Mystères & Révélations

La Vérité est ici

Au pre­mier abord, le thème cen­tral d’Uchronia peut sem­bler assez simple : une his­toire somme toute clas­sique de conspi­ra­tion, avec une éven­tuelle inva­sion extra­ter­restre à la clé, le tout sau­pou­dré d’une bonne dose de machines bizarres et d’une pincée de pou­voirs psy­chiques pour faire bonne mesure… bref, une sorte de X-Files à la sauce vic­to­rienne. Les choses sont (mal)heureusement loin d’être aussi simples, car la Guerre Secrète dans laquelle les héros vont se retrou­ver impli­qués résulte en réa­lité d’événements plutôt com­plexes, fai­sant inter­ve­nir, entre autres, une machine à remon­ter le temps, les secrets oubliés d’Atlantis, des voya­geurs venus du futur et une mys­té­rieuse race d’humanoïdes amphi­biens…

Tôt ou tard, les agents du Club se posent cer­taines ques­tions… D’où vient cette étrange pres­cience que les Invi­sibles semblent par­fois pos­sé­der concer­nant des évé­ne­ments a priori impos­sibles à pré­voir ? Et com­ment les Invi­sibles peuvent-ils connaître l’existence des Pro­mé­théens, alors que la grande majo­rité des membres de la Machine semble tout igno­rer à ce sujet ? Si la Machine pro­fite des fabu­leuses connais­sances scien­ti­fiques des Pro­mé­théens, d’où peut donc pro­ve­nir l’extraordinaire tech­no­lo­gie employée par les agents du Club ? Com­ment a-t-on pu conce­voir des mer­veilles comme les logi­graphes ou les syn­chro­ni­sa­teurs quand la plu­part des savants com­men­çaient à peine à décou­vrir les appli­ca­tions de l’électricité ? Et si le Club n’existe que pour contre­car­rer les plans de la Machine, com­ment se fait-il qu’il ait été créé plus de dix ans avant son orga­ni­sa­tion adverse ? Lorsque des ques­tions de ce genre com­mencent à se faire jour dans l’esprit des héros, il est temps pour eux de décou­vrir un des plus grands secrets de l’univers d’Uchronia.

Première Partie : Le Temps, l’Esprit et la Quatrième Dimension

L’Effet Widdershin

L’Effet Wid­der­shin ou « La Véri­table Odys­sée du Capi­taine Nemo ».

Wid­der­shin : adverbe anglais signi­fiant « dans le sens contraire des aiguilles d’une montre »

Note Importante A priori, seuls les Invisibles et quelques agents privilégiés connaissent en détail les faits exposés ci-dessous… Quant aux serviteurs des Prométhéens, aucun d’entre eux, même au sein du Symposium, n’en sait assez pour pouvoir soupçonner l’insoupçonnable… du moins pour le moment, car les récentes découvertes du Professeur Barrymore sur l’Espace-Temps et la Quatrième Dimension pourraient bien le mettre sur la voie. Le Chroniqueur devra gérer comme il l’entend la découverte des détails du Projet Widdershin et de ses conséquences par les héros du Feuilleton. Quelle que soit la méthode adoptée, le récit qui suit ne devra en aucun cas être communiqué tel quel aux joueurs : il est nettement préférable plus intéressant de laisser les joueurs échafauder leurs théories, en leur offrant d’un Épisode à l’autre quelques indices susceptibles de les faire avancer dans leurs conjectures…

Tout com­mence dans le futur, en l’an 1899, sur une Terre rava­gée par trois années d’une guerre aussi sté­rile que meur­trière. Un brillant ingé­nieur, que nous appel­le­rons le Voya­geur, super­vise dans le plus grand secret les der­nières étapes de la construc­tion d’un sous-marin ultra-per­fec­tionné, le Nau­ti­lus. Paci­fiste convaincu, le Voya­geur a refusé de livrer les plans du Nau­ti­lus aux diri­geants de son pays – ou à qui que ce soit d’autre – de peur de voir son inven­tion, des­ti­née à l’exploration des océans, trans­for­mée en redou­table outil de des­truc­tion… Avec quelques autres idéa­listes, il a vai­ne­ment tenté d’enrayer la course à la guerre en fai­sant appel à la conscience des chefs des grandes nations civi­li­sées, en pure perte. Aussi, après avoir épuisé ses der­nières réserves d’espoir et de foi en l’homme, a-t-il fina­le­ment décidé d’abandonner le monde à son sort et de s’embarquer à bord du Nau­ti­lus, avec son épouse, ses enfants et quelques uns de leurs amis, afin de ral­lier les îles du nord de l’Ecosse, encore épar­gnées par la guerre. Pour ce faire, il a réuni un équi­page com­posé de marins et de méca­ni­ciens de dif­fé­rentes natio­na­li­tés, d’une com­pé­tence et d’une loyauté éprou­vées. Le périple ne sera pas exempt de dan­gers, car le fond des mers est devenu, lui aussi, un gigan­tesque champ de bataille, mais le Nau­ti­lus est un bâti­ment unique, capable de battre à la course n’importe quel autre sub­mer­sible… et armé de puis­santes tor­pilles vul­ca­niques, que le Voya­geur s’est résolu à ins­tal­ler afin de pou­voir se défendre en cas d’attaque : désor­mais, pré­ser­ver la vie des siens est tout ce qui lui importe. Quelques jours avant la date prévue pour le grand départ, la guerre se charge de rat­tra­per le Voya­geur : la ville où séjour­nait sa famille est rayée de la carte par un bom­bar­de­ment massif d’obus au Vul­ca­nium. Plu­sieurs cen­taines de mil­liers d’êtres humains péris­sent dans le feu écar­late, parmi les­quels la femme et les enfants du Voya­geur. Brisé par cette ultime tra­gé­die, il songe à se sui­ci­der, mais la colère l’emporte bien­tôt sur le cha­grin et le Voya­geur décide de vivre pour venger les siens et toutes les autres vic­times inno­centes de cette guerre absurde. Avec un équi­page réduit, il s’embarque à bord du Nau­ti­lus – mais avec un but bien dif­fé­rent de ceux qui l’animaient jusqu’alors : faire la guerre à la guerre sous son propre pavillon et en son seul nom, celui d’un homme qui a tout perdu et ne désire plus que l’oubli. Il prend alors le nom de Nemo (« per­sonne »), en signe du sacri­fice de son iden­tité. Com­mence alors une cam­pagne de plu­sieurs mois, au cours de laquelle le Nau­ti­lus envoie par le fond un grand nombre de navires de guerre et de sub­mer­sibles mili­taires, sans dis­tinc­tion de natio­na­lité, semant la panique sur son sillage…

Puis, en 1900, l’impensable sur­vient : la Terre est enva­hie par les Pro­mé­théens. Affai­blies et divi­sées par la Grande Guerre, les nations du globe n’opposent qu’une résis­tance déri­soire aux enti­tés venues de Mars, qui colo­nisent en quelques mois la quasi-tota­lité de la pla­nète, exter­mi­nant sans pitié ses der­niers défen­seurs et rédui­sant les popu­la­tions ter­ri­fiées à l’état de bétail humain. Depuis sa cabine du Nau­ti­lus, le Voya­geur assiste, frappé d’horreur, à l’irrémédiable des­truc­tion de ce monde qui a été le sien et qu’il aurait tant voulu sauver, en dépit de la folie des hommes et sa propre soif de ven­geance. A pré­sent, tout est ter­miné : la Terre n’est plus qu’un champ de ruines, et l’humanité une espèce asser­vie, condam­née à une irré­mé­diable sou­mis­sion. Seul le fond des mers demeure encore hors de portée des nou­veaux maîtres de la Terre – mais pour com­bien de temps ? Conscients que leur survie n’est qu’une rémis­sion tem­po­raire, Nemo et son équi­page décident de faire des­cendre le Nau­ti­lus à des pro­fon­deurs encore jamais atteintes, quitte à ce que l’océan devienne leur tom­beau. C’est par un jour de février 1901, au cours de ce qui devait être la der­nière plon­gée du Nau­ti­lus, que le capi­taine et son équi­page font une ren­contre qui sau­vera leur vie et la chan­gera à jamais : celle de mys­té­rieux hommes-dau­phins, que l’un d’eux bap­tise Sel­kies en sou­ve­nir des légendes de sa contrée natale. Ami­caux et bien­veillants, les êtres éta­blissent rapi­de­ment un pre­mier contact télé­pa­thique avec le Voya­geur et ses hommes. Comme le Voya­geur le décou­vrira plus tard, son arri­vée dans le monde des Sel­kies cor­res­pond pour ces der­niers à l’accomplissement d’une pro­phé­tie immé­mo­riale : pour ces habi­tants du fond des mers, Nemo est « le der­nier sage de la sur­face », des­tiné à guider leur peuple vers une nou­velle ère. Bou­le­ver­sés et émer­veillés par l’incroyable décou­verte, les pas­sa­gers du Nau­ti­lus se laissent guider par les Sel­kies jusqu’à un lieu qu’aucun homme n’a jamais contem­plé aupa­ra­vant : les ruines d’un Sanc­tuaire de l’antique Atlan­tide, noyées sous les eaux depuis des mil­lé­naires. Là, avec l’aide des Sel­kies, le Voya­geur exhume un fabu­leux trésor : plu­sieurs dizaines de cylindres, char­gés de quelques pans de la mémoire et de la science des Atlantes, ainsi que l’étrange machine per­met­tant de les lire…

Grâce à ses connais­sances excep­tion­nelles en mathé­ma­tique et à un esprit ana­ly­tique par­ti­cu­liè­re­ment aiguisé, Nemo par­vient à décryp­ter le fonc­tion­ne­ment de l’extraordinaire machine, laquelle lui dévoile bien­tôt les pro­di­gieuses pos­si­bi­li­tés de l’ancienne science des Atlantes…

Note Cette fabuleuse machine deviendra « l’orgue » du Nautilus. Pour plus de détails sur son fonctionnement, reportez-vous à la section Equipement et Technologie.

Mais son exal­ta­tion se teinte bien­tôt de déses­poir : à quoi bon dis­po­ser d’un tel savoir, à pré­sent que tout est perdu ? Il est trop tard, trop tard pour sauver le monde, l’humanité et même les Sel­kies qui sont, eux aussi, condam­nés à dis­pa­raître, vic­times de la pol­lu­tion vul­ca­nique des océans… à moins que les Pro­mé­théens ne découvrent leur exis­tence et ne les réduisent, eux aussi, à l’état de bétail.

Si seule­ment il avait pu avoir accès à tout cela avant, lorsqu’il était encore temps ! Forts des ensei­gne­ments de l’héritage atlante, les hommes auraient pu être guidés vers une ère de paix et de fra­ter­nité et, grâce aux for­mi­dables appli­ca­tions de cette science oubliée, œuvrer ensemble à la défense de leur monde. C’est au plus fort de son désar­roi que le Voya­geur va faire une décou­verte qui chan­gera à jamais le cours du futur… mais aussi du passé.

