Mystères & Révélations

La Vérité est ici
Au premier abord, le thème central d’Uchronia peut sembler assez simple : une histoire somme toute classique de conspiration, avec une éventuelle invasion extraterrestre à la clé, le tout saupoudré d’une bonne dose de machines bizarres et d’une pincée de pouvoirs psychiques pour faire bonne mesure… bref, une sorte de X-Files à la sauce victorienne. Les choses sont (mal)heureusement loin d’être aussi simples, car la Guerre Secrète dans laquelle les héros vont se retrouver impliqués résulte en réalité d’événements plutôt complexes, faisant intervenir, entre autres, une machine à remonter le temps, les secrets oubliés d’Atlantis, des voyageurs venus du futur et une mystérieuse race d’humanoïdes amphibiens…
Tôt ou tard, les agents du Club se posent certaines questions… D’où vient cette étrange prescience que les Invisibles semblent parfois posséder concernant des événements a priori impossibles à prévoir ? Et comment les Invisibles peuvent-ils connaître l’existence des Prométhéens, alors que la grande majorité des membres de la Machine semble tout ignorer à ce sujet ? Si la Machine profite des fabuleuses connaissances scientifiques des Prométhéens, d’où peut donc provenir l’extraordinaire technologie employée par les agents du Club ? Comment a-t-on pu concevoir des merveilles comme les logigraphes ou les synchronisateurs quand la plupart des savants commençaient à peine à découvrir les applications de l’électricité ? Et si le Club n’existe que pour contrecarrer les plans de la Machine, comment se fait-il qu’il ait été créé plus de dix ans avant son organisation adverse ? Lorsque des questions de ce genre commencent à se faire jour dans l’esprit des héros, il est temps pour eux de découvrir un des plus grands secrets de l’univers d’Uchronia.
Première Partie : Le Temps, l’Esprit et la Quatrième Dimension
L’Effet Widdershin
L’Effet Widdershin ou « La Véritable Odyssée du Capitaine Nemo ».
Widdershin : adverbe anglais signifiant « dans le sens contraire des aiguilles d’une montre ».
Note Importante A priori, seuls les Invisibles et quelques agents privilégiés connaissent en détail les faits exposés ci-dessous… Quant aux serviteurs des Prométhéens, aucun d’entre eux, même au sein du Symposium, n’en sait assez pour pouvoir soupçonner l’insoupçonnable… du moins pour le moment, car les récentes découvertes du Professeur Barrymore sur l’Espace-Temps et la Quatrième Dimension pourraient bien le mettre sur la voie. Le Chroniqueur devra gérer comme il l’entend la découverte des détails du Projet Widdershin et de ses conséquences par les héros du Feuilleton. Quelle que soit la méthode adoptée, le récit qui suit ne devra en aucun cas être communiqué tel quel aux joueurs : il est nettement préférable plus intéressant de laisser les joueurs échafauder leurs théories, en leur offrant d’un Épisode à l’autre quelques indices susceptibles de les faire avancer dans leurs conjectures…
Tout commence dans le futur, en l’an 1899, sur une Terre ravagée par trois années d’une guerre aussi stérile que meurtrière. Un brillant ingénieur, que nous appellerons le Voyageur, supervise dans le plus grand secret les dernières étapes de la construction d’un sous-marin ultra-perfectionné, le Nautilus. Pacifiste convaincu, le Voyageur a refusé de livrer les plans du Nautilus aux dirigeants de son pays – ou à qui que ce soit d’autre – de peur de voir son invention, destinée à l’exploration des océans, transformée en redoutable outil de destruction… Avec quelques autres idéalistes, il a vainement tenté d’enrayer la course à la guerre en faisant appel à la conscience des chefs des grandes nations civilisées, en pure perte. Aussi, après avoir épuisé ses dernières réserves d’espoir et de foi en l’homme, a-t-il finalement décidé d’abandonner le monde à son sort et de s’embarquer à bord du Nautilus, avec son épouse, ses enfants et quelques uns de leurs amis, afin de rallier les îles du nord de l’Ecosse, encore épargnées par la guerre. Pour ce faire, il a réuni un équipage composé de marins et de mécaniciens de différentes nationalités, d’une compétence et d’une loyauté éprouvées. Le périple ne sera pas exempt de dangers, car le fond des mers est devenu, lui aussi, un gigantesque champ de bataille, mais le Nautilus est un bâtiment unique, capable de battre à la course n’importe quel autre submersible… et armé de puissantes torpilles vulcaniques, que le Voyageur s’est résolu à installer afin de pouvoir se défendre en cas d’attaque : désormais, préserver la vie des siens est tout ce qui lui importe. Quelques jours avant la date prévue pour le grand départ, la guerre se charge de rattraper le Voyageur : la ville où séjournait sa famille est rayée de la carte par un bombardement massif d’obus au Vulcanium. Plusieurs centaines de milliers d’êtres humains périssent dans le feu écarlate, parmi lesquels la femme et les enfants du Voyageur. Brisé par cette ultime tragédie, il songe à se suicider, mais la colère l’emporte bientôt sur le chagrin et le Voyageur décide de vivre pour venger les siens et toutes les autres victimes innocentes de cette guerre absurde. Avec un équipage réduit, il s’embarque à bord du Nautilus – mais avec un but bien différent de ceux qui l’animaient jusqu’alors : faire la guerre à la guerre sous son propre pavillon et en son seul nom, celui d’un homme qui a tout perdu et ne désire plus que l’oubli. Il prend alors le nom de Nemo (« personne »), en signe du sacrifice de son identité. Commence alors une campagne de plusieurs mois, au cours de laquelle le Nautilus envoie par le fond un grand nombre de navires de guerre et de submersibles militaires, sans distinction de nationalité, semant la panique sur son sillage…
Puis, en 1900, l’impensable survient : la Terre est envahie par les Prométhéens. Affaiblies et divisées par la Grande Guerre, les nations du globe n’opposent qu’une résistance dérisoire aux entités venues de Mars, qui colonisent en quelques mois la quasi-totalité de la planète, exterminant sans pitié ses derniers défenseurs et réduisant les populations terrifiées à l’état de bétail humain. Depuis sa cabine du Nautilus, le Voyageur assiste, frappé d’horreur, à l’irrémédiable destruction de ce monde qui a été le sien et qu’il aurait tant voulu sauver, en dépit de la folie des hommes et sa propre soif de vengeance. A présent, tout est terminé : la Terre n’est plus qu’un champ de ruines, et l’humanité une espèce asservie, condamnée à une irrémédiable soumission. Seul le fond des mers demeure encore hors de portée des nouveaux maîtres de la Terre – mais pour combien de temps ? Conscients que leur survie n’est qu’une rémission temporaire, Nemo et son équipage décident de faire descendre le Nautilus à des profondeurs encore jamais atteintes, quitte à ce que l’océan devienne leur tombeau. C’est par un jour de février 1901, au cours de ce qui devait être la dernière plongée du Nautilus, que le capitaine et son équipage font une rencontre qui sauvera leur vie et la changera à jamais : celle de mystérieux hommes-dauphins, que l’un d’eux baptise Selkies en souvenir des légendes de sa contrée natale. Amicaux et bienveillants, les êtres établissent rapidement un premier contact télépathique avec le Voyageur et ses hommes. Comme le Voyageur le découvrira plus tard, son arrivée dans le monde des Selkies correspond pour ces derniers à l’accomplissement d’une prophétie immémoriale : pour ces habitants du fond des mers, Nemo est « le dernier sage de la surface », destiné à guider leur peuple vers une nouvelle ère. Bouleversés et émerveillés par l’incroyable découverte, les passagers du Nautilus se laissent guider par les Selkies jusqu’à un lieu qu’aucun homme n’a jamais contemplé auparavant : les ruines d’un Sanctuaire de l’antique Atlantide, noyées sous les eaux depuis des millénaires. Là, avec l’aide des Selkies, le Voyageur exhume un fabuleux trésor : plusieurs dizaines de cylindres, chargés de quelques pans de la mémoire et de la science des Atlantes, ainsi que l’étrange machine permettant de les lire…
Grâce à ses connaissances exceptionnelles en mathématique et à un esprit analytique particulièrement aiguisé, Nemo parvient à décrypter le fonctionnement de l’extraordinaire machine, laquelle lui dévoile bientôt les prodigieuses possibilités de l’ancienne science des Atlantes…
Note Cette fabuleuse machine deviendra « l’orgue » du Nautilus. Pour plus de détails sur son fonctionnement, reportez-vous à la section Equipement et Technologie.
Mais son exaltation se teinte bientôt de désespoir : à quoi bon disposer d’un tel savoir, à présent que tout est perdu ? Il est trop tard, trop tard pour sauver le monde, l’humanité et même les Selkies qui sont, eux aussi, condamnés à disparaître, victimes de la pollution vulcanique des océans… à moins que les Prométhéens ne découvrent leur existence et ne les réduisent, eux aussi, à l’état de bétail.
Si seulement il avait pu avoir accès à tout cela avant, lorsqu’il était encore temps ! Forts des enseignements de l’héritage atlante, les hommes auraient pu être guidés vers une ère de paix et de fraternité et, grâce aux formidables applications de cette science oubliée, œuvrer ensemble à la défense de leur monde. C’est au plus fort de son désarroi que le Voyageur va faire une découverte qui changera à jamais le cours du futur… mais aussi du passé.
Grâce aux cylindres atlantes, il se familiarise avec la théorie du saut mathématique (téléportation) et avec le fonctionnement des Portes, ces extraordinaires artefacts qui permettaient aux anciens maîtres de la Terre de se transporter instantanément d’un point de la planète à un autre… Les cylindres parlent également de la possibilité d’utiliser ces Portes pour remonter le cours du temps, et détaillent même les incroyables expériences menées dans ce but par les plus grands physiciens atlantes, quelque temps avant la disparition de leur civilisation. Ces révélations font naître chez Nemo un espoir insensé : et s’il était possible de retrouver une de ces Portes, de la remettre en état de marche et d’en modifier le fonctionnement afin de revenir en arrière et d’altérer à jamais le cours de l’Histoire ? Si une telle chose était faisable, alors lui, Nemo, pourrait remonter le temps et alerter les hommes contre les dangers de la Grande Guerre, peut-être même l’empêcher et aider les nations de la Terre à s’unir contre la menace prométhéenne… repousser l’invasion, sauver le monde, changer le passé et bâtir un nouveau futur : les possibilités sont infinies, vertigineuses, étourdissantes… Mu par cet ultime espoir, le Voyageur confie ses découvertes, ses hypothèses et ses doutes aux vieux sages Selkies, dont les réponses le laissent sans voix, puisqu’ils connaissent précisément la localisation d’une de ces Portes, engloutie quelque part sous l’océan.
