment, etc.) avaient éveillé leur méfiance, mais tous avaient attri­bué ces vicis­si­tudes aux efforts de Ter­ra­nova, seul humain capable à leurs yeux de s’opposer ainsi à leur volonté secrète. Tout chan­gea lorsque l’Abteilung cap­tura trois « espions anglais » infil­trés dans l’entourage du Comte von Zep­pe­lin, espions qui, après avoir été hor­ri­ble­ment tor­tu­rés, livrèrent un bien étrange récit aux agents alle­mands : ils ne tra­vaillaient ni pour le Foreign Office ni pour aucun autre dépar­te­ment des ser­vices secrets de Sa Majesté Vic­to­ria, mais pour une mys­té­rieuse orga­ni­sa­tion répon­dant sim­ple­ment au nom de « Club », dont la mis­sion était de contre­car­rer à tout prix les pro­jets de per­son­nages appa­rem­ment aussi dis­pa­rates que le comte von Zep­pe­lin, le finan­cier Béthan­court et l’inventeur Edison. Plus étrange encore, les trois pri­son­niers étaient équi­pés de sin­gu­liers pis­to­lets pro­dui­sant des décharges élec­triques (les Etour­dis­seurs) et de divers petits appa­reils hau­te­ment sophis­ti­qués : ils ne repé­rèrent tou­te­fois pas les Syn­chro­ni­sa­teurs, grâce aux­quels les agents cap­tu­rés purent donner l’alerte à leurs supé­rieurs.

Extrê­me­ment inter­lo­qués, les agents de l’Abteilung avi­sèrent aus­si­tôt leurs supé­rieurs, qui trans­mirent ensuite l’information à Zep­pe­lin lui-même. Le Comte dut se rendre à la seule conclu­sion pos­sible : il exis­tait un groupe secret struc­turé et orga­nisé, connais­sant l’existence du Sym­po­sium et cher­chant à mettre leurs pro­jets en échec. Il ne put cepen­dant en apprendre davan­tage, car les trois pri­son­niers furent arra­chés à leurs geô­liers par une espionne du Club, infil­trée dans l’entourage direct du Comte (pour plus de détails à ce sujet, voir le por­trait d’Apollonia, dans la sec­tion sur les Invi­sibles).

Suite à « l’incident de Koë­nig­sberg », Zep­pe­lin orga­nisa une grande confé­rence stra­té­gique avec les cinq autres membres du Sym­po­sium, confé­rence qui marqua une étape déci­sive dans le dérou­le­ment de la Guerre Secrète et qui abou­tit à la créa­tion ou à la restruc­tu­ra­tion de plu­sieurs orga­ni­sa­tions spé­cia­le­ment char­gées de lutter contre le mys­té­rieux adver­saire : Bar­ry­more char­gea cer­tains membres de son Coun­cil Extra­or­di­naire de remon­ter la piste de ces vrais-faux agents bri­tan­niques et mit en place, avec l’aide de Kry­len­kov, la redou­table Liste Noire, tandis qu’Edison don­nait une nou­velle orien­ta­tion à la grande mis­sion des Hérauts du Pro­grès en leur révé­lant l’existence du Grand Com­plot Obs­cu­ran­tiste… 

1887 marqua un autre tour­nant dans l’histoire du Sym­po­sium, avec le recru­te­ment de son sep­tième et der­nier membre : le ter­ri­fiant doc­teur Gregor. A l’origine, les Pro­mé­théens avaient ordonné à leur fidèle ser­vi­teur Bar­ry­more d’accueillir au sein de l’assemblée un indi­vidu devant être choisi selon des cri­tères très précis : l’homme devait être un scien­ti­fique expert en méde­cine, plus par­ti­cu­liè­re­ment versé dans l’étude de l’esprit humain – dont de nom­breux aspects demeu­raient énig­ma­tiques aux yeux des enti­tés venues de Mars. Le Pro­fes­seur se pencha sur le cas du doc­teur Gregor, alié­niste pra­guois aux méthodes fort contro­ver­sées dont les récents tra­vaux sur la « méca­nique céré­brale humaine » avaient fait l’objet de cri­tiques véhé­mentes au sein de l’establishment médi­cal – fait que Bar­ry­more inter­préta aus­si­tôt comme un pré­sage favo­rable : après tout, les véri­tables génies n’étaient-ils pas condam­nés par leur condi­tion même à subir l’incompréhension et la jalou­sie des médiocres, comme il en avait lui-même fait l’expérience au début de sa car­rière uni­ver­si­taire ? L’accueil réservé à ces tra­vaux ne prou­vait-il pas que Gregor fai­sait jus­te­ment partie de ces pré­cur­seurs mécon­nus, seuls capables d’appréhender à sa juste valeur le mes­sage des Pro­mé­théens ?

Bar­ry­more se rendit donc per­son­nel­le­ment à Prague pour y ren­con­trer l’aliéniste : au bout de quelques heures d’entretien, il appa­rut au Pro­fes­seur qu’il avait effec­ti­ve­ment trouvé le can­di­dat idéal, suf­fi­sam­ment ambi­tieux (méga­lo­mane) et ouvert d’esprit (tota­le­ment dérangé) pour rejoindre les rangs du Sym­po­sium, désor­mais au com­plet… Durant les trois ans qui sui­virent, les membres du Sym­po­sium s’employèrent à pour­suivre leurs mul­tiples objec­tifs, ser­vant les des­seins de leurs maîtres pro­mé­théens tout en œuvrant aux recherches, aux intrigues et aux machi­na­tions des­ti­nées à faire d’eux les maîtres du siècle à venir…

Nous sommes désor­mais en 1890, à dix ans de cette échéance fati­dique.


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