Grâce aux cylindres atlantes, il se fami­lia­rise avec la théo­rie du saut mathé­ma­tique (télé­por­ta­tion) et avec le fonc­tion­ne­ment des Portes, ces extra­or­di­naires arte­facts qui per­met­taient aux anciens maîtres de la Terre de se trans­por­ter ins­tan­ta­né­ment d’un point de la pla­nète à un autre… Les cylindres parlent éga­le­ment de la pos­si­bi­lité d’utiliser ces Portes pour remon­ter le cours du temps, et détaillent même les incroyables expé­riences menées dans ce but par les plus grands phy­si­ciens atlantes, quelque temps avant la dis­pa­ri­tion de leur civi­li­sa­tion. Ces révé­la­tions font naître chez Nemo un espoir insensé : et s’il était pos­sible de retrou­ver une de ces Portes, de la remettre en état de marche et d’en modi­fier le fonc­tion­ne­ment afin de reve­nir en arrière et d’altérer à jamais le cours de l’Histoire ? Si une telle chose était fai­sable, alors lui, Nemo, pour­rait remon­ter le temps et aler­ter les hommes contre les dan­gers de la Grande Guerre, peut-être même l’empêcher et aider les nations de la Terre à s’unir contre la menace pro­mé­théenne… repous­ser l’invasion, sauver le monde, chan­ger le passé et bâtir un nou­veau futur : les pos­si­bi­li­tés sont infi­nies, ver­ti­gi­neuses, étour­dis­santes… Mu par cet ultime espoir, le Voya­geur confie ses décou­vertes, ses hypo­thèses et ses doutes aux vieux sages Sel­kies, dont les réponses le laissent sans voix, puisqu’ils connaissent pré­ci­sé­ment la loca­li­sa­tion d’une de ces Portes, englou­tie quelque part sous l’océan.

Les Sel­kies escortent bien­tôt le Voya­geur et ses com­pa­gnons jusqu’à l’emplacement du por­tail, qui se pré­sente sous la forme d’une gigan­tesque arche façon­née dans une étrange matière mi-rocheuse mi-métal­lique et dont la sur­face est cou­verte de carac­tères énig­ma­tiques, qui consti­tuent en fait le schéma de fonc­tion­ne­ment de l’artefact… Nemo découvre que la Porte, mira­cu­leu­se­ment pré­ser­vée des ravages du temps, pour­rait assez faci­le­ment être répa­rée, réac­ti­vée et peut-être même modi­fiée par un savant dis­po­sant comme lui des fabu­leuses connais­sances conte­nues dans les cylindres atlantes. Avec l’aide de ses hommes d’équipage et des fidèles Sel­kies, le Voya­geur s’attelle à son for­mi­dable tra­vail. Certes, l’espoir semble fou, chi­mé­rique, et l’opération com­porte de nom­breux dan­gers, mais qu’a-t-il à perdre ? Les auteurs des cylindres mettent clai­re­ment en garde l’imprudent qui ten­te­rait d’ouvrir les Portes sur le mael­ström du temps et sug­gèrent que les phy­si­ciens atlantes eux-mêmes aban­don­nèrent leurs expé­riences lorsqu’ils com­prirent qu’un saut tem­po­rel pou­vait créer un phé­no­mène de vortex sus­cep­tible d’aspirer dans le néant leur réa­lité d’origine… Pour Nemo, ce risque suprême n’en est pas un, son but étant jus­te­ment d’empêcher le pré­sent : dès lors, il lui importe peu que son ultime expé­rience entraîne la des­truc­tion sou­daine de ce monde de cau­che­mar, où les der­niers repré­sen­tants de l’espèce humaine sont condam­nés à subir le joug des Pro­mé­théens sur une Terre à jamais dévas­tée.

A l’unanimité, le capi­taine et les pas­sa­gers du Nau­ti­lus décident de lancer le sous-marin à tra­vers la Porte, vers ce passé por­teur de tant d’espoirs : un des hommes d’équipage qua­li­fie la Porte de Machine Wid­der­shin, appel­la­tion bien­tôt reprise par tous. Les connais­sances impar­faites du Voya­geur, l’urgence de la situa­tion, les par­ti­cu­la­ri­tés de la mathé­ma­tique atlante et les lois capri­cieuses de l’espace-temps ne per­mettent pas à Nemo d’envisager un saut tem­po­rel de plus de vingt-quatre années en arrière.

Le Nau­ti­lus arri­vera donc en 1877… s’il ne se perd pas dans les méandres du temps. Dans une ambiance où le doute et le déses­poir le dis­putent à l’enthousiasme le plus débridé, on pro­cède aux der­niers pré­pa­ra­tifs de l’étrange tra­ver­sée. Quant aux Sel­kies, ils acceptent leur des­ti­née avec une éton­nante tran­quillité, guidés par une foi inébran­lable dans leurs anciennes pro­phé­ties : l’un d’entre eux, un Mémo­rien, accom­pa­gnera le Voya­geur à tra­vers la Porte, afin d’assister et de guider Nemo dans sa tita­nesque entre­prise… Les autres res­te­ront en arrière, afin de scel­ler à jamais la Porte du temps.

A l’intérieur du Nau­ti­lus, le Voya­geur adresse une brève prière au destin. La Porte tem­po­relle est acti­vée : à l’intérieur de l’arche appa­raît bien­tôt une spi­rale aux cou­leurs incon­nues, Mael­ström ouvert sur les méandres de l’espace-temps. Len­te­ment, le Nau­ti­lus s’engage dans le tour­billon… A bord, tout semble se figer durant quelques ins­tants : par les hublots, on aper­çoit une myriade de formes lumi­nes­centes qui semblent danser autour de la coque. Puis, sou­dain, dans un gron­de­ment de ton­nerre, le Nau­ti­lus retrouve le fond des océans. « Sommes nous… passés ? » mur­mure, étourdi, un des hommes d’équipage. Après quelques secondes d’hésitation, le Voya­geur ordonne une remon­tée. Tous retiennent leur souffle. Lorsque le Nau­ti­lus émerge, ses pas­sa­gers contemplent un ciel bleu et dégagé, vide de toute vapeur vul­ca­nique, un ciel comme on n’en avait plus vu depuis la Guerre… le ciel de 1877.

Bien­tôt, le Voya­geur et ses com­pa­gnons partent à la (re)découverte de ce monde qui leur semble à la fois si fami­lier et si étrange. Leurs pre­mières escales à terre se déroulent dans l’euphorie mais leur réservent éga­le­ment quelques per­tur­bantes sur­prises – à com­men­cer par Vingt Mille Lieues sous les Mers… C’est au cours d’un bref séjour à Paris que Nemo lui-même découvre le roman de Jules Verne, auteur dont il n’a jamais entendu parler mais qui semble inex­pli­ca­ble­ment célèbre dans ce passé-ci, où tout devrait pour­tant être iden­tique… En feuille­tant l’ouvrage, Nemo est comme frappé par la foudre : tout est là, écrit noir sur blanc – Nemo, le Nau­ti­lus, les ruines de l’ancienne Atlan­tide… mais rien sur l’invasion venue de Mars, rien sur les Sel­kies ni sur le saut tem­po­rel… et tout cela mêlé à des péri­pé­ties roma­nesques et à des per­son­nages fic­tifs. Mais com­ment ce Jules Verne a-t-il pu savoir ? Déjà stu­pé­fait, Nemo sent sa raison vaciller lorsqu’il apprend que le roman de Verne a été publié en 1867, soit dix ans exac­te­ment avant son arri­vée… Peu à peu, la seule expli­ca­tion scien­ti­fi­que­ment accep­table s’impose à l’esprit du Voya­geur : le passé dans lequel il est revenu a été sub­ti­le­ment altéré par l’acte même de son retour, lequel a entraîné diverses modi­fi­ca­tions rétros­pec­tives de la réa­lité… à com­men­cer par l’existence de ce livre « impos­sible ». Bien décidé à en décou­vrir davan­tage, Nemo s’arrange pour ren­con­trer Verne en per­sonne, sous l’identité d’un chro­ni­queur lit­té­raire. Très vite, Nemo découvre que Verne n’est pas le vision­naire exalté auquel il s’était attendu, mais un écri­vain débon­naire pour qui Nemo et le Nau­ti­lus ne sont que les pro­duits de son ima­gi­na­tion, une ima­gi­na­tion rai­son­nable, avant tout basée sur la spé­cu­la­tion scien­ti­fique et l’inspiration roma­nesque. Per­plexe, Nemo renonce pour le moment à explo­rer plus avant ce sin­gu­lier mys­tère pour reve­nir à la mis­sion qu’il s’est fixée…

Note Pour en savoir plus sur ce troublant paradoxe, voir « Les Ecrivains Visionnaires ».

Une des prio­ri­tés de Nemo est l’élimination de l’homme qui, dans son futur, a mené le monde à sa perte : le futur pré­sident amé­ri­cain Siller­ton Warren Jr. Bien sûr, Nemo n’est pas assez naïf pour croire qu’un seul acte suf­fira à sauver la pla­nète d’un conflit global, mais l’élimination de Siller­ton lui appa­raît comme une pre­mière néces­sité, le point de départ d’une for­mi­dable lutte contre le Temps et l’Histoire. En 1877, Siller­ton Warren Jr a une petite tren­taine d’années et vient à peine de com­men­cer une car­rière poli­tique pro­met­teuse ; fils unique du célèbre mil­liar­daire du même nom, il semble promis au plus brillant avenir et ambi­tionne d’ores et déjà un siège au sénat. Nemo n’a guère de mal à retrou­ver la trace d’un per­son­nage aussi en vue. Il ne lui reste plus qu’à attendre le moment pro­pice pour frap­per, depuis la salle de com­man­de­ment du Nau­ti­lus. Lorsqu’en sep­tembre 1878, Warren Jr embarque à bord de l’Aurora, le yacht de son père, pour une croi­sière fami­liale au large de l’Australie, Nemo sait que l’heure est venue. Une fois le yacht en haute mer, il lance le Nau­ti­lus à l’assaut. Le sub­mer­sible épe­ronne le navire par trois fois et, très vite, l’Aurora sombre au fond de l’océan, avec tout son équi­page et ses pas­sa­gers : Siller­ton Jr, mais aussi sa mère, sa femme et leur jeune fils. La nou­velle de l’inexplicable nau­frage de l’Aurora par­vient bien­tôt aux Etats Unis, plon­geant une partie du pays dans la conster­na­tion. Com­ment un yacht ultra-moderne, doté d’un équi­page trié sur le volet, a-t-il pu som­brer ainsi en quelques minutes, sur une mer qu’aucune tem­pête ne sem­blait agiter ? Des rumeurs de sabo­tage ou de pira­te­rie com­mencent à se répandre ; on parle aussi d’une baleine ou d’un ser­pent de mer… comme dans le roman de Jules Verne !