Les Selkies escortent bientôt le Voyageur et ses compagnons jusqu’à l’emplacement du portail, qui se présente sous la forme d’une gigantesque arche façonnée dans une étrange matière mi-rocheuse mi-métallique et dont la surface est couverte de caractères énigmatiques, qui constituent en fait le schéma de fonctionnement de l’artefact… Nemo découvre que la Porte, miraculeusement préservée des ravages du temps, pourrait assez facilement être réparée, réactivée et peut-être même modifiée par un savant disposant comme lui des fabuleuses connaissances contenues dans les cylindres atlantes. Avec l’aide de ses hommes d’équipage et des fidèles Selkies, le Voyageur s’attelle à son formidable travail. Certes, l’espoir semble fou, chimérique, et l’opération comporte de nombreux dangers, mais qu’a-t-il à perdre ? Les auteurs des cylindres mettent clairement en garde l’imprudent qui tenterait d’ouvrir les Portes sur le maelström du temps et suggèrent que les physiciens atlantes eux-mêmes abandonnèrent leurs expériences lorsqu’ils comprirent qu’un saut temporel pouvait créer un phénomène de vortex susceptible d’aspirer dans le néant leur réalité d’origine… Pour Nemo, ce risque suprême n’en est pas un, son but étant justement d’empêcher le présent : dès lors, il lui importe peu que son ultime expérience entraîne la destruction soudaine de ce monde de cauchemar, où les derniers représentants de l’espèce humaine sont condamnés à subir le joug des Prométhéens sur une Terre à jamais dévastée.
A l’unanimité, le capitaine et les passagers du Nautilus décident de lancer le sous-marin à travers la Porte, vers ce passé porteur de tant d’espoirs : un des hommes d’équipage qualifie la Porte de Machine Widdershin, appellation bientôt reprise par tous. Les connaissances imparfaites du Voyageur, l’urgence de la situation, les particularités de la mathématique atlante et les lois capricieuses de l’espace-temps ne permettent pas à Nemo d’envisager un saut temporel de plus de vingt-quatre années en arrière.
Le Nautilus arrivera donc en 1877… s’il ne se perd pas dans les méandres du temps. Dans une ambiance où le doute et le désespoir le disputent à l’enthousiasme le plus débridé, on procède aux derniers préparatifs de l’étrange traversée. Quant aux Selkies, ils acceptent leur destinée avec une étonnante tranquillité, guidés par une foi inébranlable dans leurs anciennes prophéties : l’un d’entre eux, un Mémorien, accompagnera le Voyageur à travers la Porte, afin d’assister et de guider Nemo dans sa titanesque entreprise… Les autres resteront en arrière, afin de sceller à jamais la Porte du temps.
A l’intérieur du Nautilus, le Voyageur adresse une brève prière au destin. La Porte temporelle est activée : à l’intérieur de l’arche apparaît bientôt une spirale aux couleurs inconnues, Maelström ouvert sur les méandres de l’espace-temps. Lentement, le Nautilus s’engage dans le tourbillon… A bord, tout semble se figer durant quelques instants : par les hublots, on aperçoit une myriade de formes luminescentes qui semblent danser autour de la coque. Puis, soudain, dans un grondement de tonnerre, le Nautilus retrouve le fond des océans. « Sommes nous… passés ? » murmure, étourdi, un des hommes d’équipage. Après quelques secondes d’hésitation, le Voyageur ordonne une remontée. Tous retiennent leur souffle. Lorsque le Nautilus émerge, ses passagers contemplent un ciel bleu et dégagé, vide de toute vapeur vulcanique, un ciel comme on n’en avait plus vu depuis la Guerre… le ciel de 1877.
Bientôt, le Voyageur et ses compagnons partent à la (re)découverte de ce monde qui leur semble à la fois si familier et si étrange. Leurs premières escales à terre se déroulent dans l’euphorie mais leur réservent également quelques perturbantes surprises – à commencer par Vingt Mille Lieues sous les Mers… C’est au cours d’un bref séjour à Paris que Nemo lui-même découvre le roman de Jules Verne, auteur dont il n’a jamais entendu parler mais qui semble inexplicablement célèbre dans ce passé-ci, où tout devrait pourtant être identique… En feuilletant l’ouvrage, Nemo est comme frappé par la foudre : tout est là, écrit noir sur blanc – Nemo, le Nautilus, les ruines de l’ancienne Atlantide… mais rien sur l’invasion venue de Mars, rien sur les Selkies ni sur le saut temporel… et tout cela mêlé à des péripéties romanesques et à des personnages fictifs. Mais comment ce Jules Verne a-t-il pu savoir ? Déjà stupéfait, Nemo sent sa raison vaciller lorsqu’il apprend que le roman de Verne a été publié en 1867, soit dix ans exactement avant son arrivée… Peu à peu, la seule explication scientifiquement acceptable s’impose à l’esprit du Voyageur : le passé dans lequel il est revenu a été subtilement altéré par l’acte même de son retour, lequel a entraîné diverses modifications rétrospectives de la réalité… à commencer par l’existence de ce livre « impossible ». Bien décidé à en découvrir davantage, Nemo s’arrange pour rencontrer Verne en personne, sous l’identité d’un chroniqueur littéraire. Très vite, Nemo découvre que Verne n’est pas le visionnaire exalté auquel il s’était attendu, mais un écrivain débonnaire pour qui Nemo et le Nautilus ne sont que les produits de son imagination, une imagination raisonnable, avant tout basée sur la spéculation scientifique et l’inspiration romanesque. Perplexe, Nemo renonce pour le moment à explorer plus avant ce singulier mystère pour revenir à la mission qu’il s’est fixée…
Note Pour en savoir plus sur ce troublant paradoxe, voir « Les Ecrivains Visionnaires ».
Une des priorités de Nemo est l’élimination de l’homme qui, dans son futur, a mené le monde à sa perte : le futur président américain Sillerton Warren Jr. Bien sûr, Nemo n’est pas assez naïf pour croire qu’un seul acte suffira à sauver la planète d’un conflit global, mais l’élimination de Sillerton lui apparaît comme une première nécessité, le point de départ d’une formidable lutte contre le Temps et l’Histoire. En 1877, Sillerton Warren Jr a une petite trentaine d’années et vient à peine de commencer une carrière politique prometteuse ; fils unique du célèbre milliardaire du même nom, il semble promis au plus brillant avenir et ambitionne d’ores et déjà un siège au sénat. Nemo n’a guère de mal à retrouver la trace d’un personnage aussi en vue. Il ne lui reste plus qu’à attendre le moment propice pour frapper, depuis la salle de commandement du Nautilus. Lorsqu’en septembre 1878, Warren Jr embarque à bord de l’Aurora, le yacht de son père, pour une croisière familiale au large de l’Australie, Nemo sait que l’heure est venue. Une fois le yacht en haute mer, il lance le Nautilus à l’assaut. Le submersible éperonne le navire par trois fois et, très vite, l’Aurora sombre au fond de l’océan, avec tout son équipage et ses passagers : Sillerton Jr, mais aussi sa mère, sa femme et leur jeune fils. La nouvelle de l’inexplicable naufrage de l’Aurora parvient bientôt aux Etats Unis, plongeant une partie du pays dans la consternation. Comment un yacht ultra-moderne, doté d’un équipage trié sur le volet, a-t-il pu sombrer ainsi en quelques minutes, sur une mer qu’aucune tempête ne semblait agiter ? Des rumeurs de sabotage ou de piraterie commencent à se répandre ; on parle aussi d’une baleine ou d’un serpent de mer… comme dans le roman de Jules Verne !
Mais on ne change pas impunément le cours de l’Histoire et, en éliminant Sillerton Warren Jr, Nemo va bouleverser l’existence de son père le milliardaire, créant ainsi un nouvel enchaînement d’événements imprévisibles…
Les méandres du temps
« Les hommes de science (…) savent parfaitement que le Temps n’est qu’une sorte d’Espace. »
« La Machine à Explorer le Temps » (H.G. Wells)
Comme le savent tous les amateurs de science-fiction, la possibilité de voyager dans le temps remet en cause un certain nombre de lois de la réalité telle que nous la concevons, et s’accompagne forcément d’un cortège de paradoxes, d’effets pervers et de spéculations sans fin. Peut-on se rencontrer soi-même dans le passé ? Qu’arrive-t-il si un voyageur venu du futur provoque la mort de ses parents avant la date de sa naissance ? Si l’on effectue plusieurs allers-retours dans le passé, retrouve-t-on à chaque fois ce passé dans le même état ou modifié par les répercussions de chaque nouveau voyage ? Existe-t-il un seul flot temporel ou une infinité de possibilités simultanées, dont notre histoire n’est qu’une variation parmi d’autres ? Autant d’interrogations métaphysiques auxquelles ce court chapitre va s’efforcer d’apporter quelques débuts de réponses : loin de faire le tour de la question, ces informations ont pour objectif principal de permettre au Chroniqueur de gérer en toute quiétude les diverses implications du saut temporel effectué par le Nautilus entre un 1901 où tout est perdu et un 1877 où tout reste à faire… Elles ne sont donc aucunement destinées aux joueurs ou à leurs personnages : dans Uchronia, le voyage temporel repose entièrement sur les arcanes de la science atlante, un savoir dont, pour l’instant, Nemo et le savant William Thomson sont les seuls dépositaires. En dehors de ces deux personnages, seuls Barrymore et quelques Adeptes possèdent pour le moment un quelconque degré de savoir, essentiellement théorique, sur la possibilité de voyager à travers le temps. Libre à chaque Chroniqueur de savoir si cette possibilité doit devenir un jour une réalité pour les héros de son Feuilleton… Rappelons que les Atlantes eux-mêmes n’avaient commencé à envisager cette possibilité que quelques années avant la chute de leur civilisation, et qu’ils renoncèrent rapidement à poursuivre leurs expériences lorsqu’ils découvrirent le potentiel cataclysmique des vortex temporels incontrôlés…
Le Maelström
En franchissant la Porte atlante, le Nautilus a pénétré dans ce que Nemo baptisera plus tard le Maelström, une sorte de tourbillon extérieur à notre réalité et où le Temps, l’Espace, la Pensée et la Matière ne sont qu’une seule et même chose. C’est en s’aventurant dans ce Maelström que l’on peut effectivement « remonter le cours du temps ».
Le Maelström n’est autre que cette « Quatrième Dimension » dont l’existence est postulée dès la fin du XIXème siècle par certains scientifiques particulièrement avant-gardistes, comme en témoigne le traité de C. Howard Hinton « What Is The Fourth Dimension ? », publié en 1884. Cela dit, il est probable que certaines cultures considérées comme primitives connaissent depuis fort longtemps l’existence du Maelström, sans pour autant en appréhender la véritable nature : il est fort possible que nous touchions là à l’origine de nombreux mythes sur l’Autre Monde, le Temps du Rêve et le Royaume des Esprits, qui sont peut-être autant d’interprétations magiques ou spirituelles d’une réalité ignorée ; qui sait si les premiers shamans, sorciers et autres prêtres de ces peuples n’étaient effectivement pas en mesure de communiquer avec cette dimension mystérieuse, selon un savoir hérité des Atlantes et qui se serait peu à peu altéré et appauvri, au fur et à mesure de sa transmission, jusqu’à perdre sa signification originelle ? Quelques médiums et métaphysiciens du Club s’interrogent également sur la possible identité entre la Quatrième Dimension et ce que les spirites les plus férus d’objectivité scientifique nomment l’Espace de Swedenborg, cette membrane fluidique qui séparerait le monde sensible du monde spirituel.
Risques et dangers du voyage temporel
William Thomson Lorsque les aléas de la Guerre Secrète lui laissent un peu de temps libre, le savant et Invisible William Thomson se livre à toutes sortes de recherches et d’expériences sur le voyage temporel, sa théorie et ses applications, travaillant à partir de ses propres spéculations scientifiques et des connaissances contenues dans les cylindres atlantes. Ce n’est que tout récemment que cet esprit fondamentalement rationnel a commencé à s’interroger sur les possibles rapports existant entre le Maelström et certains phénomènes médiumniques. Il semble en effet que le voyage temporel du Nautilus ait provoqué des remous à travers la Quatrième Dimension, remous ayant été captés sous la forme de rêves, de visions et d’impressions prémonitoires par quelques individus à la sensibilité psychique particulièrement développée — pour plus de détails à ce sujet, reportez-vous à la section sur les Médiums.
Comme les physiciens atlantes l’avaient bien compris, le voyage temporel est une opération incroyablement dangereuse, non seulement pour le sujet mais aussi pour la texture même de l’univers. Toute ouverture du Maelström risque en effet de créer un vortex, c’est à dire une irruption incontrôlable du Maelström au sein de la réalité tangible : concrètement, un vortex s’apparente à une sorte de cyclone spatio-temporel capable d’aspirer des fragments entiers de réalité (objets, lieux, personnes et autres éléments moins directement perceptibles) dans le Maelström, avant de se refermer aussi brutalement qu’il est apparu. Les probabilités de formation d’un vortex ainsi que les critères déterminant son ampleur ou sa durée semblent défier toute analyse scientifique et rien n’interdit de supposer la possibilité d’un vortex ultime, aux conséquences apocalyptiques pour la planète, voire pour l’univers entier.
La translation temporelle comporte également des dangers considérables pour l’imprudent voyageur. Le voyage à proprement parler ne dure que quelques secondes subjectives, durant lesquelles les particules de matière dont nous sommes tous constitués se trouvent dissociées puis réassemblées, expérience qui peut laisser de profondes empreintes sur le métabolisme comme sur le psychisme. Ce phénomène de dissociation représente un des plus grands risques pour l’inconscient qui oserait braver les dangers du Maelström : si la translation ne s’effectue pas correctement, le voyageur court en effet le risque d’être purement et simplement désintégré, ses particules constitutives à jamais dissociées se dispersant comme autant de grains de sable à travers l’espace-temps.
L’effet Héraclite
Même lorsque le saut temporel se déroule sans provoquer de telles catastrophes, il entraîne toujours des conséquences imprévisibles, des divergences événementielles qui peuvent se situer en aval comme en amont du point d’arrivée. L’acte même de revenir dans le passé change ce passé, comme Nemo en a eu la preuve en découvrant l’existence de Vingt Mille Lieues sous les Mers. C’est ce que Sir William Thomson a baptisé « l’effet Héraclite », en référence au philosophe grec selon qui « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». En d’autres termes, le passé ne se répète jamais à l’identique. Qui sait si le saut temporel de Nemo n’a pas entraîné d’autres divergences historiques subtiles, peut-être beaucoup plus éloignées dans le temps, entre son monde d’origine et le monde d’Uchronia ?
Personnes déplacées
Sur le plan psychologique, une des conséquences les plus perturbantes du retour vers le passé est sans aucun doute la rencontre du voyageur avec son double plus jeune. Dans le cas de Nemo et de ses compagnons de voyage temporel, le décalage d’âge était de 35 ans : pour beaucoup d’entre eux, 1877 correspondait à l’époque de leur jeunesse, voire de leur enfance ; pour quelques-uns, cette date se situe même avant celle de leur propre naissance. Pour tous, revenir trente-cinq années en arrière représentait aussi la possibilité de retrouver de nombreux proches disparus, parents, amis, futurs amours… mais cette réalité avait quelque chose de vertigineux, d’inconcevable, même pour les esprits les plus pragmatiques. Devaient-ils tirer un trait sur leur passé et se tenir soigneusement à l’écart des personnes qu’ils avaient autrefois connues ? Devaient-ils laisser leur double vivre sa vie ou, au contraire, entrer en contact avec lui, ou veiller discrètement sur sa destinée ? Autant de questions douloureuses, auxquelles aucun être humain avant eux n’avait eu à répondre. Confrontés à tant d’incertitudes et de désirs contradictoires, les rescapés du Nautilus choisirent de s’en remettre entièrement à la décision de leur capitaine : après bien des hésitations, celui-ci décida de laisser chacun agir à sa guise, avec pour seule interdiction formelle de révéler leur véritable identité. Certains choisirent de couper les ponts avec leur passé, considérant qu’ils étaient désormais quelqu’un d’autre et qu’il valait mieux laisser leur alter ego vivre sa vie, sans chercher à comprendre ou à influencer les méandres de la destinée ; d’autres, au contraire, décidèrent de faire connaissance avec eux-mêmes ou de retrouver leurs proches sous une autre identité — expérience parfois douloureuse et pleine de surprises…
Mystères et spéculations
La nature même du Maelström et des lois qui régissent son fonctionnement demeurent pour le moment une véritable énigme pour William Thomson et les autres physiciens temporels du Club. Les savants atlantes eux-mêmes ignoraient s’il existait une infinité de continuums temporels parallèles, ou un seul courant dont le flux se trouverait altéré par toute traversée du Maelström.
Ils ignoraient également si le Maelström interpénétrait l’univers de manière systématique ou s’il constituait une singularité ne s’ouvrant qu’à certains points de l’espace-temps. Pour une raison inconnue, il est apparemment impossible de voyager vers le futur à travers une Porte atlante, ce qui exclut a priori tout retour vers l’époque d’origine. Les données contenues dans les cylindres atlantes présentent une explication possible de ce phénomène : le voyage temporel ne s’apparenterait pas à un saut mais une chute plus ou moins contrôlée ; voyager vers le futur serait donc aussi impossible que de tomber vers le haut. Tout ceci est peut-être en rapport avec le fait que le Maelström se présente sous la forme d’un tourbillon, c’est à dire d’une spirale dotée nécessairement d’un sens de rotation : à partir de là, on peut penser que le mouvement widdershin, c’est à dire à rebours du temps, correspond justement à ce sens de rotation. Suivant cette interprétation des choses, voyager vers le passé consisterait à se laisser aspirer par le tourbillon jusqu’à un point défini correspondant à la fenêtre temporelle choisie : voyager dans le futur consisterait dans ce cas à inverser le mouvement du Maelström, ce qui paraît a priori totalement inconcevable et entraînerait certainement d’inimaginables conséquences à l’échelle de l’univers.
De toutes ces considérations découle une interrogation suprême, qui alimente les méditations les plus vertigineuses de William Thomson : qui y-a-t-il au centre du tourbillon ? Un voyageur qui serait aspiré jusqu’au cœur du Maelström assisterait-il à la création du monde ? Ou bien serait-il rejeté à travers un autre Maelström, dont la spirale se déroulerait dans l’autre sens, du centre vers le pourtour, c’est à dire du passé vers le futur ? Autant de questions fascinantes, qui restent — pour le moment — hors de portée de la science des hommes…
Les écrivains visionnaires
Le saut temporel effectué par Nemo a créé d’étranges perturbations au sein de la Quatrième Dimension. En traversant le Maelström, le Nautilus a provoqué une véritable onde de choc au sein de la réalité, onde de choc qui s’est répercutée à la fois en aval et en amont de son point d’arrivée. En clair, l’irruption du Nautilus en 1877 n’a pas seulement modifié le cours de l’histoire à partir de cette date mais a également provoqué de subtils remous au sein de l’histoire antérieure du monde d’Uchronia : ça et là, quelques événements ont été altérés, quelques destinées modifiées, sans que quiconque en ait conscience. Bien sûr, ces remous étant des effets secondaires, leur incidence sur le cours de l’histoire a été mineure, de sorte que le passé du monde d’Uchronia semble, à première vue, totalement identique à celui de notre monde et, surtout, à celui du monde d’origine de Nemo…
Un exemple particulièrement troublant de ce phénomène est le cas des écrivains Jules Verne et Herbert George Wells. Dans notre monde, ces deux auteurs devinrent les pionniers d’un nouveau genre de littérature : la science fiction. Aujourd’hui encore, nous restons émerveillés par la faculté d’un Jules Verne à imaginer les machines de demain ou par le caractère visionnaire de nombreuses œuvres de Wells. Dans le monde d’Uchronia, et dans le monde d’origine de notre Nemo, la destinée de ces deux illustres personnages emprunte d’autres chemins…
Dans le monde d’origine de Nemo, ni Verne ni Wells ne devinrent célèbres en tant qu’écrivains. Verne resta fidèles à ses premières amours littéraires, le théâtre, et ne connut aucun succès en tant que dramaturge. Il n’écrivit ni Vingt Mille Lieues sous les Mers, ni L’Ile Mystérieuse ni aucun des Voyages Extraordinaires. Herbert George Wells, de son côté, n’écrivit ni La Machine à Explorer le Temps ni La Guerre des Mondes ni aucun autre roman et partagea sa vie entre le journalisme et l’enseignement, sans jamais connaître la gloire… Tous deux disparurent en 1900, lors de l’Invasion Prométhéenne, avec la majeure partie de la population humaine.
Dans le monde d’Uchronia, quelque chose vient altérer la destinée de ces deux personnages. L’un et l’autre, à des moments différents de leur existence, se mettent à imaginer le futur et éprouvent le besoin impérieux de transcrire leurs visions et leurs idées sous forme de romans et de nouvelles. Ces visions sont en réalité les échos des remous provoqués par le saut temporel de Nemo dans la trame de la Quatrième Dimension, échos que Verne, Wells et quelques autres ont capté de manière aussi inconsciente que mystérieuse. Tout cela n’est pas sans évoquer le processus de perception médiumnique décrit ci-dessus par le professeur Hesselius : il est possible que Verne et Wells soient, à leur insu, des médiums, c’est à dire des individus capables de percevoir les fluctuations de la Quatrième Dimension et d’y recueillir toutes sortes d’informations et d’impressions, y compris sur les futurs possibles. Au contraire de la plupart des médiums, nos écrivains visionnaires ne percevraient par leur don comme un pouvoir mystique ou psychique, mais comme une faculté d’imagination purement intellectuelle.
Examinons à présent les choses sous un angle plus concret, en commençant par le cas de Jules Verne. Dans le monde d’Uchronia, Vingt Mille Lieues sous les Mers paraît en 1867, soit dix ans avant l’arrivée de Nemo. L’esprit de Verne a donc été affecté en amont, c’est à dire de manière rétrospective, par les remous du saut temporel du Nautilus : dès 1865, il imagine un submersible appelé le Nautilus, commandé par un mystérieux capitaine Nemo aux origines et aux motivations obscures ; il songe aussi à la possibilité de voyager au centre de la Terre ou jusque sur la Lune et prévoit la future conquête du ciel par les dirigeables… Contrairement à ce que pensent la plupart des agents du Club, Nemo n’a pas adopté ce surnom ni baptisé son submersible le Nautilus en hommage au roman de Verne, puisque ce roman n’avait jamais vu le jour dans son temps d’origine ! On imagine sans peine quelle fut sa stupéfaction lorsqu’il découvrit, peu après son arrivée dans le 1877 d’Uchronia, qu’il figurait dans un roman paru dix ans plus tôt. Dès lors, il prêta une attention toute particulière à ce mystérieux Jules Verne, qui ignorait tout de la Guerre Secrète et de la menace prométhéenne mais dont certains romans étaient inexplicablement truffés de références au futur : ceci explique la surveillance spéciale dont Verne fait l’objet de la part du Club. En dehors de Nemo et de ses compagnons de voyage temporel, seul Sir William Thompson a connaissance de cette singulière vérité.