Mais on ne change pas impu­né­ment le cours de l’Histoire et, en éli­mi­nant Siller­ton Warren Jr, Nemo va bou­le­ver­ser l’existence de son père le mil­liar­daire, créant ainsi un nouvel enchaî­ne­ment d’événements impré­vi­sibles…

Les méandres du temps

« Les hommes de science (…) savent par­fai­te­ment que le Temps n’est qu’une sorte d’Espace. »

« La Machine à Explo­rer le Temps » (H.G. Wells) 

Comme le savent tous les ama­teurs de science-fic­tion, la pos­si­bi­lité de voya­ger dans le temps remet en cause un cer­tain nombre de lois de la réa­lité telle que nous la conce­vons, et s’accompagne for­cé­ment d’un cor­tège de para­doxes, d’effets per­vers et de spé­cu­la­tions sans fin. Peut-on se ren­con­trer soi-même dans le passé ? Qu’arrive-t-il si un voya­geur venu du futur pro­voque la mort de ses parents avant la date de sa nais­sance ? Si l’on effec­tue plu­sieurs allers-retours dans le passé, retrouve-t-on à chaque fois ce passé dans le même état ou modi­fié par les réper­cus­sions de chaque nou­veau voyage ? Existe-t-il un seul flot tem­po­rel ou une infi­nité de pos­si­bi­li­tés simul­ta­nées, dont notre his­toire n’est qu’une varia­tion parmi d’autres ? Autant d’interrogations méta­phy­siques aux­quelles ce court cha­pitre va s’efforcer d’apporter quelques débuts de réponses : loin de faire le tour de la ques­tion, ces infor­ma­tions ont pour objec­tif prin­ci­pal de per­mettre au Chro­ni­queur de gérer en toute quié­tude les diverses impli­ca­tions du saut tem­po­rel effec­tué par le Nau­ti­lus entre un 1901 où tout est perdu et un 1877 où tout reste à faire… Elles ne sont donc aucu­ne­ment des­ti­nées aux joueurs ou à leurs per­son­nages : dans Uchro­nia, le voyage tem­po­rel repose entiè­re­ment sur les arcanes de la science atlante, un savoir dont, pour l’instant, Nemo et le savant William Thom­son sont les seuls dépo­si­taires. En dehors de ces deux per­son­nages, seuls Bar­ry­more et quelques Adeptes pos­sèdent pour le moment un quel­conque degré de savoir, essen­tiel­le­ment théo­rique, sur la pos­si­bi­lité de voya­ger à tra­vers le temps. Libre à chaque Chro­ni­queur de savoir si cette pos­si­bi­lité doit deve­nir un jour une réa­lité pour les héros de son Feuille­ton… Rap­pe­lons que les Atlantes eux-mêmes n’avaient com­mencé à envi­sa­ger cette pos­si­bi­lité que quelques années avant la chute de leur civi­li­sa­tion, et qu’ils renon­cèrent rapi­de­ment à pour­suivre leurs expé­riences lorsqu’ils décou­vrirent le poten­tiel cata­clys­mique des vortex tem­po­rels incon­trô­lés…

Le Maelström

En fran­chis­sant la Porte atlante, le Nau­ti­lus a péné­tré dans ce que Nemo bap­ti­sera plus tard le Mael­ström, une sorte de tour­billon exté­rieur à notre réa­lité et où le Temps, l’Espace, la Pensée et la Matière ne sont qu’une seule et même chose. C’est en s’aventurant dans ce Mael­ström que l’on peut effec­ti­ve­ment « remon­ter le cours du temps ».

Le Mael­ström n’est autre que cette « Qua­trième Dimen­sion » dont l’existence est pos­tu­lée dès la fin du XIXème siècle par cer­tains scien­ti­fiques par­ti­cu­liè­re­ment avant-gar­distes, comme en témoigne le traité de C. Howard Hinton « What Is The Fourth Dimen­sion ? », publié en 1884. Cela dit, il est pro­bable que cer­taines cultures consi­dé­rées comme pri­mi­tives connaissent depuis fort long­temps l’existence du Mael­ström, sans pour autant en appré­hen­der la véri­table nature : il est fort pos­sible que nous tou­chions là à l’origine de nom­breux mythes sur l’Autre Monde, le Temps du Rêve et le Royaume des Esprits, qui sont peut-être autant d’interprétations magiques ou spi­ri­tuelles d’une réa­lité igno­rée ; qui sait si les pre­miers sha­mans, sor­ciers et autres prêtres de ces peuples n’étaient effec­ti­ve­ment pas en mesure de com­mu­ni­quer avec cette dimen­sion mys­té­rieuse, selon un savoir hérité des Atlantes et qui se serait peu à peu altéré et appau­vri, au fur et à mesure de sa trans­mis­sion, jusqu’à perdre sa signi­fi­ca­tion ori­gi­nelle ? Quelques médiums et méta­phy­si­ciens du Club s’interrogent éga­le­ment sur la pos­sible iden­tité entre la Qua­trième Dimen­sion et ce que les spi­rites les plus férus d’objectivité scien­ti­fique nomment l’Espace de Swe­den­borg, cette mem­brane flui­dique qui sépa­re­rait le monde sen­sible du monde spi­ri­tuel.

Risques et dangers du voyage temporel

William Thomson Lorsque les aléas de la Guerre Secrète lui laissent un peu de temps libre, le savant et Invisible William Thomson se livre à toutes sortes de recherches et d’expériences sur le voyage temporel, sa théorie et ses applications, travaillant à partir de ses propres spéculations scientifiques et des connaissances contenues dans les cylindres atlantes. Ce n’est que tout récemment que cet esprit fondamentalement rationnel a commencé à s’interroger sur les possibles rapports existant entre le Maelström et certains phénomènes médiumniques. Il semble en effet que le voyage temporel du Nautilus ait provoqué des remous à travers la Quatrième Dimension, remous ayant été captés sous la forme de rêves, de visions et d’impressions prémonitoires par quelques individus à la sensibilité psychique particulièrement développée — pour plus de détails à ce sujet, reportez-vous à la section sur les Médiums.

Comme les phy­si­ciens atlantes l’avaient bien com­pris, le voyage tem­po­rel est une opé­ra­tion incroya­ble­ment dan­ge­reuse, non seule­ment pour le sujet mais aussi pour la tex­ture même de l’univers. Toute ouver­ture du Mael­ström risque en effet de créer un vortex, c’est à dire une irrup­tion incon­trô­lable du Mael­ström au sein de la réa­lité tan­gible : concrè­te­ment, un vortex s’apparente à une sorte de cyclone spatio-tem­po­rel capable d’aspirer des frag­ments entiers de réa­lité (objets, lieux, per­sonnes et autres élé­ments moins direc­te­ment per­cep­tibles) dans le Mael­ström, avant de se refer­mer aussi bru­ta­le­ment qu’il est apparu. Les pro­ba­bi­li­tés de for­ma­tion d’un vortex ainsi que les cri­tères déter­mi­nant son ampleur ou sa durée semblent défier toute ana­lyse scien­ti­fique et rien n’interdit de sup­po­ser la pos­si­bi­lité d’un vortex ultime, aux consé­quences apo­ca­lyp­tiques pour la pla­nète, voire pour l’univers entier.

La trans­la­tion tem­po­relle com­porte éga­le­ment des dan­gers consi­dé­rables pour l’imprudent voya­geur. Le voyage à pro­pre­ment parler ne dure que quelques secondes sub­jec­tives, durant les­quelles les par­ti­cules de matière dont nous sommes tous consti­tués se trouvent dis­so­ciées puis réas­sem­blées, expé­rience qui peut lais­ser de pro­fondes empreintes sur le méta­bo­lisme comme sur le psy­chisme. Ce phé­no­mène de dis­so­cia­tion repré­sente un des plus grands risques pour l’inconscient qui ose­rait braver les dan­gers du Mael­ström : si la trans­la­tion ne s’effectue pas cor­rec­te­ment, le voya­geur court en effet le risque d’être pure­ment et sim­ple­ment dés­in­té­gré, ses par­ti­cules consti­tu­tives à jamais dis­so­ciées se dis­per­sant comme autant de grains de sable à tra­vers l’espace-temps.

L’effet Héraclite

Même lorsque le saut tem­po­rel se déroule sans pro­vo­quer de telles catas­trophes, il entraîne tou­jours des consé­quences impré­vi­sibles, des diver­gences évé­ne­men­tielles qui peuvent se situer en aval comme en amont du point d’arrivée. L’acte même de reve­nir dans le passé change ce passé, comme Nemo en a eu la preuve en décou­vrant l’existence de Vingt Mille Lieues sous les Mers. C’est ce que Sir William Thom­son a bap­tisé « l’effet Héra­clite », en réfé­rence au phi­lo­sophe grec selon qui « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». En d’autres termes, le passé ne se répète jamais à l’identique. Qui sait si le saut tem­po­rel de Nemo n’a pas entraîné d’autres diver­gences his­to­riques sub­tiles, peut-être beau­coup plus éloi­gnées dans le temps, entre son monde d’origine et le monde d’Uchronia ?

Personnes déplacées

Sur le plan psy­cho­lo­gique, une des consé­quences les plus per­tur­bantes du retour vers le passé est sans aucun doute la ren­contre du voya­geur avec son double plus jeune. Dans le cas de Nemo et de ses com­pa­gnons de voyage tem­po­rel, le déca­lage d’âge était de 35 ans : pour beau­coup d’entre eux, 1877 cor­res­pon­dait à l’époque de leur jeu­nesse, voire de leur enfance ; pour quelques-uns, cette date se situe même avant celle de leur propre nais­sance. Pour tous, reve­nir trente-cinq années en arrière repré­sen­tait aussi la pos­si­bi­lité de retrou­ver de nom­breux proches dis­pa­rus, parents, amis, futurs amours… mais cette réa­lité avait quelque chose de ver­ti­gi­neux, d’inconcevable, même pour les esprits les plus prag­ma­tiques. Devaient-ils tirer un trait sur leur passé et se tenir soi­gneu­se­ment à l’écart des per­sonnes qu’ils avaient autre­fois connues ? Devaient-ils lais­ser leur double vivre sa vie ou, au contraire, entrer en contact avec lui, ou veiller dis­crè­te­ment sur sa des­ti­née ? Autant de ques­tions dou­lou­reuses, aux­quelles aucun être humain avant eux n’avait eu à répondre. Confron­tés à tant d’incertitudes et de désirs contra­dic­toires, les res­ca­pés du Nau­ti­lus choi­sirent de s’en remettre entiè­re­ment à la déci­sion de leur capi­taine : après bien des hési­ta­tions, celui-ci décida de lais­ser chacun agir à sa guise, avec pour seule inter­dic­tion for­melle de révé­ler leur véri­table iden­tité. Cer­tains choi­sirent de couper les ponts avec leur passé, consi­dé­rant qu’ils étaient désor­mais quelqu’un d’autre et qu’il valait mieux lais­ser leur alter ego vivre sa vie, sans cher­cher à com­prendre ou à influen­cer les méandres de la des­ti­née ; d’autres, au contraire, déci­dèrent de faire connais­sance avec eux-mêmes ou de retrou­ver leurs proches sous une autre iden­tité — expé­rience par­fois dou­lou­reuse et pleine de sur­prises…

Mystères et spéculations

La nature même du Mael­ström et des lois qui régissent son fonc­tion­ne­ment demeurent pour le moment une véri­table énigme pour William Thom­son et les autres phy­si­ciens tem­po­rels du Club. Les savants atlantes eux-mêmes igno­raient s’il exis­tait une infi­nité de conti­nuums tem­po­rels paral­lèles, ou un seul cou­rant dont le flux se trou­ve­rait altéré par toute tra­ver­sée du Mael­ström.

Ils igno­raient éga­le­ment si le Mael­ström inter­pé­né­trait l’univers de manière sys­té­ma­tique ou s’il consti­tuait une sin­gu­la­rité ne s’ouvrant qu’à cer­tains points de l’espace-temps. Pour une raison incon­nue, il est appa­rem­ment impos­sible de voya­ger vers le futur à tra­vers une Porte atlante, ce qui exclut a priori tout retour vers l’époque d’origine. Les don­nées conte­nues dans les cylindres atlantes pré­sentent une expli­ca­tion pos­sible de ce phé­no­mène : le voyage tem­po­rel ne s’apparenterait pas à un saut mais une chute plus ou moins contrô­lée ; voya­ger vers le futur serait donc aussi impos­sible que de tomber vers le haut. Tout ceci est peut-être en rap­port avec le fait que le Mael­ström se pré­sente sous la forme d’un tour­billon, c’est à dire d’une spi­rale dotée néces­sai­re­ment d’un sens de rota­tion : à partir de là, on peut penser que le mou­ve­ment wid­der­shin, c’est à dire à rebours du temps, cor­res­pond jus­te­ment à ce sens de rota­tion. Sui­vant cette inter­pré­ta­tion des choses, voya­ger vers le passé consis­te­rait à se lais­ser aspi­rer par le tour­billon jusqu’à un point défini cor­res­pon­dant à la fenêtre tem­po­relle choi­sie : voya­ger dans le futur consis­te­rait dans ce cas à inver­ser le mou­ve­ment du Mael­ström, ce qui paraît a priori tota­le­ment incon­ce­vable et entraî­ne­rait cer­tai­ne­ment d’inimaginables consé­quences à l’échelle de l’univers. 

De toutes ces consi­dé­ra­tions découle une inter­ro­ga­tion suprême, qui ali­mente les médi­ta­tions les plus ver­ti­gi­neuses de William Thom­son : qui y-a-t-il au centre du tour­billon ? Un voya­geur qui serait aspiré jusqu’au cœur du Mael­ström assis­te­rait-il à la créa­tion du monde ? Ou bien serait-il rejeté à tra­vers un autre Mael­ström, dont la spi­rale se dérou­le­rait dans l’autre sens, du centre vers le pour­tour, c’est à dire du passé vers le futur ? Autant de ques­tions fas­ci­nantes, qui res­tent — pour le moment — hors de portée de la science des hommes…

Les écrivains visionnaires

Le saut tem­po­rel effec­tué par Nemo a créé d’étranges per­tur­ba­tions au sein de la Qua­trième Dimen­sion. En tra­ver­sant le Mael­ström, le Nau­ti­lus a pro­vo­qué une véri­table onde de choc au sein de la réa­lité, onde de choc qui s’est réper­cu­tée à la fois en aval et en amont de son point d’arrivée. En clair, l’irruption du Nau­ti­lus en 1877 n’a pas seule­ment modi­fié le cours de l’histoire à partir de cette date mais a éga­le­ment pro­vo­qué de sub­tils remous au sein de l’histoire anté­rieure du monde d’Uchronia : ça et là, quelques évé­ne­ments ont été alté­rés, quelques des­ti­nées modi­fiées, sans que qui­conque en ait conscience. Bien sûr, ces remous étant des effets secon­daires, leur inci­dence sur le cours de l’histoire a été mineure, de sorte que le passé du monde d’Uchronia semble, à pre­mière vue, tota­le­ment iden­tique à celui de notre monde et, sur­tout, à celui du monde d’origine de Nemo…

Un exemple par­ti­cu­liè­re­ment trou­blant de ce phé­no­mène est le cas des écri­vains Jules Verne et Her­bert George Wells. Dans notre monde, ces deux auteurs devinrent les pion­niers d’un nou­veau genre de lit­té­ra­ture : la science fic­tion. Aujourd’hui encore, nous res­tons émer­veillés par la faculté d’un Jules Verne à ima­gi­ner les machines de demain ou par le carac­tère vision­naire de nom­breuses œuvres de Wells. Dans le monde d’Uchronia, et dans le monde d’origine de notre Nemo, la des­ti­née de ces deux illustres per­son­nages emprunte d’autres che­mins…

Dans le monde d’origine de Nemo, ni Verne ni Wells ne devinrent célèbres en tant qu’écrivains. Verne resta fidèles à ses pre­mières amours lit­té­raires, le théâtre, et ne connut aucun succès en tant que dra­ma­turge. Il n’écrivit ni Vingt Mille Lieues sous les Mers, ni L’Ile Mys­té­rieuse ni aucun des Voyages Extra­or­di­naires. Her­bert George Wells, de son côté, n’écrivit ni La Machine à Explo­rer le Temps ni La Guerre des Mondes ni aucun autre roman et par­ta­gea sa vie entre le jour­na­lisme et l’enseignement, sans jamais connaître la gloire… Tous deux dis­pa­rurent en 1900, lors de l’Invasion Pro­mé­théenne, avec la majeure partie de la popu­la­tion humaine.

Dans le monde d’Uchronia, quelque chose vient alté­rer la des­ti­née de ces deux per­son­nages. L’un et l’autre, à des moments dif­fé­rents de leur exis­tence, se mettent à ima­gi­ner le futur et éprouvent le besoin impé­rieux de trans­crire leurs visions et leurs idées sous forme de romans et de nou­velles. Ces visions sont en réa­lité les échos des remous pro­vo­qués par le saut tem­po­rel de Nemo dans la trame de la Qua­trième Dimen­sion, échos que Verne, Wells et quelques autres ont capté de manière aussi incons­ciente que mys­té­rieuse. Tout cela n’est pas sans évo­quer le pro­ces­sus de per­cep­tion médium­nique décrit ci-dessus par le pro­fes­seur Hes­se­lius : il est pos­sible que Verne et Wells soient, à leur insu, des médiums, c’est à dire des indi­vi­dus capables de per­ce­voir les fluc­tua­tions de la Qua­trième Dimen­sion et d’y recueillir toutes sortes d’informations et d’impressions, y com­pris sur les futurs pos­sibles. Au contraire de la plu­part des médiums, nos écri­vains vision­naires ne per­ce­vraient par leur don comme un pou­voir mys­tique ou psy­chique, mais comme une faculté d’imagination pure­ment intel­lec­tuelle.

Exa­mi­nons à pré­sent les choses sous un angle plus concret, en com­men­çant par le cas de Jules Verne. Dans le monde d’Uchronia, Vingt Mille Lieues sous les Mers paraît en 1867, soit dix ans avant l’arrivée de Nemo. L’esprit de Verne a donc été affecté en amont, c’est à dire de manière rétros­pec­tive, par les remous du saut tem­po­rel du Nau­ti­lus : dès 1865, il ima­gine un sub­mer­sible appelé le Nau­ti­lus, com­mandé par un mys­té­rieux capi­taine Nemo aux ori­gines et aux moti­va­tions obs­cures ; il songe aussi à la pos­si­bi­lité de voya­ger au centre de la Terre ou jusque sur la Lune et pré­voit la future conquête du ciel par les diri­geables… Contrai­re­ment à ce que pensent la plu­part des agents du Club, Nemo n’a pas adopté ce surnom ni bap­tisé son sub­mer­sible le Nau­ti­lus en hom­mage au roman de Verne, puisque ce roman n’avait jamais vu le jour dans son temps d’origine ! On ima­gine sans peine quelle fut sa stu­pé­fac­tion lorsqu’il décou­vrit, peu après son arri­vée dans le 1877 d’Uchronia, qu’il figu­rait dans un roman paru dix ans plus tôt. Dès lors, il prêta une atten­tion toute par­ti­cu­lière à ce mys­té­rieux Jules Verne, qui igno­rait tout de la Guerre Secrète et de la menace pro­mé­théenne mais dont cer­tains romans étaient inex­pli­ca­ble­ment truf­fés de réfé­rences au futur : ceci explique la sur­veillance spé­ciale dont Verne fait l’objet de la part du Club. En dehors de Nemo et de ses com­pa­gnons de voyage tem­po­rel, seul Sir William Thomp­son a connais­sance de cette sin­gu­lière vérité.

Bien sûr, en incor­po­rant ces échos du futur à leurs récits, l’auteur les a amal­ga­més avec des élé­ments de sa propre inven­tion ou dictés par les conven­tions lit­té­raires : ainsi, tout ce qu’a écrit Verne dans Vingt Mille Lieues sous les Mers sur Nemo et sur le Nau­ti­lus ne cor­res­pond pas néces­sai­re­ment à la réa­lité et cer­tains de ses romans res­tent des œuvres de pure fic­tion, ne com­pre­nant aucun véri­table écho du futur. Ceci explique éga­le­ment les sin­gu­lières inco­hé­rences exis­tant entre le Nemo de Vingt Mille Lieues… et celui de L’Ile Mys­té­rieuse… Dans un même ordre d’idées, cer­tains échos ne sont pas for­cé­ment pré­sen­tés par l’écrivain comme des élé­ments futu­ristes ou extra­or­di­naires : ainsi, Verne ignore tout à fait qu’en décri­vant l’orgue du capi­taine Nemo, il a en réa­lité décrit une machine ana­ly­tique d’une immense com­plexité ; de même, les nom­breuses bizar­re­ries du per­son­nage de Phi­leas Fogg et cer­taines des péri­pé­ties qui émaillent son Tour du Monde en Quatre Vingts Jours peuvent être inter­pré­tées comme des échos très dis­tor­dus du voyage tem­po­rel de Nemo (que penser en effet de répliques comme : « Je sau­te­rai mathé­ma­ti­que­ment » ?) ou de la lutte déses­pé­rée des agents du Club qui est, elle aussi, une « course contre le temps »…

Le cas d’Herbert George Wells est à la fois fort proche et fort dif­fé­rent de celui de Jules Verne. Fort proche, car les romans d’anticipation de Wells intègrent eux aussi des frag­ments de ce futur entra­perçu à tra­vers la Qua­trième Dimen­sion. Fort dif­fé­rent car, contrai­re­ment à celle de l’écrivain fran­çais, la car­rière lit­té­raire de Wells appar­tient encore au futur du monde d’Uchronia : son pre­mier roman d’anticipation, La Machine à Explo­rer le Temps date de 1895, soit cinq ans après le début habi­tuel des Feuille­tons d’Uchronia et près de vingt ans après l’arrivée de Nemo. Contrai­re­ment à Verne, Wells per­ce­vra les échos du futur en aval du saut de Nemo, ce qui explique peut-être leur plus grande exac­ti­tude : La Machine à Explo­rer le Temps fait direc­te­ment écho au voyage du Nau­ti­lus, L’Ile du Dr Moreau (1896) ren­voie assez pré­ci­sé­ment aux mons­trueuses expé­riences du Dr Gregor et, bien sûr, La Guerre des Mondes (1897) est une véri­table pro­phé­tie de l’Invasion Pro­mé­théenne. En tant que Chro­ni­queur, vous pouvez aussi déci­der que d’autres romans de Wells, comme L’Homme Invi­sible ou Les Pre­miers Hommes dans la Lune, ont eux aussi un carac­tère pro­phé­tique… Ecrira-t-il ces romans dans le monde d’Uchronia ou bien sa des­ti­née suivra-t-elle un autre cours, l’amenant à vivre ce qu’il aurait pu ima­gi­ner ? Une chose est sûre : un tel per­son­nage atti­rera tôt ou tard l’attention des Invi­sibles et ferait sans nul doute une excel­lente recrue pour le Club…

Notre examen des écri­vains vision­naires ne serait pas com­plet sans un examen rapide du cas d’Edgar Allan Poe. Contrai­re­ment à Verne et à Wells, le célèbre roman­cier amé­ri­cain, mort en 1849, appar­tient au passé d’Uchronia. A pre­mière vue, il est dif­fi­cile d’attribuer un carac­tère pro­phé­tique aux œuvres de Poe : contrai­re­ment aux écrits de Verne et de Wells, les récits de l’auteur de Ligeia et du Cor­beau ne semblent rece­ler aucune part d’anticipation scien­ti­fique, his­to­rique ou autre… Les visions qui imprègnent les œuvres de Poe sont en fait beau­coup plus sub­tiles et concernent prin­ci­pa­le­ment les phé­no­mènes liés à la Qua­trième Dimen­sion, au magné­tisme et aux mys­tères méta­phy­siques qui sous-tendent l’univers d’Uchronia : des récits comme Les sou­ve­nirs de M.Auguste Bedloe, Révé­la­tion Magné­tique, Une Des­cente dans le Mael­ström et L’Etrange Cas de M. Val­de­mar en sont sans doute les exemples les plus écla­tants – on y trouve, pêle-mêle, des phé­no­mènes de dis­tor­sion tem­po­relle, de décor­po­ra­li­sa­tion, de trans­fert psy­chique et de voyage à tra­vers la qua­trième dimen­sion…

Quant à l’étrange odys­sée mari­time des Aven­tures d’Arthur Gordon Pym (1838), elle peut être inter­pré­tée comme un reflet pré­mo­ni­toire très déformé de l’expédition de l’Hibernia, qui sur­vien­dra près de 40 ans plus tard. La conclu­sion est, à cet égard, par­ti­cu­liè­re­ment trou­blante : par­ve­nus dans l’Océan Antarc­tique, les pro­ta­go­nistes sur­vi­vants aper­çoivent de mys­té­rieuses sil­houettes blanches, qui semblent venir vers eux… et tout s’arrête, comme si le nar­ra­teur n’avait pu en écrire davan­tage. Poe laissa son récit inachevé, sans autre forme d’explication, car lui-même igno­rait la signi­fi­ca­tion exacte de cette inquié­tante vision surgie des tré­fonds de son esprit… et qui, sans aucun doute, contri­bua à pré­ci­pi­ter son esprit déjà fra­gile dans une spi­rale de délires hal­lu­ci­na­toires et de folie auto­des­truc­trice.