Bien sûr, en incorporant ces échos du futur à leurs récits, l’auteur les a amalgamés avec des éléments de sa propre invention ou dictés par les conventions littéraires : ainsi, tout ce qu’a écrit Verne dans Vingt Mille Lieues sous les Mers sur Nemo et sur le Nautilus ne correspond pas nécessairement à la réalité et certains de ses romans restent des œuvres de pure fiction, ne comprenant aucun véritable écho du futur. Ceci explique également les singulières incohérences existant entre le Nemo de Vingt Mille Lieues… et celui de L’Ile Mystérieuse… Dans un même ordre d’idées, certains échos ne sont pas forcément présentés par l’écrivain comme des éléments futuristes ou extraordinaires : ainsi, Verne ignore tout à fait qu’en décrivant l’orgue du capitaine Nemo, il a en réalité décrit une machine analytique d’une immense complexité ; de même, les nombreuses bizarreries du personnage de Phileas Fogg et certaines des péripéties qui émaillent son Tour du Monde en Quatre Vingts Jours peuvent être interprétées comme des échos très distordus du voyage temporel de Nemo (que penser en effet de répliques comme : « Je sauterai mathématiquement » ?) ou de la lutte désespérée des agents du Club qui est, elle aussi, une « course contre le temps »…
Le cas d’Herbert George Wells est à la fois fort proche et fort différent de celui de Jules Verne. Fort proche, car les romans d’anticipation de Wells intègrent eux aussi des fragments de ce futur entraperçu à travers la Quatrième Dimension. Fort différent car, contrairement à celle de l’écrivain français, la carrière littéraire de Wells appartient encore au futur du monde d’Uchronia : son premier roman d’anticipation, La Machine à Explorer le Temps date de 1895, soit cinq ans après le début habituel des Feuilletons d’Uchronia et près de vingt ans après l’arrivée de Nemo. Contrairement à Verne, Wells percevra les échos du futur en aval du saut de Nemo, ce qui explique peut-être leur plus grande exactitude : La Machine à Explorer le Temps fait directement écho au voyage du Nautilus, L’Ile du Dr Moreau (1896) renvoie assez précisément aux monstrueuses expériences du Dr Gregor et, bien sûr, La Guerre des Mondes (1897) est une véritable prophétie de l’Invasion Prométhéenne. En tant que Chroniqueur, vous pouvez aussi décider que d’autres romans de Wells, comme L’Homme Invisible ou Les Premiers Hommes dans la Lune, ont eux aussi un caractère prophétique… Ecrira-t-il ces romans dans le monde d’Uchronia ou bien sa destinée suivra-t-elle un autre cours, l’amenant à vivre ce qu’il aurait pu imaginer ? Une chose est sûre : un tel personnage attirera tôt ou tard l’attention des Invisibles et ferait sans nul doute une excellente recrue pour le Club…
Notre examen des écrivains visionnaires ne serait pas complet sans un examen rapide du cas d’Edgar Allan Poe. Contrairement à Verne et à Wells, le célèbre romancier américain, mort en 1849, appartient au passé d’Uchronia. A première vue, il est difficile d’attribuer un caractère prophétique aux œuvres de Poe : contrairement aux écrits de Verne et de Wells, les récits de l’auteur de Ligeia et du Corbeau ne semblent receler aucune part d’anticipation scientifique, historique ou autre… Les visions qui imprègnent les œuvres de Poe sont en fait beaucoup plus subtiles et concernent principalement les phénomènes liés à la Quatrième Dimension, au magnétisme et aux mystères métaphysiques qui sous-tendent l’univers d’Uchronia : des récits comme Les souvenirs de M.Auguste Bedloe, Révélation Magnétique, Une Descente dans le Maelström et L’Etrange Cas de M. Valdemar en sont sans doute les exemples les plus éclatants – on y trouve, pêle-mêle, des phénomènes de distorsion temporelle, de décorporalisation, de transfert psychique et de voyage à travers la quatrième dimension…
Quant à l’étrange odyssée maritime des Aventures d’Arthur Gordon Pym (1838), elle peut être interprétée comme un reflet prémonitoire très déformé de l’expédition de l’Hibernia, qui surviendra près de 40 ans plus tard. La conclusion est, à cet égard, particulièrement troublante : parvenus dans l’Océan Antarctique, les protagonistes survivants aperçoivent de mystérieuses silhouettes blanches, qui semblent venir vers eux… et tout s’arrête, comme si le narrateur n’avait pu en écrire davantage. Poe laissa son récit inachevé, sans autre forme d’explication, car lui-même ignorait la signification exacte de cette inquiétante vision surgie des tréfonds de son esprit… et qui, sans aucun doute, contribua à précipiter son esprit déjà fragile dans une spirale de délires hallucinatoires et de folie autodestructrice.
La Boucle est Bouclée : Frustrés par la « non-fin » du roman, de nombreux admirateurs de Poe imaginèrent leur propre suite aux Aventures d’Arthur Gordon Pym. La plus connue de ces suites apocryphes est sans doute Le Sphinx des Glaces, d’un certain… Jules Verne (1897) !
Les médiums
Dans Uchronia, les médiums sont des êtres humains capables d’entrer en communication psychique avec la Quatrième Dimension, ce qui peut leur permettre de percer les secrets du passé, du présent et du futur.
L’exposé qui suit présente un résumé raisonnablement exact de la « vérité » sur les médiums et leurs étranges pouvoirs. Son auteur, le vénérable professeur Hesselius, a récemment rejoint les rangs du Club, au sein duquel il poursuit ses expériences…
Extraits de « Conférence sur la Médiumnité et autres Phénomènes Psychiques » par le Professeur Johann Hesselius (1889)
Au terme de plus de quatorze années consacrées à étudier les divers phénomènes connus du grand public sous la discutable appellation de spiritisme, je suis aujourd’hui en mesure d’affirmer (et de prouver scientifiquement) qu’il existe, perdus au sein d’une véritable armada d’imposteurs, d’illuminés et d’individus mentalement dérangés, quelques authentiques médiums — mais encore faut-il s’entendre sur la signification exacte que l’on accorde à ce terme. Pour le grand public et pour les tenants de la célèbre doctrine spirite popularisée par Alan Cardec et consorts, le médium serait une sorte de correspondant avec l’au-delà, capable d’établir une communication entre le monde des vivants et le monde des esprits — lequel est souvent représenté sous forme de cercles concentriques abritant aussi bien les âmes des défunts que des « entités psychiques supérieures » de nature angélique ou démoniaque. Il va de soi qu’un véritable homme de science, si ouvert d’esprit soit-il, ne peut décemment souscrire à une définition aussi mystique que nébuleuse : au cours de l’exposé qui suit, j’entendrai par médium tout individu doté d’une sensibilité psychique anormalement développée, capable de percevoir un certain nombre de phénomènes échappant à la perception humaine ordinaire — sans pour autant être en mesure de maîtriser ces perceptions ou de les interpréter correctement…
(…)
N’en déplaise aux disciples du sieur Cardec et de Madame Blavatski, le monde avec lequel les médiums entrent en communication n’est ni l’au-delà ni un quelconque plan astral mais bien une quatrième dimension de notre univers, ainsi que l’avait déjà pressenti mon ami et confrère le professeur Gideon Forman dans son remarquable essai « Dissertation sur la Structure et la Texture de l’Univers » (1868). Ainsi que j’ai pu le prouver au cours de diverses expériences (cf mon opus « Sur l’Energie Fluidique Universelle », 1887), cette dimension est entièrement composée d’une forme d’énergie unique, qui constitue en quelque sorte la force vitale de notre univers et garantit sa stabilité dans l’espace autant que dans le temps : à défaut d’une meilleure appellation, nous baptiserons cette énergie « fluide » — le terme énergie étant lui-même impropre, le fluide étant tout à la fois énergie, matière et pensée. Le fluide existe sous deux grandes formes : à l’état ambiant, imprégnant de manière subtile la trame même de notre réalité, et sous une forme beaucoup plus concentrée, à l’intérieur de chaque être doué de conscience. Par souci de clarté, nous appellerons OD le fluide sous sa forme cosmique, et ID le fluide psychique constitutif de chaque conscience individuelle.
L’od, fluide cosmique ambiant, se trouve partout autour de nous, mais aucun de nos sens ne nous permet d’en percevoir les perpétuelles vibrations. Si l’od constitue en quelque sorte la texture subliminale de l’univers qui nous entoure, l’id peut être défini comme la matière dont est fait notre esprit, cette mystérieuse substance qui structure tout à la fois notre mémoire, notre intuition et notre imagination. Lorsque nous mourons, notre id se libère naturellement de notre corps inerte pour se fondre dans l’od ambiant ; inversement, le complexe processus aboutissant à la naissance d’un nouvel être vivant semble impliquer une captation d’une parcelle de l’od ambiant au sein de l’enveloppe corporelle. Par certains aspects, l’id est assimilable au concept mystique de l’âme (tel que le comprenaient, par exemple, les Anciens Egyptiens), concept qui n’est vraisemblablement qu’une interprétation rudimentaire et imparfaite de la réalité physique du fluide. Car le fluide constitue une quantité parfaitement mesurable — pour peu que l’on dispose des instruments adéquats (cf la monographie d’Otto Krantz, « Sur la Photographie des Auras Fluidiques », 1886). Au cours de mes nombreux travaux à ce sujet, j’ai pu constater que la quantité de fluide contenue dans un être vivant variait considérablement d’une espèce à l’autre et, dans le cas des êtres humains, d’un individu à l’autre. Chez les espèces animales, la quantité d’id semble dépendre directement de ce que nous pourrions appeler leur degré de conscience et varie assez peu d’un spécimen à l’autre. Chez les humains, au contraire, la quantité de fluide diffère considérablement en fonction des individus, mais reste toujours beaucoup plus importante que chez les espèces animales. Pour utiliser une analogie simple, si l’id d’un chien ou d’un chat équivalait, par son intensité, à la flamme d’un briquet, l’id humain moyen aurait, par comparaison, la luminosité et l’intensité de rayonnement d’un réverbère, voire, chez les individus les plus remarquables, celles d’un phare marin. En règle générale, la quantité d’id chez un humain semble être directement liée à la force de sa volonté, à sa puissance intellectuelle ou à l’ascendant qu’il exerce sur autrui — autant de caractéristiques qui reflètent une intensité intérieure supérieure.