La Boucle est Bou­clée : Frus­trés par la « non-fin » du roman, de nom­breux admi­ra­teurs de Poe ima­gi­nèrent leur propre suite aux Aven­tures d’Arthur Gordon Pym. La plus connue de ces suites apo­cryphes est sans doute Le Sphinx des Glaces, d’un cer­tain… Jules Verne (1897) !

Les médiums

Dans Uchro­nia, les médiums sont des êtres humains capables d’entrer en com­mu­ni­ca­tion psy­chique avec la Qua­trième Dimen­sion, ce qui peut leur per­mettre de percer les secrets du passé, du pré­sent et du futur.

L’exposé qui suit pré­sente un résumé rai­son­na­ble­ment exact de la « vérité » sur les médiums et leurs étranges pou­voirs. Son auteur, le véné­rable pro­fes­seur Hes­se­lius, a récem­ment rejoint les rangs du Club, au sein duquel il pour­suit ses expé­riences…

Extraits de « Confé­rence sur la Médium­nité et autres Phé­no­mènes Psy­chiques » par le Pro­fes­seur Johann Hes­se­lius (1889)

Au terme de plus de qua­torze années consa­crées à étu­dier les divers phé­no­mènes connus du grand public sous la dis­cu­table appel­la­tion de spi­ri­tisme, je suis aujourd’hui en mesure d’affirmer (et de prou­ver scien­ti­fi­que­ment) qu’il existe, perdus au sein d’une véri­table armada d’imposteurs, d’illuminés et d’individus men­ta­le­ment déran­gés, quelques authen­tiques médiums — mais encore faut-il s’entendre sur la signi­fi­ca­tion exacte que l’on accorde à ce terme. Pour le grand public et pour les tenants de la célèbre doc­trine spi­rite popu­la­ri­sée par Alan Cardec et consorts, le médium serait une sorte de cor­res­pon­dant avec l’au-delà, capable d’établir une com­mu­ni­ca­tion entre le monde des vivants et le monde des esprits — lequel est sou­vent repré­senté sous forme de cercles concen­triques abri­tant aussi bien les âmes des défunts que des « enti­tés psy­chiques supé­rieures » de nature angé­lique ou démo­niaque. Il va de soi qu’un véri­table homme de science, si ouvert d’esprit soit-il, ne peut décem­ment sous­crire à une défi­ni­tion aussi mys­tique que nébu­leuse : au cours de l’exposé qui suit, j’entendrai par médium tout indi­vidu doté d’une sen­si­bi­lité psy­chique anor­ma­le­ment déve­lop­pée, capable de per­ce­voir un cer­tain nombre de phé­no­mènes échap­pant à la per­cep­tion humaine ordi­naire — sans pour autant être en mesure de maî­tri­ser ces per­cep­tions ou de les inter­pré­ter cor­rec­te­ment…

(…)

N’en déplaise aux dis­ciples du sieur Cardec et de Madame Bla­vatski, le monde avec lequel les médiums entrent en com­mu­ni­ca­tion n’est ni l’au-delà ni un quel­conque plan astral mais bien une qua­trième dimen­sion de notre uni­vers, ainsi que l’avait déjà pres­senti mon ami et confrère le pro­fes­seur Gideon Forman dans son remar­quable essai « Dis­ser­ta­tion sur la Struc­ture et la Tex­ture de l’Univers » (1868). Ainsi que j’ai pu le prou­ver au cours de diverses expé­riences (cf mon opus « Sur l’Energie Flui­dique Uni­ver­selle », 1887), cette dimen­sion est entiè­re­ment com­po­sée d’une forme d’énergie unique, qui consti­tue en quelque sorte la force vitale de notre uni­vers et garan­tit sa sta­bi­lité dans l’espace autant que dans le temps : à défaut d’une meilleure appel­la­tion, nous bap­ti­se­rons cette éner­gie « fluide » — le terme éner­gie étant lui-même impropre, le fluide étant tout à la fois éner­gie, matière et pensée. Le fluide existe sous deux grandes formes : à l’état ambiant, impré­gnant de manière sub­tile la trame même de notre réa­lité, et sous une forme beau­coup plus concen­trée, à l’intérieur de chaque être doué de conscience. Par souci de clarté, nous appel­le­rons OD le fluide sous sa forme cos­mique, et ID le fluide psy­chique consti­tu­tif de chaque conscience indi­vi­duelle.

L’od, fluide cos­mique ambiant, se trouve par­tout autour de nous, mais aucun de nos sens ne nous permet d’en per­ce­voir les per­pé­tuelles vibra­tions. Si l’od consti­tue en quelque sorte la tex­ture sub­li­mi­nale de l’univers qui nous entoure, l’id peut être défini comme la matière dont est fait notre esprit, cette mys­té­rieuse sub­stance qui struc­ture tout à la fois notre mémoire, notre intui­tion et notre ima­gi­na­tion. Lorsque nous mou­rons, notre id se libère natu­rel­le­ment de notre corps inerte pour se fondre dans l’od ambiant ; inver­se­ment, le com­plexe pro­ces­sus abou­tis­sant à la nais­sance d’un nouvel être vivant semble impli­quer une cap­ta­tion d’une par­celle de l’od ambiant au sein de l’enveloppe cor­po­relle. Par cer­tains aspects, l’id est assi­mi­lable au concept mys­tique de l’âme (tel que le com­pre­naient, par exemple, les Anciens Egyp­tiens), concept qui n’est vrai­sem­bla­ble­ment qu’une inter­pré­ta­tion rudi­men­taire et impar­faite de la réa­lité phy­sique du fluide. Car le fluide consti­tue une quan­tité par­fai­te­ment mesu­rable — pour peu que l’on dis­pose des ins­tru­ments adé­quats (cf la mono­gra­phie d’Otto Krantz, « Sur la Pho­to­gra­phie des Auras Flui­diques », 1886). Au cours de mes nom­breux tra­vaux à ce sujet, j’ai pu consta­ter que la quan­tité de fluide conte­nue dans un être vivant variait consi­dé­ra­ble­ment d’une espèce à l’autre et, dans le cas des êtres humains, d’un indi­vidu à l’autre. Chez les espèces ani­males, la quan­tité d’id semble dépendre direc­te­ment de ce que nous pour­rions appe­ler leur degré de conscience et varie assez peu d’un spé­ci­men à l’autre. Chez les humains, au contraire, la quan­tité de fluide dif­fère consi­dé­ra­ble­ment en fonc­tion des indi­vi­dus, mais reste tou­jours beau­coup plus impor­tante que chez les espèces ani­males. Pour uti­li­ser une ana­lo­gie simple, si l’id d’un chien ou d’un chat équi­va­lait, par son inten­sité, à la flamme d’un bri­quet, l’id humain moyen aurait, par com­pa­rai­son, la lumi­no­sité et l’intensité de rayon­ne­ment d’un réver­bère, voire, chez les indi­vi­dus les plus remar­quables, celles d’un phare marin. En règle géné­rale, la quan­tité d’id chez un humain semble être direc­te­ment liée à la force de sa volonté, à sa puis­sance intel­lec­tuelle ou à l’ascendant qu’il exerce sur autrui — autant de carac­té­ris­tiques qui reflètent une inten­sité inté­rieure supé­rieure.

Chez l’individu ordi­naire, l’id est tota­le­ment coupé de l’od ; chez le médium, au contraire, l’id est capable de per­ce­voir l’od et d’entrer en réso­nance avec lui, selon un pro­cess­sus com­pa­rable à celui du magné­tisme. C’est ce phé­no­mène de réso­nance, et non une quel­conque entrée en com­mu­ni­ca­tion avec les esprits des morts, qui consti­tue la base de toutes les mani­fes­ta­tions médium­niques authen­tiques. Avant d’étudier en détail ces dif­fé­rentes mani­fes­ta­tions, pen­chons-nous sur la nature exacte de ce phé­no­mène de réso­nance — le fameux don des médiums.

Confronté à la réa­lité des phé­no­mènes médium­niques, l’esprit ration­nel ne peut que se poser la ques­tion sui­vante : com­ment et pour­quoi devient-on médium ? S’agit-il d’une faculté innée ou d’un poten­tiel latent, commun à toute l’humanité ? Existe-t-il des pré­dis­po­si­tions — ou des entraves — à l’apparition et au déve­lop­pe­ment de la sen­si­bi­lité médium­nique chez un indi­vidu ? Au terme des nom­breuses expé­riences que j’ai menées au cours de ces der­nières années — et notam­ment suite à l’étude rigou­reuse du cas de M. Karel Svo­boda, le médium pra­guois bien connu — je suis aujourd’hui en mesure d’établir à ce sujet un cer­tain nombre de cer­ti­tudes empi­riques, les­quelles tendent par­fois à contre­dire un cer­tain nombre d’idées reçues et de croyances tra­di­tion­nelles col­por­tées par les tenants du spi­ri­tisme mys­tique.

La médium­nité (capa­cité à per­ce­voir les fluc­tua­tions de l’od) ne semble liée à aucun carac­tère inné et n’est, en tous les cas, aucu­ne­ment héré­di­taire. Elle se mani­feste à peu près équi­ta­ble­ment entre les sexes et ne semble liée à aucun cri­tère d’ordre bio­lo­gique. Chez les sujets les plus pré­coces, la médium­nité se mani­feste à l’âge de la puberté, le plus sou­vent sous forme de crises de som­nam­bu­lisme accom­pa­gnées de troubles de la mémoire et de la per­cep­tion ; la révé­la­tion de cette sen­si­bi­lité psy­chique anor­male peut éga­le­ment sur­ve­nir bien plus tard dans l’existence du sujet, le plus sou­vent suite à un choc ner­veux par­ti­cu­liè­re­ment intense ou dans des cir­cons­tances excep­tion­nel­le­ment éprou­vantes. Dans ce genre de cas, la médium­nité se révèle bru­ta­le­ment, sans le moindre signe avant-cou­reur ; chez les indi­vi­dus plus pré­coces, au contraire, elle s’intègre pro­gres­si­ve­ment à la psyché du sujet, au point de deve­nir une faculté natu­relle, au même titre que l’intuition, la mémoire ou le rai­son­ne­ment. Une constante se dégage tou­te­fois de cette grande diver­sité de cas : quel que soit son milieu social, son âge ou son degré d’éducation, le médium est presque tou­jours perçu par les per­sonnes de son entou­rage comme un indi­vidu par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible, per­cep­tif ou ima­gi­na­tif ; sui­vant les cas, cette sen­si­bi­lité exa­cer­bée pourra se tra­duire par des dons artis­tiques remar­quables, par un tem­pé­ra­ment rêveur (ou exalté) ou encore par une vie oni­rique par­ti­cu­liè­re­ment intense. Chez le médium qui s’ignore, les pre­mières mani­fes­ta­tions de ses facul­tés consti­tuent tou­jours une expé­rience mar­quante, voire pro­fon­dé­ment déran­geante : en entrant en réso­nance avec l’od de façon incon­trô­lée, le sujet res­sent tout un ensemble d’impressions appa­rem­ment inex­pli­cables — à com­men­cer par le sen­ti­ment pro­fond et irra­tion­nel d’être observé par une pré­sence invi­sible.

Dans de nom­breux cas, ce sen­ti­ment s’intensifie au fur et à mesure que les mani­fes­ta­tions se mul­ti­plient : le mal­heu­reux sujet, convaincu qu’une entité psy­chique étran­gère et mal­veillante cherche à domi­ner son esprit pour prendre pos­ses­sion de son être, voit son équi­libre ner­veux et sa santé men­tale se dégra­der de manière catas­tro­phique, le plus sou­vent en à peine quelques semaines, jusqu’à l’effondrement total – effon­dre­ment qui débouche, dans le meilleur des cas, par un inter­ne­ment dans un asile d’aliénés ou, dans cer­tains cas par­ti­cu­liè­re­ment tra­giques, par le sui­cide du sujet au terme de ce qu’il faut bien décrire comme une véri­table des­cente aux enfers psy­chique, jalon­née de cau­che­mars, d’hallucinations, d’insomnies et autres symp­tômes carac­té­ris­tiques de la pavor noc­tur­nis (cf la remar­quable étude du pro­fes­seur Holtz­mann, « Essai les Phé­no­mènes de Ter­reur Noc­turne », 1872 – au moins trois des sept cas pré­sen­tés en détail par Holtz­mann tombent dans notre champ d’investigation). Cer­tains d’entre vous n’auront pas manqué de noter une trou­blante simi­li­tude entre les symp­tômes que je viens d’évoquer et ceux qui sont décrits par l’écrivain fran­çais Guy de Mau­pas­sant dans son étrange récit « Le Horla », publié voici quelques années dans une revue lit­té­raire bien connue. Cette simi­li­tude, qui ne doit rien au hasard, mérite une petite paren­thèse dans le cours de notre exposé…

La nou­velle de M. Mau­pas­sant raconte, sous forme de jour­nal intime, la lente dégra­da­tion psy­chique d’un homme, convaincu de subir les assauts d’une créa­ture invi­sible qu’il appelle le horla. Ayant eu l’occasion de dis­cu­ter de ce sujet avec M. Mau­pas­sant en per­sonne, celui-ci m’a appris qu’à l’origine, son récit ne se pré­sen­tait pas sous forme de jour­nal, mais sous celle, beau­coup plus conden­sée et sans doute moins évo­ca­trice sur le plan lit­té­raire, du compte-rendu de la visite d’un asile d’aliénés, au cours de laquelle le nar­ra­teur, un visi­teur can­dide, avait une trou­blante conver­sa­tion avec un des pen­sion­naires, qui lui racon­tait son cal­vaire psy­chique. En conver­sant plus avant avec l’homme de lettres, je ne tardai pas à décou­vrir que ce pre­mier jet n’avait en fait rien de fictif et qu’il avait lui-même ren­con­tré un aliéné tenant ces mêmes propos, lors de la visite de la cli­nique d’un méde­cin de ses amis, le célèbre pro­fes­seur Blanche, avec qui je pris aus­si­tôt contact. Grâce à lui, je pus ren­con­trer l’homme qui avait servi de modèle à l’auteur du Horla et j’eus avec lui une série d’entretiens des plus révé­la­teurs. Le sujet s’avéra être exac­te­ment ce que je pres­sen­tais : un médium raté, que les pre­mières mani­fes­ta­tions psy­chiques de ses extra­or­di­naires facul­tés de per­cep­tion, vécues à tort comme des agres­sions exté­rieures, avaient rendu irré­mé­dia­ble­ment dément. (…) Depuis cette ren­contre, j’ai pris l’habitude de sur­nom­mer effet Horla l’ensemble des phé­no­mènes pré­cé­dem­ment décrits.

Mais reve­nons à la médium­nité. Fort heu­reu­se­ment, l’effet Horla n’est pas la seule consé­quence de l’éveil des facul­tés médium­niques d’un indi­vidu. Dans plus de la moitié des cas, cet éveil se tra­duit par une accep­ta­tion pro­gres­sive de ses pou­voirs par le médium, lequel peut ensuite choi­sir ou non de déve­lop­per sa vigi­lance psy­chique en mul­ti­pliant les expé­riences. Il est tou­te­fois inté­res­sant de noter que la plu­part des médiums ignorent tout des véri­tables causes et impli­ca­tions de leurs facul­tés : le rat­ta­che­ment de ces facul­tés à un pré­tendu au-delà et à une forme de com­mu­ni­ca­tion avec les esprits des morts s’impose à eux comme la seule expli­ca­tion pos­sible et condi­tionne ensuite tout leur vécu de médium, jusqu’à faire de cer­tains d’entre eux de véri­tables fana­tiques mys­tiques chez les­quels il est sou­vent impos­sible de dis­tin­guer authen­tiques phé­no­mènes médium­niques et mani­fes­ta­tions hys­té­riques (…)

Mais quels sont exac­te­ment ces fameux pou­voirs ? De quoi un authen­tique médium est-il véri­ta­ble­ment capable ?

Lorsqu’un authen­tique médium pré­tend ou croit entrer en contact avec l’au-delà, il entre en réso­nance avec l’od ambiant, accor­dant peu à peu son id inté­rieur aux fluc­tua­tions de l’od, sui­vant une forme d’harmonie psy­chique qu’il est le seul à per­ce­voir. Une fois cette har­mo­nie éta­blie, le médium est en mesure de rece­voir dif­fé­rents mes­sages sous forme d’impressions psy­chiques extrê­me­ment fortes. Contrai­re­ment à ce que pré­tendent les tenants de la doc­trine spi­rite, ces mes­sages ne sont pas envoyés au médium par un quel­conque esprit : c’est le médium lui-même qui les capte, les détecte et les res­ti­tue en fonc­tion des infor­ma­tions qu’il recherche. L’od n’est rien d’autre qu’un gigan­tesque océan de mémoire col­lec­tive, tota­le­ment indé­pen­dant de l’espace et du temps : un médium peut donc y puiser n’importe quelle infor­ma­tion, aussi éloi­gnée puisse-t-elle paraître dans l’espace comme dans le temps. Selon un pro­ces­sus aussi fas­ci­nant que mys­té­rieux, la vision inté­rieure d’un authen­tique médium semble lui per­mettre de navi­guer intui­ti­ve­ment et extrê­me­ment rapi­de­ment vers les infor­ma­tions recher­chées. (…)

Les diverses pra­tiques connues dans le jargon spi­rite sous forme de psy­cho­mé­trie (divi­na­tion à partir d’une carte géo­gra­phique, impré­gna­tion par le médium de l’atmosphère d’un lieu ou mani­pu­la­tion d’un objet inti­me­ment lié à l’information recher­chée) s’expliquent alors de façon fort simple : la carte, l’endroit, l’objet, tout cela joue le rôle d’un sup­port, d’un réfé­rent psy­chique à partir duquel le médium peut pro­je­ter ses per­cep­tions dans l’od, un peu à la manière d’un chien de chasse reni­flant une piste (…)

De nom­breux aspects des phé­no­mènes médium­niques authen­tiques sont pro­duits par l’esprit du médium lui-même, ou plus pré­ci­sé­ment, par l’interaction de ses facul­tés et de ses croyances. Le fameux jeu des ques­tions et des réponses, pra­ti­qué par de nom­breux médiums, ne consti­tue en fait qu’un rituel incons­cient des­tiné à jus­ti­fier un pro­ces­sus infi­ni­ment com­plexe par lequel l’id du médium trie les innom­brables infor­ma­tions char­riées par l’od ambiant. Il en va de même de deux autres phé­no­mènes, par­fois extrê­me­ment spec­ta­cu­laires, qui accom­pagnent presque tou­jours les authen­tiques mani­fes­ta­tions médium­niques : l’altération de la voix du médium et la secré­tion de matière gluante et phos­pho­res­cente géné­ra­le­ment connue sous le nom d’ectoplasme. Avant de pour­suivre notre étude des dif­fé­rentes facul­tés médium­niques, exa­mi­nons de plus près ces deux mani­fes­ta­tions.

Le phé­no­mène d’altération vocale se tra­duit sou­vent par l’adoption d’une voix très éloi­gnée de la voix ordi­naire du médium, voix qui est censée être celle d’un esprit-guide par­lant à tra­vers la bouche du sujet. En réa­lité, cette voix est pro­duite par le médium lui-même, selon un pro­ces­sus clas­sique d’auto-suggestion. Chez de nom­breux médiums, la croyance dans l’existence de cet esprit-guide est si fer­me­ment ancrée dans leur psy­chisme qu’il abou­tit à l’émergence d’une véri­table seconde per­son­na­lité, natu­rel­le­ment plus apte à gérer les mani­fes­ta­tions du pou­voir médium­nique (…)

Quant à la pro­duc­tion de matière ecto­plas­mique, elle demeure sans aucun doute la mani­fes­ta­tion la plus spec­ta­cu­laire et la plus carac­té­ris­tique d’un authen­tique phé­no­mène médium­nique. Le véri­table ecto­plasme se pré­sente sous la forme d’une matière gluante et phos­pho­res­cente, de cou­leur vert pâle et tota­le­ment inodore. Cette matière est secré­tée en quan­ti­tés plus ou moins abon­dantes par le corps du médium, le plus sou­vent par les yeux, la bouche et les mains et, dans cer­tains cas, par l’enveloppe phy­sique tout entière du sujet. En règle géné­rale, cette sécré­tion est chao­tique et incon­trô­lée ; dans cer­tains cas, elle peut affec­ter la forme d’un visage, d’une sil­houette ou d’un objet quel­conque : là encore, c’est l’esprit du médium qui agit incons­ciem­ment, sculp­tant les secré­tions pro­duites afin de leur confé­rer une forme per­cep­tible. Plu­sieurs expé­riences que j’ai effec­tuées avec M. Karel Svo­boda nous ont permis d’établir qu’au prix d’une concen­tra­tion extrême, un médium était capable d’affecter consciem­ment la forme de ces secré­tions, qui ne sont rien d’autre que des éma­na­tions de fluide. En entrant en réso­nance avec l’od, l’id du médium pro­duit une sorte d’écho éphé­mère, qui se tra­duit par l’expulsion dans notre dimen­sion d’une cer­taine quan­tité de fluide. La matière en ques­tion est hau­te­ment instable et, une fois inerte, se trans­forme en pous­sière en à peine quelques minutes, pous­sière dont l’examen micro­sco­pique ne révèle aucune ano­ma­lie ou sin­gu­la­rité sus­cep­tible d’éveiller la curio­sité. A ce stade de mes recherches, je suis inca­pable d’établir si le fluide ecto­plas­mique se dés­in­tègre ou s’il rejoint sa dimen­sion d’origine sous une forme ou sous une autre. Il semble donc, pour le moment, impos­sible de conser­ver un quel­conque échan­tillon de cette matière ecto­plas­mique, mais le résul­tat de récentes expé­riences m’incite à penser que l’application d’un champ élec­tro-magné­tique soi­gneu­se­ment mesuré pour­rait per­mettre une sta­bi­li­sa­tion tem­po­raire de la matière (…)