Chez l’individu ordinaire, l’id est totalement coupé de l’od ; chez le médium, au contraire, l’id est capable de percevoir l’od et d’entrer en résonance avec lui, selon un processsus comparable à celui du magnétisme. C’est ce phénomène de résonance, et non une quelconque entrée en communication avec les esprits des morts, qui constitue la base de toutes les manifestations médiumniques authentiques. Avant d’étudier en détail ces différentes manifestations, penchons-nous sur la nature exacte de ce phénomène de résonance — le fameux don des médiums.
Confronté à la réalité des phénomènes médiumniques, l’esprit rationnel ne peut que se poser la question suivante : comment et pourquoi devient-on médium ? S’agit-il d’une faculté innée ou d’un potentiel latent, commun à toute l’humanité ? Existe-t-il des prédispositions — ou des entraves — à l’apparition et au développement de la sensibilité médiumnique chez un individu ? Au terme des nombreuses expériences que j’ai menées au cours de ces dernières années — et notamment suite à l’étude rigoureuse du cas de M. Karel Svoboda, le médium praguois bien connu — je suis aujourd’hui en mesure d’établir à ce sujet un certain nombre de certitudes empiriques, lesquelles tendent parfois à contredire un certain nombre d’idées reçues et de croyances traditionnelles colportées par les tenants du spiritisme mystique.
La médiumnité (capacité à percevoir les fluctuations de l’od) ne semble liée à aucun caractère inné et n’est, en tous les cas, aucunement héréditaire. Elle se manifeste à peu près équitablement entre les sexes et ne semble liée à aucun critère d’ordre biologique. Chez les sujets les plus précoces, la médiumnité se manifeste à l’âge de la puberté, le plus souvent sous forme de crises de somnambulisme accompagnées de troubles de la mémoire et de la perception ; la révélation de cette sensibilité psychique anormale peut également survenir bien plus tard dans l’existence du sujet, le plus souvent suite à un choc nerveux particulièrement intense ou dans des circonstances exceptionnellement éprouvantes. Dans ce genre de cas, la médiumnité se révèle brutalement, sans le moindre signe avant-coureur ; chez les individus plus précoces, au contraire, elle s’intègre progressivement à la psyché du sujet, au point de devenir une faculté naturelle, au même titre que l’intuition, la mémoire ou le raisonnement. Une constante se dégage toutefois de cette grande diversité de cas : quel que soit son milieu social, son âge ou son degré d’éducation, le médium est presque toujours perçu par les personnes de son entourage comme un individu particulièrement sensible, perceptif ou imaginatif ; suivant les cas, cette sensibilité exacerbée pourra se traduire par des dons artistiques remarquables, par un tempérament rêveur (ou exalté) ou encore par une vie onirique particulièrement intense. Chez le médium qui s’ignore, les premières manifestations de ses facultés constituent toujours une expérience marquante, voire profondément dérangeante : en entrant en résonance avec l’od de façon incontrôlée, le sujet ressent tout un ensemble d’impressions apparemment inexplicables — à commencer par le sentiment profond et irrationnel d’être observé par une présence invisible.
Dans de nombreux cas, ce sentiment s’intensifie au fur et à mesure que les manifestations se multiplient : le malheureux sujet, convaincu qu’une entité psychique étrangère et malveillante cherche à dominer son esprit pour prendre possession de son être, voit son équilibre nerveux et sa santé mentale se dégrader de manière catastrophique, le plus souvent en à peine quelques semaines, jusqu’à l’effondrement total – effondrement qui débouche, dans le meilleur des cas, par un internement dans un asile d’aliénés ou, dans certains cas particulièrement tragiques, par le suicide du sujet au terme de ce qu’il faut bien décrire comme une véritable descente aux enfers psychique, jalonnée de cauchemars, d’hallucinations, d’insomnies et autres symptômes caractéristiques de la pavor nocturnis (cf la remarquable étude du professeur Holtzmann, « Essai les Phénomènes de Terreur Nocturne », 1872 – au moins trois des sept cas présentés en détail par Holtzmann tombent dans notre champ d’investigation). Certains d’entre vous n’auront pas manqué de noter une troublante similitude entre les symptômes que je viens d’évoquer et ceux qui sont décrits par l’écrivain français Guy de Maupassant dans son étrange récit « Le Horla », publié voici quelques années dans une revue littéraire bien connue. Cette similitude, qui ne doit rien au hasard, mérite une petite parenthèse dans le cours de notre exposé…
La nouvelle de M. Maupassant raconte, sous forme de journal intime, la lente dégradation psychique d’un homme, convaincu de subir les assauts d’une créature invisible qu’il appelle le horla. Ayant eu l’occasion de discuter de ce sujet avec M. Maupassant en personne, celui-ci m’a appris qu’à l’origine, son récit ne se présentait pas sous forme de journal, mais sous celle, beaucoup plus condensée et sans doute moins évocatrice sur le plan littéraire, du compte-rendu de la visite d’un asile d’aliénés, au cours de laquelle le narrateur, un visiteur candide, avait une troublante conversation avec un des pensionnaires, qui lui racontait son calvaire psychique. En conversant plus avant avec l’homme de lettres, je ne tardai pas à découvrir que ce premier jet n’avait en fait rien de fictif et qu’il avait lui-même rencontré un aliéné tenant ces mêmes propos, lors de la visite de la clinique d’un médecin de ses amis, le célèbre professeur Blanche, avec qui je pris aussitôt contact. Grâce à lui, je pus rencontrer l’homme qui avait servi de modèle à l’auteur du Horla et j’eus avec lui une série d’entretiens des plus révélateurs. Le sujet s’avéra être exactement ce que je pressentais : un médium raté, que les premières manifestations psychiques de ses extraordinaires facultés de perception, vécues à tort comme des agressions extérieures, avaient rendu irrémédiablement dément. (…) Depuis cette rencontre, j’ai pris l’habitude de surnommer effet Horla l’ensemble des phénomènes précédemment décrits.
Mais revenons à la médiumnité. Fort heureusement, l’effet Horla n’est pas la seule conséquence de l’éveil des facultés médiumniques d’un individu. Dans plus de la moitié des cas, cet éveil se traduit par une acceptation progressive de ses pouvoirs par le médium, lequel peut ensuite choisir ou non de développer sa vigilance psychique en multipliant les expériences. Il est toutefois intéressant de noter que la plupart des médiums ignorent tout des véritables causes et implications de leurs facultés : le rattachement de ces facultés à un prétendu au-delà et à une forme de communication avec les esprits des morts s’impose à eux comme la seule explication possible et conditionne ensuite tout leur vécu de médium, jusqu’à faire de certains d’entre eux de véritables fanatiques mystiques chez lesquels il est souvent impossible de distinguer authentiques phénomènes médiumniques et manifestations hystériques (…)
Mais quels sont exactement ces fameux pouvoirs ? De quoi un authentique médium est-il véritablement capable ?
Lorsqu’un authentique médium prétend ou croit entrer en contact avec l’au-delà, il entre en résonance avec l’od ambiant, accordant peu à peu son id intérieur aux fluctuations de l’od, suivant une forme d’harmonie psychique qu’il est le seul à percevoir. Une fois cette harmonie établie, le médium est en mesure de recevoir différents messages sous forme d’impressions psychiques extrêmement fortes. Contrairement à ce que prétendent les tenants de la doctrine spirite, ces messages ne sont pas envoyés au médium par un quelconque esprit : c’est le médium lui-même qui les capte, les détecte et les restitue en fonction des informations qu’il recherche. L’od n’est rien d’autre qu’un gigantesque océan de mémoire collective, totalement indépendant de l’espace et du temps : un médium peut donc y puiser n’importe quelle information, aussi éloignée puisse-t-elle paraître dans l’espace comme dans le temps. Selon un processus aussi fascinant que mystérieux, la vision intérieure d’un authentique médium semble lui permettre de naviguer intuitivement et extrêmement rapidement vers les informations recherchées. (…)
Les diverses pratiques connues dans le jargon spirite sous forme de psychométrie (divination à partir d’une carte géographique, imprégnation par le médium de l’atmosphère d’un lieu ou manipulation d’un objet intimement lié à l’information recherchée) s’expliquent alors de façon fort simple : la carte, l’endroit, l’objet, tout cela joue le rôle d’un support, d’un référent psychique à partir duquel le médium peut projeter ses perceptions dans l’od, un peu à la manière d’un chien de chasse reniflant une piste (…)
De nombreux aspects des phénomènes médiumniques authentiques sont produits par l’esprit du médium lui-même, ou plus précisément, par l’interaction de ses facultés et de ses croyances. Le fameux jeu des questions et des réponses, pratiqué par de nombreux médiums, ne constitue en fait qu’un rituel inconscient destiné à justifier un processus infiniment complexe par lequel l’id du médium trie les innombrables informations charriées par l’od ambiant. Il en va de même de deux autres phénomènes, parfois extrêmement spectaculaires, qui accompagnent presque toujours les authentiques manifestations médiumniques : l’altération de la voix du médium et la secrétion de matière gluante et phosphorescente généralement connue sous le nom d’ectoplasme. Avant de poursuivre notre étude des différentes facultés médiumniques, examinons de plus près ces deux manifestations.