Enfin, un authen­tique médium peut effec­ti­ve­ment avoir des pré­mo­ni­tions ou plus exac­te­ment des per­cep­tions extra-sen­so­rielles d’un futur pos­sible, le plus sou­vent au cours de rêves ou de transes hyp­no­tiques. Cette faculté reste la plus mal connue et la plus dif­fi­cile à étu­dier de toutes les capa­ci­tés médium­niques mais j’ai eu maintes fois l’occasion de véri­fier son exis­tence et son effi­ca­cité. En l’état actuel de mes recherches, je ne puis qu’hasarder l’hypothèse sui­vante : l’od étant, par nature, tota­le­ment intem­po­rel, il contient ou reflète à la fois le passé, le pré­sent et le futur – y com­pris les futurs pos­sibles à partir d’un point d’observation par­ti­cu­lier, c’est à dire le moment pré­sent où l’id du médium entre en réso­nance avec l’od. A partir de là, il est par­fai­te­ment pos­sible pour un médium de diri­ger sa vision inté­rieure vers le passé comme vers le futur mais plus l’itinéraire psy­chique à emprun­ter paraît incer­tain et nébu­leux, plus le contact sera dif­fi­cile à éta­blir. Les che­mins du futur étant, par défi­ni­tion, en per­pé­tuelle mou­vance, ils seraient, par nature, beau­coup plus acci­den­tés que ceux du passé (…) Tout ceci m’amène aujourd’hui à la cer­ti­tude que les phé­no­mènes de médium­nité sont inti­me­ment liés à ce plus vaste phé­no­mène, que nous per­ce­vons si impar­fai­te­ment et dont nous igno­rons presque tout : le Temps… 

Le pro­fes­seur Hes­se­lius ne croit pas si bien dire… En fait, ce qu’il appelle l’od ambiant n’est autre que la qua­trième dimen­sion. En tra­ver­sant le Mael­ström pour reve­nir dans le passé, le Nau­ti­lus a créé d’énormes remous dans l’od ambiant, remous qui vont entraî­ner un cer­tain nombre de consé­quences que même les plus brillants savants du Club ne sau­raient pré­voir. La pre­mière de ces consé­quences est une sorte de reflux psy­chique se tra­dui­sant par une aug­men­ta­tion pro­gres­sive des phé­no­mènes médium­niques se pro­dui­sant à partir du point d’impact, l’an 1877. Là encore, seul le futur appor­tera la réponse : wait and see…

Les médiums et le Club

Les ins­tances supé­rieures du Club n’ont pris que récem­ment conscience de la réa­lité des phé­no­mènes médium­niques. Sur ordre de Nemo lui-même, une cel­lule spé­ciale a été consti­tuée, avec pour but d’étudier ces phé­no­mènes mais aussi de recru­ter d’authentiques médiums au sein du Club afin d’utiliser leurs facul­tés dans la Guerre Secrète contre le Sym­po­sium et la Machine. Placé sous la direc­tion du pro­fes­seur Hes­se­lius et de quelques autres savants excen­triques du même style, le cercle d’Hesselius n’en est pour le moment qu’à ses bal­bu­tie­ments mais pour­rait bien jouer un rôle capi­tal dans l’évolution du conflit…

Le Fluide

Le Fluide est l’énergie vitale pri­mor­diale, le déno­mi­na­teur commun de tout ce qui est vivant dans l’univers – qu’il s’agisse de vie végé­tale ou ani­male. Pour des rai­sons encore mal défi­nies, sa quan­tité varie consi­dé­ra­ble­ment d’une espèce à une autre : plus une espèce est évo­luée sur le plan psy­chique, plus ses repré­sen­tants sont riches en Fluide. En tant que créa­tures conscientes de leur exis­tence et de leur mor­ta­lité, les êtres humains se situent donc au sommet de l’échelle flui­dique – du moins en ce qui­con­cerne les espèces ter­restres.

Histoire (et fin) d’une autre terre

Dans le futur d’origine de Nemo, le monde a été secoué par une ter­rible Pre­mière Guerre Mon­diale en 1897, avant de tomber aux mains des Pro­mé­théens en 1900, confor­mé­ment à la stra­té­gie secrète mise en place par le Sym­po­sium et ses alliés extra-ter­restres. C’est pour éviter cet enchaî­ne­ment de désastres abou­tis­sant à la des­truc­tion quasi-totale de l’humanité que le capi­taine et son équi­page ont fran­chi les portes du temps, dans le but de ré-écrire l’histoire. Cette sec­tion exa­mine en détail les évé­ne­ments qui, dans le monde de Nemo, menèrent la Terre à la catas­trophe : ils ne peuvent se repro­duire tels quels dans le monde d’Uchronia (notam­ment à cause de la dis­pa­ri­tion pré­ma­tu­rée de cer­tains per­son­nages) et sont expo­sés ici pour donner au Chro­ni­queur un aperçu de l’étrange passé du Capi­taine Nemo, ainsi que de la faci­lité avec laquelle un monde peut, en quelques années, courir à sa des­truc­tion… 

Dans un pre­mier temps, cette guerre mon­diale va s’articuler autour d’un conflit entre les États Unis d’Amérique et la Grande Bre­tagne, entraî­nant bien­tôt l’entrée en jeu des autres grandes nations du globe. Dans les années 1890, les États Unis ont achevé la domes­ti­ca­tion de leur vaste ter­ri­toire et se tournent à pré­sent vers le reste du monde : c’est tout natu­rel­le­ment que l’esprit de conquête amé­ri­cain se tourne vers l’Amérique du Sud et vers l’Océan Paci­fique, qui pour­raient bien deve­nir le ber­ceau d’un futur empire com­pa­rable à celui des vieilles puis­sances euro­péennes.

Ce nouvel esprit expan­sion­niste, sus­cep­tible de dés­équi­li­brer les rap­ports de force entre les grandes nations du globe, sert évi­dem­ment les des­seins du Sym­po­sium… La stra­té­gie des maîtres de la Machine est simple : pro­vo­quer divers inci­dents diplo­ma­tiques avec d’autres pays, dans le but de déclen­cher une montée de la ten­sion inter­na­tio­nale puis, fina­le­ment, une véri­table guerre aux réper­cus­sions mon­diales.

Leur carte-maî­tresse est un cer­tain Siller­ton Warren Jr, fils du célèbre mil­liar­daire amé­ri­cain excen­trique. Animé par un patrio­tisme presque mys­tique, Siller­ton croit à la des­ti­née mani­feste de son pays et est prêt à deve­nir le porte-éten­dard d’une nou­velle ère placée sous le signe de la sou­ve­rai­neté amé­ri­caine. Élu séna­teur de Cali­for­nie grâce à son cha­risme peu commun, Siller­ton Warren Jr connaît bien­tôt une ascen­sion poli­tique ful­gu­rante, lar­ge­ment favo­ri­sée par les mani­pu­la­tions secrètes du Sym­po­sium, et se retrouve, en 1893, Secré­taire d’État aux Affaires Étran­gères sous la pré­si­dence de Grover Cle­ve­land. Le cau­che­mar peut alors com­men­cer…

1896 : Crise du Vene­zuela

Le Vene­zuela est alors placé sous la double-influence des États Unis, qui consi­dèrent l’Amérique du Sud comme leur chasse gardée, et de la Grande Bre­tagne, par l’intermédiaire de sa colo­nie limi­trophe de Guyane bri­tan­nique. Depuis quelques années, un dif­fé­rend fron­ta­lier oppose les deux pays : sans le moindre aver­tis­se­ment, Warren décide de régler la ques­tion en envoyant des troupes sur place. La guerre sera évitée de jus­tesse, mais l’incident entraîne une rup­ture des rela­tions diplo­ma­tiques entre Londres et Washing­ton. De son côté, l’Europe s’inquiète et condamne le com­por­te­ment bel­li­queux du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain. Le pre­mier pas vers la guerre vient d’être fran­chi.

1897 : Siller­ton Warren Jr à la Maison Blanche

Cet épi­sode a conféré à Siller­ton Warren Jr une extra­or­di­naire popu­la­rité auprès de l’opinion publique amé­ri­caine : en quelques mois, Siller­ton Warren Jr éclipse le pré­sident et devient le nouvel homme fort des États Unis. En novembre 1897, sa vic­toire aux élec­tions pré­si­den­tielles est un véri­table triomphe…

1897 : Crise des Samoa

Après le Vene­zuela, Warren va jeter son dévolu sur les Iles Samoa : situé sur la prin­ci­pale route vers l’Asie et l’Australie, cet archi­pel consti­tue un enjeu stra­té­gique majeur pour le com­merce mari­time. Il est placé sous le triple contrôle de la Grande Bre­tagne, des États Unis et de l’Allemagne. Warren pro­pose tout d’abord aux deux autres nations d’acheter leur part du ter­ri­toire, ce que les inté­res­sés refusent évi­dem­ment avec indi­gna­tion. Quelques jours plus tard, les pos­ses­sions bri­tan­niques font l’objet de bom­bar­de­ments par­ti­cu­liè­re­ment des­truc­teurs. La ten­sion est à son comble. Un peu par­tout dans le monde, des voix, notam­ment celles du poli­ti­cien fran­çais Georges Clé­men­ceau, s’élèvent pour deman­der la tenue d’une grande confé­rence inter­na­tio­nale pour la paix — en vain.

1897 : Les Amé­ri­cains à l’aide des Boers

Nou­velle pro­vo­ca­tion amé­ri­caine contre les inté­rêts bri­tan­niques, cette fois-ci en Afrique : les États Unis livrent des armes aux Boers, ces colons d’Afrique du Sud d’origine néer­lan­daise réfrac­taires à l’autorité bri­tan­nique. Cette fois-ci, la coupe est pleine : le gou­ver­ne­ment de Sa Majesté ne tolè­rera plus la moindre pro­vo­ca­tion de la part des États Unis et envoie un ulti­ma­tum solen­nel à la Maison Blanche.

1897 : Le Feu aux poudres

L’ultimatum n’a aucun effet et, le 2 Juillet 1897, la guerre entre les deux grandes puis­sances éclate – il s’agit d’abord d’un conflit essen­tiel­le­ment mari­time, limité à l’océan atlan­tique, mais, très vite, l’affrontement s’étend à la terre ferme : en Afrique, puis en Amé­rique du Sud et même au Canada… Pro­fi­tant de la confu­sion inter­na­tio­nale, le Japon lance sa for­mi­dable flotte de guerre à l’assaut de la Chine, dont les côtes subissent d’effrayants bom­bar­de­ments vul­ca­niques. La Russie, inquiète de voir le Japon poser un pied en Asie, rejoint le conflit début sep­tembre 1897. Quelques jours plus tard, c’est au tour de l’Allemagne d’entrer dans la danse, avec une décla­ra­tion de guerre conjointe à l’Angleterre et à la France.

1897–1899 : Un Monde en flammes

Les ter­ri­fiantes cita­delles rou­lantes de l’Eisenwehr (« armée de fer ») alle­mande sèment la mort et la des­truc­tion sur leur pas­sage : en quelques semaines, la France est réduite à l’état de champ de ruines. La Grande Bre­tagne résiste vaillam­ment mais cède bien­tôt sous les bom­bar­de­ments vul­ca­niques des diri­geables de guerre du Comte Zep­pe­lin. Le 13 octobre 1898, Londres est défi­ni­ti­ve­ment détruite, son­nant le glas de l’empire bri­tan­nique. Les morts se comptent bien­tôt par dizaines de mil­lions. L’Europe et l’Asie sont dévas­tées par les bom­bar­de­ments chi­miques et vul­ca­niques.