Le phénomène d’altération vocale se traduit souvent par l’adoption d’une voix très éloignée de la voix ordinaire du médium, voix qui est censée être celle d’un esprit-guide parlant à travers la bouche du sujet. En réalité, cette voix est produite par le médium lui-même, selon un processus classique d’auto-suggestion. Chez de nombreux médiums, la croyance dans l’existence de cet esprit-guide est si fermement ancrée dans leur psychisme qu’il aboutit à l’émergence d’une véritable seconde personnalité, naturellement plus apte à gérer les manifestations du pouvoir médiumnique (…)
Quant à la production de matière ectoplasmique, elle demeure sans aucun doute la manifestation la plus spectaculaire et la plus caractéristique d’un authentique phénomène médiumnique. Le véritable ectoplasme se présente sous la forme d’une matière gluante et phosphorescente, de couleur vert pâle et totalement inodore. Cette matière est secrétée en quantités plus ou moins abondantes par le corps du médium, le plus souvent par les yeux, la bouche et les mains et, dans certains cas, par l’enveloppe physique tout entière du sujet. En règle générale, cette sécrétion est chaotique et incontrôlée ; dans certains cas, elle peut affecter la forme d’un visage, d’une silhouette ou d’un objet quelconque : là encore, c’est l’esprit du médium qui agit inconsciemment, sculptant les secrétions produites afin de leur conférer une forme perceptible. Plusieurs expériences que j’ai effectuées avec M. Karel Svoboda nous ont permis d’établir qu’au prix d’une concentration extrême, un médium était capable d’affecter consciemment la forme de ces secrétions, qui ne sont rien d’autre que des émanations de fluide. En entrant en résonance avec l’od, l’id du médium produit une sorte d’écho éphémère, qui se traduit par l’expulsion dans notre dimension d’une certaine quantité de fluide. La matière en question est hautement instable et, une fois inerte, se transforme en poussière en à peine quelques minutes, poussière dont l’examen microscopique ne révèle aucune anomalie ou singularité susceptible d’éveiller la curiosité. A ce stade de mes recherches, je suis incapable d’établir si le fluide ectoplasmique se désintègre ou s’il rejoint sa dimension d’origine sous une forme ou sous une autre. Il semble donc, pour le moment, impossible de conserver un quelconque échantillon de cette matière ectoplasmique, mais le résultat de récentes expériences m’incite à penser que l’application d’un champ électro-magnétique soigneusement mesuré pourrait permettre une stabilisation temporaire de la matière (…)
Enfin, un authentique médium peut effectivement avoir des prémonitions ou plus exactement des perceptions extra-sensorielles d’un futur possible, le plus souvent au cours de rêves ou de transes hypnotiques. Cette faculté reste la plus mal connue et la plus difficile à étudier de toutes les capacités médiumniques mais j’ai eu maintes fois l’occasion de vérifier son existence et son efficacité. En l’état actuel de mes recherches, je ne puis qu’hasarder l’hypothèse suivante : l’od étant, par nature, totalement intemporel, il contient ou reflète à la fois le passé, le présent et le futur – y compris les futurs possibles à partir d’un point d’observation particulier, c’est à dire le moment présent où l’id du médium entre en résonance avec l’od. A partir de là, il est parfaitement possible pour un médium de diriger sa vision intérieure vers le passé comme vers le futur mais plus l’itinéraire psychique à emprunter paraît incertain et nébuleux, plus le contact sera difficile à établir. Les chemins du futur étant, par définition, en perpétuelle mouvance, ils seraient, par nature, beaucoup plus accidentés que ceux du passé (…) Tout ceci m’amène aujourd’hui à la certitude que les phénomènes de médiumnité sont intimement liés à ce plus vaste phénomène, que nous percevons si imparfaitement et dont nous ignorons presque tout : le Temps…
Le professeur Hesselius ne croit pas si bien dire… En fait, ce qu’il appelle l’od ambiant n’est autre que la quatrième dimension. En traversant le Maelström pour revenir dans le passé, le Nautilus a créé d’énormes remous dans l’od ambiant, remous qui vont entraîner un certain nombre de conséquences que même les plus brillants savants du Club ne sauraient prévoir. La première de ces conséquences est une sorte de reflux psychique se traduisant par une augmentation progressive des phénomènes médiumniques se produisant à partir du point d’impact, l’an 1877. Là encore, seul le futur apportera la réponse : wait and see…
Les médiums et le Club
Les instances supérieures du Club n’ont pris que récemment conscience de la réalité des phénomènes médiumniques. Sur ordre de Nemo lui-même, une cellule spéciale a été constituée, avec pour but d’étudier ces phénomènes mais aussi de recruter d’authentiques médiums au sein du Club afin d’utiliser leurs facultés dans la Guerre Secrète contre le Symposium et la Machine. Placé sous la direction du professeur Hesselius et de quelques autres savants excentriques du même style, le cercle d’Hesselius n’en est pour le moment qu’à ses balbutiements mais pourrait bien jouer un rôle capital dans l’évolution du conflit…
Le Fluide
Le Fluide est l’énergie vitale primordiale, le dénominateur commun de tout ce qui est vivant dans l’univers – qu’il s’agisse de vie végétale ou animale. Pour des raisons encore mal définies, sa quantité varie considérablement d’une espèce à une autre : plus une espèce est évoluée sur le plan psychique, plus ses représentants sont riches en Fluide. En tant que créatures conscientes de leur existence et de leur mortalité, les êtres humains se situent donc au sommet de l’échelle fluidique – du moins en ce quiconcerne les espèces terrestres.
Histoire (et fin) d’une autre terre
Dans le futur d’origine de Nemo, le monde a été secoué par une terrible Première Guerre Mondiale en 1897, avant de tomber aux mains des Prométhéens en 1900, conformément à la stratégie secrète mise en place par le Symposium et ses alliés extra-terrestres. C’est pour éviter cet enchaînement de désastres aboutissant à la destruction quasi-totale de l’humanité que le capitaine et son équipage ont franchi les portes du temps, dans le but de ré-écrire l’histoire. Cette section examine en détail les événements qui, dans le monde de Nemo, menèrent la Terre à la catastrophe : ils ne peuvent se reproduire tels quels dans le monde d’Uchronia (notamment à cause de la disparition prématurée de certains personnages) et sont exposés ici pour donner au Chroniqueur un aperçu de l’étrange passé du Capitaine Nemo, ainsi que de la facilité avec laquelle un monde peut, en quelques années, courir à sa destruction…
Dans un premier temps, cette guerre mondiale va s’articuler autour d’un conflit entre les États Unis d’Amérique et la Grande Bretagne, entraînant bientôt l’entrée en jeu des autres grandes nations du globe. Dans les années 1890, les États Unis ont achevé la domestication de leur vaste territoire et se tournent à présent vers le reste du monde : c’est tout naturellement que l’esprit de conquête américain se tourne vers l’Amérique du Sud et vers l’Océan Pacifique, qui pourraient bien devenir le berceau d’un futur empire comparable à celui des vieilles puissances européennes.
Ce nouvel esprit expansionniste, susceptible de déséquilibrer les rapports de force entre les grandes nations du globe, sert évidemment les desseins du Symposium… La stratégie des maîtres de la Machine est simple : provoquer divers incidents diplomatiques avec d’autres pays, dans le but de déclencher une montée de la tension internationale puis, finalement, une véritable guerre aux répercussions mondiales.
Leur carte-maîtresse est un certain Sillerton Warren Jr, fils du célèbre milliardaire américain excentrique. Animé par un patriotisme presque mystique, Sillerton croit à la destinée manifeste de son pays et est prêt à devenir le porte-étendard d’une nouvelle ère placée sous le signe de la souveraineté américaine. Élu sénateur de Californie grâce à son charisme peu commun, Sillerton Warren Jr connaît bientôt une ascension politique fulgurante, largement favorisée par les manipulations secrètes du Symposium, et se retrouve, en 1893, Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères sous la présidence de Grover Cleveland. Le cauchemar peut alors commencer…
1896 : Crise du Venezuela
Le Venezuela est alors placé sous la double-influence des États Unis, qui considèrent l’Amérique du Sud comme leur chasse gardée, et de la Grande Bretagne, par l’intermédiaire de sa colonie limitrophe de Guyane britannique. Depuis quelques années, un différend frontalier oppose les deux pays : sans le moindre avertissement, Warren décide de régler la question en envoyant des troupes sur place. La guerre sera évitée de justesse, mais l’incident entraîne une rupture des relations diplomatiques entre Londres et Washington. De son côté, l’Europe s’inquiète et condamne le comportement belliqueux du gouvernement américain. Le premier pas vers la guerre vient d’être franchi.
1897 : Sillerton Warren Jr à la Maison Blanche
Cet épisode a conféré à Sillerton Warren Jr une extraordinaire popularité auprès de l’opinion publique américaine : en quelques mois, Sillerton Warren Jr éclipse le président et devient le nouvel homme fort des États Unis. En novembre 1897, sa victoire aux élections présidentielles est un véritable triomphe…
1897 : Crise des Samoa
Après le Venezuela, Warren va jeter son dévolu sur les Iles Samoa : situé sur la principale route vers l’Asie et l’Australie, cet archipel constitue un enjeu stratégique majeur pour le commerce maritime. Il est placé sous le triple contrôle de la Grande Bretagne, des États Unis et de l’Allemagne. Warren propose tout d’abord aux deux autres nations d’acheter leur part du territoire, ce que les intéressés refusent évidemment avec indignation. Quelques jours plus tard, les possessions britanniques font l’objet de bombardements particulièrement destructeurs. La tension est à son comble. Un peu partout dans le monde, des voix, notamment celles du politicien français Georges Clémenceau, s’élèvent pour demander la tenue d’une grande conférence internationale pour la paix — en vain.
1897 : Les Américains à l’aide des Boers
Nouvelle provocation américaine contre les intérêts britanniques, cette fois-ci en Afrique : les États Unis livrent des armes aux Boers, ces colons d’Afrique du Sud d’origine néerlandaise réfractaires à l’autorité britannique. Cette fois-ci, la coupe est pleine : le gouvernement de Sa Majesté ne tolèrera plus la moindre provocation de la part des États Unis et envoie un ultimatum solennel à la Maison Blanche.
1897 : Le Feu aux poudres
L’ultimatum n’a aucun effet et, le 2 Juillet 1897, la guerre entre les deux grandes puissances éclate – il s’agit d’abord d’un conflit essentiellement maritime, limité à l’océan atlantique, mais, très vite, l’affrontement s’étend à la terre ferme : en Afrique, puis en Amérique du Sud et même au Canada… Profitant de la confusion internationale, le Japon lance sa formidable flotte de guerre à l’assaut de la Chine, dont les côtes subissent d’effrayants bombardements vulcaniques. La Russie, inquiète de voir le Japon poser un pied en Asie, rejoint le conflit début septembre 1897. Quelques jours plus tard, c’est au tour de l’Allemagne d’entrer dans la danse, avec une déclaration de guerre conjointe à l’Angleterre et à la France.
1897–1899 : Un Monde en flammes
Les terrifiantes citadelles roulantes de l’Eisenwehr (« armée de fer ») allemande sèment la mort et la destruction sur leur passage : en quelques semaines, la France est réduite à l’état de champ de ruines. La Grande Bretagne résiste vaillamment mais cède bientôt sous les bombardements vulcaniques des dirigeables de guerre du Comte Zeppelin. Le 13 octobre 1898, Londres est définitivement détruite, sonnant le glas de l’empire britannique. Les morts se comptent bientôt par dizaines de millions. L’Europe et l’Asie sont dévastées par les bombardements chimiques et vulcaniques.
1899–1900 : Le dernier acte
Au milieu de ce désastre, deux vainqueurs semblent émerger : les États Unis d’Amérique et l’Empire du Japon… mais la sphère pacifique est sans doute trop petite pour ces deux géants qui, en décembre 1899, entrent en guerre l’un contre l’autre. En 1900, lorsque les Prométhéens débarquent en masse, la Terre n’est plus qu’un immense no man’s land et l’humanité a épuisé ses dernières forces. Un nouveau cauchemar peut alors commencer…
La preuve en images
A bord du Nautilus, Nemo dispose d’images cinématographiques de la Guerre qui ravagea son futur d’origine : on y voit, entre autres, un Londres en ruines survolé par les zeppelins de la Sturmwaffe et un Paris dévasté, théâtre d’affrontements entre d’effrayantes machines blindées… De telles images sont propres à convaincre les plus sceptiques de la réalité de cette guerre à venir – le fait que le cinématographe n’ait pas encore été découvert renforce évidemment le choc que leur projection est susceptible de provoquer chez des spectateurs des années 1890. Dans le futur de Nemo, les images animées firent leur apparition en 1896… sous patente Edison, bien entendu !
Deuxième Partie : L’aube de la terre
Au commencement étaient les Anciens…
Il y a de cela un peu plus de 15 000 ans, un étrange artefact pénétra à l’intérieur de notre système solaire. Il s’agissait d’une nef d’exploration appartenant à un peuple extra-terrestre venu d’Alpha du Centaure, un peuple dont l’origine se perd dans les méandres du temps et que les chroniques atlantes désignent sous le nom d’Anciens. Endommagée par le long voyage interstellaire, le vaisseau se posa en catastrophe sur l’une des deux planètes habitables de notre système solaire : Mars, que les naufragés baptisèrent Mu. Ce sont les vestiges de ce vaisseau, d’une taille gigantesque, que, bien plus tard, nos astronomes baptisèrent Olympus, les confondant avec une montagne. Principal bâtiment de la flotte d’exploration des Anciens, la nef Olympus convoyait, à l’intérieur de ses flancs, près de deux cent milliers d’individus ayant voué leur existence entière à la découverte et à la colonisation de mondes nouveaux, quête qui pouvait parfois s’étendre sur plusieurs siècles : déjà dotés d’une longévité naturelle cinq fois supérieure à celle de l’espèce humaine, les Anciens qui s’embarquaient pour le Long Voyage voyaient leur espérance de vie encore augmentée par l’usage régulier de puissants élixirs d’immortalité. Conçues spécialement pour les voyageurs stellaires, ces drogues agissaient également comme des contraceptifs – effet secondaire qui avait pour objectif d’empêcher toute surpopulation à bord des nefs.
Totalement coupés de leur monde d’origine, les survivants du naufrage martien décidèrent de s’établir en colons sur cette nouvelle planète (alors fertile) en attendant que le contact avec leur planète-mère puisse être rétabli, ce qui prendrait certainement plusieurs siècles, compte tenu de la durée de leur voyage. Confrontés à la nécessité d’organiser la petite communauté, les membres de l’équipage, issus pour la plupart de la caste guerrière, prirent rapidement les rênes du pouvoir, confiant aux scientifiques de l’équipe d’exploration la difficile mission d’acclimater la planète pour la rendre naturellement habitable. Dotés d’une ossature très fine, les Anciens supportaient très mal les gravités élevées et une part du programme d’acclimatation fut consacrée à réduire la pesanteur martienne, une mesure qui provoquerait bien plus tard la lente mort de Mars.
Les premières études géologiques effectuées décelèrent dans le sous-sol martien d’importants gisements de vulcanium, minerai indispensable à la technologie des Anciens : la présence de ce précieux métal contribua sans doute à attiser la convoitise et la soif de pouvoir des gouverneurs militaires, dont l’assemblée se transforma bientôt en véritable oligarchie jalouse de son autorité et de ses privilèges. Avec le temps, il apparut aux dirigeants de la colonie que le rétablissement d’un contact avec leur monde d’origine mettrait fin à leur règne : il importait donc d’entraver au maximum les efforts entrepris en ce sens par les scientifiques, qui s’opposaient de plus en plus au diktat des militaires. Désireux de fonder leur propre empire, les Gouverneurs décrétèrent que les vaisseaux originellement destinés à regagner la planète-mère seraient en fait utilisés pour explorer les mondes voisins et défendre la colonie contre toute agression extérieure – y compris contre l’arrivée d’une éventuelle mission de secours…
Au bout de quelques siècles, la colonie martienne était devenue une puissance totalement autonome, despotique et décadente. Les Gouverneurs, rendus quasiment immortels (et définitivement stériles) par une consommation immodérée d’élixirs de longévité, étaient devenus des tyrans instables et capricieux, retranchés dans leur citadelle au sommet du Mont Olympus. Quant aux scientifiques, ils avaient apparemment renoncé à toute velléité d’opposition, contraints par la force de collaborer aux menées de l’oligarchie. Grâce à de savantes manipulations génétiques, de nombreuses espèces animales originaires de Mars avaient atteint un niveau d’intelligence suffisamment élevé afin de servir les Anciens, notamment dans l’extraction et l’exploitation du précieux Vulcanium : parmi ses races se trouvaient les Octopoïdes, créatures mi-pieuvres mi-méduses chargées de récolter les nodules vulcaniques au fond des océans martiens. A cette époque, les Anciens étaient bien loin de se douter qu’un jour encore lointain, la race-esclave des Octopoïdes régnerait à leur place sur la surface de Mars…
Des ingénieurs furent chargés de transformer l’une des lunes en nef interstellaire et, pendant des décennies, ils pillèrent les vestiges d’Olympus, récupérant un des immenses moteurs ainsi que les différents systèmes de navigation, afin de permettre à Atlantis (nom qu’ils avaient donné à cette lune) de prendre son essor hors de l’attraction martienne. Vaisseau expérimental, l’Atlantis ne faisait que quelques kilomètres de diamètre et était loin de pouvoir rivaliser avec son glorieux ancêtre, mais sa construction marqua un tournant décisif dans l’histoire des Anciens de Mu. Près de sept cents ans après l’atterrissage forcé, la colonie devenue empire était enfin dotée de son premier bâtiment interplanétaire, prête à découvrir et à conquérir le reste du système solaire, avec à son bord plusieurs dizaines de milliers d’explorateurs tout dévoués à l’oligarchie…
L’ère des Atlantes
Pendant tous ces siècles de despotisme, les principaux membres de la communauté scientifique martienne s’étaient peu à peu regroupés au sein d’une fraternité secrète, luttant par tous les moyens possibles contre le pouvoir dictatorial des gouverneurs. Au fil du temps, nombre d’entre eux décidèrent que la seule issue était de quitter Mu pour fonder, sur une autre planète, une société juste et égalitaire, entièrement placée sous l’égide de la science. La veille de la grande fête donnée en l’honneur du départ de l’Atlantis, fixé au jour anniversaire du naufrage fondateur, la fraternité des savants sabota les principaux réacteurs vulcaniques qui alimentaient la citadelle d’Olympus, provoquant la panique parmi les gouverneurs et leurs serviteurs. Profitant du black-out général, vingt-mille rebelles de la fraternité parvinrent à s’embarquer clandestinement à bord de l’Atlantis, prenant le contrôle total de la nef, qui quitta bientôt l’orbite martienne, abandonnant à jamais la planète en quête d’un monde meilleur…
Ordre fut alors donné d’abattre le vaisseau-lune. Sévèrement touché par un missile vulcanique, l’Atlantis parvint néanmoins à s’échapper et, au terme d’un court voyage spatial, atterrit en catastrophe sur la planète la plus proche de Mars : la Terre… De nos jours, dans une contrée que les hommes appellent l’Australie, on peut toujours admirer la coque minérale de l’Atlantis – qui n’est autre que le célèbre rocher d’Ayers Rock.
Dès leur arrivée sur ce nouveau monde, ceux qui se baptisaient désormais les Atlantes découvrirent que la Terre était non seulement habitable, mais d’ores et déjà habitée. Parmi les nombreuses créatures terrestres, les savants atlantes s’intéressèrent tout particulièrement à la jeune espèce humaine, dont les représentants étaient étonnamment proches de leur propre physionomie : ces êtres primitifs maîtrisaient déjà l’usage d’outils rudimentaires et les cavernes où ils s’abritaient étaient ornées de superbes peintures qui indiquaient que cette race était à l’aube de découvrir l’écriture, premier pas vers la civilisation. Ce premier contact entre Atlantes et humains est à l’origine des mythes aborigènes sur le peuple des Mimis, géants graciles capables de séjourner et de voyager à l’intérieur des pierres…
Certains Atlantes restèrent sur place, à l’intérieur et autour du vaisseau-lune, devenant les gardiens du précieux artefact et de ses nombreux secrets ; d’autres décidèrent de partir à la découverte du reste de la planète, fondant bientôt une nouvelle colonie sur un vaste continent vierge de toute présence humaine, situé entre l’actuelle Europe et l’Amérique, au milieu de cet océan que nous appelons Atlantique. Là, ils fondèrent une civilisation qui allait bouleverser l’histoire de notre monde et laisser son empreinte dans les croyances, les sciences et les rêves de l’Humanité : l’Atlantide était née.
Apogée et décadence d’une civilisation
Pendant plus de quatre mille ans, les Atlantes s’épanouirent sur la Terre, oubliant presque la menace de leurs frères ennemis de Mu. Abandonnant les élixirs de longévité qui avaient corrompu la colonie martienne, ils instaurèrent une république où tous avaient voix, et où seul le bien de la communauté importait. Forts de leur extraordinaire savoir, ils se considéraient toutefois comme les seigneurs et maîtres de toutes les autres espèces terrestres, n’hésitant pas à modifier certaines d’entre elles par la magie de leur science. Ainsi naquirent les Selkies et les Hommes Taupes, créatures artificiellement évoluées ou recombinées par les savants d’Atlantis. La technologie des Atlantes, tout comme celle des Anciens, reposait en grande partie sur le Vulcanium, le fameux orichalque mentionné par Platon dans son récit sur l’Atlantide. Minerai apparemment présent sur la plupart des mondes du système solaire, le Vulcanium était beaucoup plus rare sur Terre que sur Mars et fit l’objet d’une exploitation intensive par les Atlantes : les Selkies le récoltaient au fond des mers, alors que les Hommes Taupes l’extrayaient des entrailles de la planète.
Principe fondateur de leur société, la science des Atlantes était en constante évolution, libérée des contraintes imposées par l’oligarchie martienne. Guidés par leur volonté d’omniscience, les Atlantes percèrent les secrets du temps et de l’espace, ceux de la matière et ceux de la vie. Imbus de leur savoir et de leur supériorité, ils se présentèrent bientôt aux hommes sous l’apparence de dieux, contribuant à créer les premiers mythes de l’humanité et guidant avec indulgence les lents progrès de notre espèce sur la voie de la civilisation.
L’extraordinaire ville d’Atlantis, nommée en l’honneur de leur vaisseau d’exode, fut la plus grande et la plus belle cité jamais édifiée à la surface de notre planète. Les bâtiments, d’une finesse extrême, s’élevaient dans le ciel, défiant la pesanteur ; de nombreux jardins reproduisaient l’environnement des différentes planètes que la race des Anciens avait visitées, reconstitués d’après les souvenirs emmagasinés dans les cylindres de connaissances apportés de Mars. De fabuleuses fontaines projetaient de l’eau sculptée par la technologie des champs de force, véritables œuvres d’art mouvantes représentant les héros de la révolte et les fondateurs de la cité. Dans les rues immaculées, il n’y avait nulle trace de pauvreté ; les larges avenues étaient pavées de marbre et d’onyx, les façades des demeures ornées d’or et d’argent, de nacre et de quartz irisé. Au cœur de la resplendissante capitale s’élevait l’immense palais du sénat, où chaque citoyen atlante pouvait faire entendre sa voix.
Mais ni les idéaux de sa culture ni les prodiges de sa science ne préservèrent cette civilisation de la décadence et de l’érosion : insensiblement, la société atlante devint de plus en plus corrompue, oubliant les principes philosophiques qui avaient présidé à sa constitution. La cité devint bientôt un monument dédié au vice et au plaisir, des gladiateurs humains combattaient des Selkies, des Hommes Taupes ou d’autres créatures altérées pour le plaisir des spectateurs dans de gigantesques arènes, qui remplacèrent bibliothèques et parcs. A la tribune du parlement, on lança un jour l’idée de partir à la conquête de Mu, afin d’imposer l’ordre atlante aux arrogants Anciens de la colonie : peu à peu, cette idée fit son chemin et la perspective d’une guerre interplanétaire devint l’ultime caprice d’une société malade de son omnipotence. Pendant cette période trouble, un groupe d’idéalistes, qui n’arrivait pas à faire entendre sa voix dans le tumulte général, comprit que l’Atlantide était à l’agonie et que sa chute était imminente. Alors que les bellicistes s’enflammaient, ces derniers apôtres du pacifisme entreprirent de sauvegarder tout le savoir accumulé par leur race dans des sanctuaires secrets dissimulés sur tous les continents du globe. Bientôt, le Grand Déluge s’abattit sur la Terre, détruisant en quelques heures l’Atlantide et toute sa civilisation.
La Guerre Diluvienne
Quelques mois à peine avant ce cataclysme, les grandes forges atlantes produisaient d’effrayantes armes de destruction massive, destinées à rayer toute vie de la surface de Mars. Durant plusieurs semaines, les ingénieurs de guerre atlantes procédèrent aux lancements de ces mortels artefacts, illuminant le ciel d’explosions incandescentes, qui devinrent bientôt un spectacle de plus pour les citoyens ; il y eut même des poètes pour vanter l’émouvante beauté de ces traits de feu frappant les cieux lointains. Des astronomes guettaient dans leurs télescopes l’arrivée des premiers missiles, avertissant le sénat chaque fois qu’un impact était décelé à la surface de Mars. L’euphorie régnait dans la capitale Atlantis : l’absence totale de riposte semblait indiquer que la science des Atlantes avait définitivement supplanté celle de leurs aînés martiens. La victoire serait totale, et le triomphe mythique.
Sur Mars, la civilisation des Anciens avait effectivement décliné. En combattant les savants, l’oligarchie avait condamné la colonie à la stagnation, puis à la régression. Pendant les millénaires où les Atlantes avaient prospéré et régné sur la Terre, les Anciens de Mu, se focalisant sur le seul domaine qu’ils avaient toujours dominé, celui de la guerre et de l’armement : au fil du temps, la crainte d’être retrouvés par des émissaires venus de leur monde d’origine s’était muée en véritable obsession, et la possibilité d’une vengeance atlante n’avait fait que renforcer la paranoïa des membres de l’oligarchie, qui décidèrent de tout mettre en œuvre pour préserver la citadelle Olympus de toute attaque extérieure. Dans ce but, leurs ingénieurs spécialisés dans la science de la guerre conçurent de puissants boucliers magnétiques à l’épreuve des armes les plus dévastatrices et un gigantesque canon à cristal incandescent, arme absolue capable d’atteindre la surface de la Terre…
Grâce au pouvoir des boucliers, les premières explosions des missiles atlantes sur Mars furent ressenties à l’intérieur d’Olympus comme de simples piqûres d’insectes, même au plus fort de l’attaque. Une semaine passa, sans que les Anciens ne lancent la moindre riposte. Invulnérables, ils attendaient simplement la conjonction planétaire idéale pour viser le cœur-même de l’ennemi. Un soir, les astronomes atlantes observèrent une éruption de flammes et de vapeurs vertes au sommet d’Olympus et crurent naïvement que les mystérieuses défenses de la citadelle avaient enfin été percées… Ils ne pouvaient savoir qu’il s’agissait en fait des signes de l’activation du canon à cristal. Soudain, alors qu’Atlantis se préparait déjà à fêter sa victoire, une colonne de feu descendit du ciel et détruisit la cité, carbonisant en quelques instants des millions d’Atlantes. Trois autres salves suffirent à faire sombrer le continent entier, provoquant un immense raz-de-marée – le fameux Déluge de la Genèse. Le pilier de feu et la destruction soudaine de l’Atlantide provoquèrent de nombreux changement dans le climat de la planète, et modifièrent même son axe de rotation, ce qui entraîna des conséquences cataclysmiques : pendant des mois, les nuages crées par l’extrême chaleur des salves du canon déversèrent des litres d’eau sur les terres, provoquant inondations et coulées de boues, et de nombreux séismes déchirèrent la surface de la planète ; un peu partout, des volcans endormis se réveillèrent, vomissant leur lave incandescente sur des plaines autrefois fertiles ; des régions entières du globe devinrent des déserts de glace ou de sable, tandis que, lentement, la Terre renaissait…
Après le cataclysme
Seuls quelques dizaines d’Atlantes survécurent au désastre : la plupart d’entre eux étaient des pacifistes bannis hors d’Atlantis pour s’être opposés de toute leur âme à la guerre contre Mu et qui, ironie suprême, ne devaient leur salut qu’à leur exil dans des terres lointaines. Derniers représentants d’une race foudroyée par sa propre arrogance, ces survivants choisirent de ne plus jamais se comporter en conquérants, mais d’œuvrer dans l’ombre pour le bien de l’humanité en guidant ses esprits les plus prometteurs sur la voie de la sagesse. Pour accomplir cette noble mission, les derniers Atlantes se dispersèrent à travers le monde et se mêlèrent aux tribus humaines afin de les aider à rebâtir de nouvelles civilisations, dont ils devinrent les dieux, les sages ou les héros. L’Age de l’Atlantide était révolu, et le règne de l’Homme pouvait commencer.
L’héritage atlante
Lorsque les Atlantes les plus clairvoyants sentirent que la dernière heure de leur civilisation avait sonné, certains d’entre eux décidèrent de rassembler et de conserver l’histoire de leur peuple, ainsi que l’extraordinaire savoir scientifique qu’il avait accumulé au fil des siècles, afin de laisser un témoignage de la grandeur d’Atlantis – ainsi qu’un avertissement solennel — aux futurs héritiers de la Terre. Ces connaissances furent enregistrées sous forme cryptée sur des cylindres faits d’un alliage vulcanique extrêmement léger, qui furent placés dans des Sanctuaires virtuellement indestructibles, situés dans les endroits les plus inaccessibles du globe. Ces Sanctuaires étaient au nombre de sept. Chacun d’entre eux abritait douze cylindres, ainsi qu’une machine permettant de les décrypter. De ces sept cylindres, seuls deux résistèrent aux destructions de la Guerre Diluvienne et aux ravages du temps : l’un d’eux, englouti sous les eaux près d’une Porte temporelle, devint une sorte de monument sacré pour le peuple sous-marin des Selkies, dernier vestige de l’ancienne civilisation qui les avait créés et asservis. Créatures foncièrement pacifiques, indifférentes aux notions de conquête, de science, de pouvoir ou de technologie, les Selkies ne cherchèrent jamais à s’emparer des trésors contenus à l’intérieur du Sanctuaire hermétiquement clos – mieux encore, ils savaient qu’un jour « le dernier sage de la surface » viendrait revendiquer ses trésors pour sauver le monde et mener les Selkies vers une nouvelle ère…
C’est ce Sanctuaire sous-marin qui fut redécouvert par Nemo dans son futur d’origine. C’est là qu’il trouva les cylindres atlantes et l’appareil-décrypteur — qui devait devenir Mnemos, la machine pensante du Nautilus. Ces merveilles issues d’une civilisation perdue furent évidemment embarquées à l’intérieur du submersible. Après son grand saut dans le temps, Nemo, avec l’aide des Selkies, retrouva le Sanctuaire, dont le précieux contenu existait désormais en double exemplaire. Après mûre réflexion, il décida de laisser l’endroit tel quel : ainsi, même si le Nautilus venait à sombrer et que les cylindres possédés par le Club soient irrémédiablement détruits, le Sanctuaire, toujours gardé par les Selkies, en conserverait l’intégralité…
Presque tout le monde dans l’univers d’Uchronia ignore qu’un second Sanctuaire, situé dans les hauteurs de l’Himalaya, a survécu au passage des millénaires… Nous n’en dirons pas plus pour le moment, mais sachez que ce Sanctuaire est, en grande partie, à l’origine du Savoir Secret des Adeptes, les magiciens du monde d’Uchronia (voir ci-après).
Fin des Anciens et genèse des Prométhéens
La guerre diluvienne sonna le glas de l’Atlantide mais marqua également le début de la lente érosion de la civilisation martienne. Peu à peu, les Anciens entrèrent en décadence, à mesure que la planète autour d’eux se mourait. Enfermés dans leur citadelle, ils regardaient les plaines, les lacs et les mers de leur colonie se transformer peu à peu en un immense désert rouge, aux sables saturés de poussière de Vulcanium : l’atmosphère elle-même, irrémédiablement corrompue par les émanations et les retombées des bombes atlantes, devint bientôt irrespirable hors des boucliers d’Olympus, ultime bastion d’une race à l’agonie. Peu à peu, les réserves de Vulcanium s’épuisèrent et les Anciens durent renoncer à leurs armes et à leurs machines les plus avancées afin de maintenir les systèmes de survie d’Olympus en état de fonctionnement : ainsi les fameux Boucliers, qui avaient protégé la colonie des assauts atlantes, durent être désactivés, faute d’énergie. Quelques siècles après leur ultime victoire sur les Atlantes, les Anciens étaient devenus un peuple dément, prisonnier de ses chimères passées et promis à une lente extinction. Leur fin inéluctable allait être précipitée par l’invasion soudaine des Octopoïdes, ces créatures-esclaves qu’ils avaient eux même créés dans un lointain passé pour récolter le Vulcanium au fond des mers.
Bien que soumises à leurs maîtres du mont Olympus, ces créatures n’en étaient pas moins intelligentes et possédaient une forme de civilisation fondée sur un système de sous-espèces équivalentes à des castes : les Ramasseurs, spécifiquement chargés de la récolte du minerai, les Protecteurs, assurant la défense et la discipline des groupes de ramassage, et les Régisseurs, caste supérieure chargée de la surveillance des matrices de reproduction et seule habilitée à traiter avec les « Dieux d’en haut », les Anciens. Lorsque la pollution planétaire commença à empoisonner l’eau des mers, tuant des milliers de larves Octopoïdes, les Régisseurs comprirent que leurs dieux les avaient abandonné, les condamnant à une mort certaine. Nul ne sait exactement ce qui se produisit alors : selon toute vraisemblance, les Régisseurs parvinrent à manipuler le fonctionnement des matrices, qui donnèrent naissance à des créatures mutantes, pour lesquelles les particules vulcaniques n’étaient plus un poison, mais un nutriment vital. Ces nouveaux Octopoïdes étaient également dotés de cerveaux hyperdéveloppés générateurs d’un flux télékinésique leur permettant par exemple de se déplacer en flottant au-dessus du sol. Émergeant en masse d’un environnement naturel désormais inhabitable, poussés par la nécessité de la survie collective, les Octopoïdes s’adaptèrent rapidement à leur nouveau milieu et entrèrent bientôt en lutte contre leurs maîtres d’autrefois pour le contrôle de la surface. Les Anciens résistèrent plusieurs siècles mais furent finalement submergés par le nombre sans cesse croissant de leurs ennemis. Ces derniers, grâce à leurs facultés psychiques de plus en plus développées, étaient devenues capables d’absorber psychiquement les connaissances des Anciens, s’emparant bientôt de leurs secrets les plus précieux. C’est ainsi, qu’au fil des générations, les anciennes créatures-esclaves apprirent à concevoir leurs propres machines et à combattre leurs maîtres de jadis avec leurs propres armes…Peu à peu, les Anciens disparurent de la surface de Mars et les Octopoïdes, que l’humanité connaîtrait plus tard sous le nom de Prométhéens, prirent possession de la planète rouge…
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