1899–1900 : Le der­nier acte

Au milieu de ce désastre, deux vain­queurs semblent émer­ger : les États Unis d’Amérique et l’Empire du Japon… mais la sphère paci­fique est sans doute trop petite pour ces deux géants qui, en décembre 1899, entrent en guerre l’un contre l’autre. En 1900, lorsque les Pro­mé­théens débarquent en masse, la Terre n’est plus qu’un immense no man’s land et l’humanité a épuisé ses der­nières forces. Un nou­veau cau­che­mar peut alors com­men­cer…

La preuve en images

A bord du Nau­ti­lus, Nemo dis­pose d’images ciné­ma­to­gra­phiques de la Guerre qui rava­gea son futur d’origine : on y voit, entre autres, un Londres en ruines sur­volé par les zep­pe­lins de la Sturm­waffe et un Paris dévasté, théâtre d’affrontements entre d’effrayantes machines blin­dées… De telles images sont propres à convaincre les plus scep­tiques de la réa­lité de cette guerre à venir – le fait que le ciné­ma­to­graphe n’ait pas encore été décou­vert ren­force évi­dem­ment le choc que leur pro­jec­tion est sus­cep­tible de pro­vo­quer chez des spec­ta­teurs des années 1890. Dans le futur de Nemo, les images ani­mées firent leur appa­ri­tion en 1896… sous patente Edison, bien entendu !

Deuxième Partie : L’aube de la terre

Au commencement étaient les Anciens…

Il y a de cela un peu plus de 15 000 ans, un étrange arte­fact péné­tra à l’intérieur de notre sys­tème solaire. Il s’agissait d’une nef d’exploration appar­te­nant à un peuple extra-ter­restre venu d’Alpha du Cen­taure, un peuple dont l’origine se perd dans les méandres du temps et que les chro­niques atlantes dési­gnent sous le nom d’Anciens. Endom­ma­gée par le long voyage inter­stel­laire, le vais­seau se posa en catas­trophe sur l’une des deux pla­nètes habi­tables de notre sys­tème solaire : Mars, que les nau­fra­gés bap­ti­sèrent Mu. Ce sont les ves­tiges de ce vais­seau, d’une taille gigan­tesque, que, bien plus tard, nos astro­nomes bap­ti­sèrent Olym­pus, les confon­dant avec une mon­tagne. Prin­ci­pal bâti­ment de la flotte d’exploration des Anciens, la nef Olym­pus convoyait, à l’intérieur de ses flancs, près de deux cent mil­liers d’individus ayant voué leur exis­tence entière à la décou­verte et à la colo­ni­sa­tion de mondes nou­veaux, quête qui pou­vait par­fois s’étendre sur plu­sieurs siècles : déjà dotés d’une lon­gé­vité natu­relle cinq fois supé­rieure à celle de l’espèce humaine, les Anciens qui s’embarquaient pour le Long Voyage voyaient leur espé­rance de vie encore aug­men­tée par l’usage régu­lier de puis­sants élixirs d’immortalité. Conçues spé­cia­le­ment pour les voya­geurs stel­laires, ces drogues agis­saient éga­le­ment comme des contra­cep­tifs – effet secon­daire qui avait pour objec­tif d’empêcher toute sur­po­pu­la­tion à bord des nefs.

Tota­le­ment coupés de leur monde d’origine, les sur­vi­vants du nau­frage mar­tien déci­dèrent de s’établir en colons sur cette nou­velle pla­nète (alors fer­tile) en atten­dant que le contact avec leur pla­nète-mère puisse être réta­bli, ce qui pren­drait cer­tai­ne­ment plu­sieurs siècles, compte tenu de la durée de leur voyage. Confron­tés à la néces­sité d’organiser la petite com­mu­nauté, les membres de l’équipage, issus pour la plu­part de la caste guer­rière, prirent rapi­de­ment les rênes du pou­voir, confiant aux scien­ti­fiques de l’équipe d’exploration la dif­fi­cile mis­sion d’acclimater la pla­nète pour la rendre natu­rel­le­ment habi­table. Dotés d’une ossa­ture très fine, les Anciens sup­por­taient très mal les gra­vi­tés éle­vées et une part du pro­gramme d’acclimatation fut consa­crée à réduire la pesan­teur mar­tienne, une mesure qui pro­vo­que­rait bien plus tard la lente mort de Mars.

Les pre­mières études géo­lo­giques effec­tuées déce­lèrent dans le sous-sol mar­tien d’importants gise­ments de vul­ca­nium, mine­rai indis­pen­sable à la tech­no­lo­gie des Anciens : la pré­sence de ce pré­cieux métal contri­bua sans doute à atti­ser la convoi­tise et la soif de pou­voir des gou­ver­neurs mili­taires, dont l’assemblée se trans­forma bien­tôt en véri­table oli­gar­chie jalouse de son auto­rité et de ses pri­vi­lèges. Avec le temps, il appa­rut aux diri­geants de la colo­nie que le réta­blis­se­ment d’un contact avec leur monde d’origine met­trait fin à leur règne : il impor­tait donc d’entraver au maxi­mum les efforts entre­pris en ce sens par les scien­ti­fiques, qui s’opposaient de plus en plus au diktat des mili­taires. Dési­reux de fonder leur propre empire, les Gou­ver­neurs décré­tèrent que les vais­seaux ori­gi­nel­le­ment des­ti­nés à rega­gner la pla­nète-mère seraient en fait uti­li­sés pour explo­rer les mondes voi­sins et défendre la colo­nie contre toute agres­sion exté­rieure – y com­pris contre l’arrivée d’une éven­tuelle mis­sion de secours…

Au bout de quelques siècles, la colo­nie mar­tienne était deve­nue une puis­sance tota­le­ment auto­nome, des­po­tique et déca­dente. Les Gou­ver­neurs, rendus qua­si­ment immor­tels (et défi­ni­ti­ve­ment sté­riles) par une consom­ma­tion immo­dé­rée d’élixirs de lon­gé­vité, étaient deve­nus des tyrans instables et capri­cieux, retran­chés dans leur cita­delle au sommet du Mont Olym­pus. Quant aux scien­ti­fiques, ils avaient appa­rem­ment renoncé à toute vel­léité d’opposition, contraints par la force de col­la­bo­rer aux menées de l’oligarchie. Grâce à de savantes mani­pu­la­tions géné­tiques, de nom­breuses espèces ani­males ori­gi­naires de Mars avaient atteint un niveau d’intelligence suf­fi­sam­ment élevé afin de servir les Anciens, notam­ment dans l’extraction et l’exploitation du pré­cieux Vul­ca­nium : parmi ses races se trou­vaient les Octo­poïdes, créa­tures mi-pieuvres mi-méduses char­gées de récol­ter les nodules vul­ca­niques au fond des océans mar­tiens. A cette époque, les Anciens étaient bien loin de se douter qu’un jour encore loin­tain, la race-esclave des Octo­poïdes régne­rait à leur place sur la sur­face de Mars…

Des ingé­nieurs furent char­gés de trans­for­mer l’une des lunes en nef inter­stel­laire et, pen­dant des décen­nies, ils pillèrent les ves­tiges d’Olympus, récu­pé­rant un des immenses moteurs ainsi que les dif­fé­rents sys­tèmes de navi­ga­tion, afin de per­mettre à Atlan­tis (nom qu’ils avaient donné à cette lune) de prendre son essor hors de l’attraction mar­tienne. Vais­seau expé­ri­men­tal, l’Atlantis ne fai­sait que quelques kilo­mètres de dia­mètre et était loin de pou­voir riva­li­ser avec son glo­rieux ancêtre, mais sa construc­tion marqua un tour­nant déci­sif dans l’histoire des Anciens de Mu. Près de sept cents ans après l’atterrissage forcé, la colo­nie deve­nue empire était enfin dotée de son pre­mier bâti­ment inter­pla­né­taire, prête à décou­vrir et à conqué­rir le reste du sys­tème solaire, avec à son bord plu­sieurs dizaines de mil­liers d’explorateurs tout dévoués à l’oligarchie…

L’ère des Atlantes

Pen­dant tous ces siècles de des­po­tisme, les prin­ci­paux membres de la com­mu­nauté scien­ti­fique mar­tienne s’étaient peu à peu regrou­pés au sein d’une fra­ter­nité secrète, lut­tant par tous les moyens pos­sibles contre le pou­voir dic­ta­to­rial des gou­ver­neurs. Au fil du temps, nombre d’entre eux déci­dèrent que la seule issue était de quit­ter Mu pour fonder, sur une autre pla­nète, une société juste et éga­li­taire, entiè­re­ment placée sous l’égide de la science. La veille de la grande fête donnée en l’honneur du départ de l’Atlantis, fixé au jour anni­ver­saire du nau­frage fon­da­teur, la fra­ter­nité des savants sabota les prin­ci­paux réac­teurs vul­ca­niques qui ali­men­taient la cita­delle d’Olympus, pro­vo­quant la panique parmi les gou­ver­neurs et leurs ser­vi­teurs. Pro­fi­tant du black-out géné­ral, vingt-mille rebelles de la fra­ter­nité par­vinrent à s’embarquer clan­des­ti­ne­ment à bord de l’Atlantis, pre­nant le contrôle total de la nef, qui quitta bien­tôt l’orbite mar­tienne, aban­don­nant à jamais la pla­nète en quête d’un monde meilleur…

Ordre fut alors donné d’abattre le vais­seau-lune. Sévè­re­ment touché par un mis­sile vul­ca­nique, l’Atlantis par­vint néan­moins à s’échapper et, au terme d’un court voyage spa­tial, atter­rit en catas­trophe sur la pla­nète la plus proche de Mars : la Terre… De nos jours, dans une contrée que les hommes appellent l’Australie, on peut tou­jours admi­rer la coque miné­rale de l’Atlantis – qui n’est autre que le célèbre rocher d’Ayers Rock.

Dès leur arri­vée sur ce nou­veau monde, ceux qui se bap­ti­saient désor­mais les Atlantes décou­vrirent que la Terre était non seule­ment habi­table, mais d’ores et déjà habi­tée. Parmi les nom­breuses créa­tures ter­restres, les savants atlantes s’intéressèrent tout par­ti­cu­liè­re­ment à la jeune espèce humaine, dont les repré­sen­tants étaient éton­nam­ment proches de leur propre phy­sio­no­mie : ces êtres pri­mi­tifs maî­tri­saient déjà l’usage d’outils rudi­men­taires et les cavernes où ils s’abritaient étaient ornées de superbes pein­tures qui indi­quaient que cette race était à l’aube de décou­vrir l’écriture, pre­mier pas vers la civi­li­sa­tion. Ce pre­mier contact entre Atlantes et humains est à l’origine des mythes abo­ri­gènes sur le peuple des Mimis, géants gra­ciles capables de séjour­ner et de voya­ger à l’intérieur des pierres…

Cer­tains Atlantes res­tèrent sur place, à l’intérieur et autour du vais­seau-lune, deve­nant les gar­diens du pré­cieux arte­fact et de ses nom­breux secrets ; d’autres déci­dèrent de partir à la décou­verte du reste de la pla­nète, fon­dant bien­tôt une nou­velle colo­nie sur un vaste conti­nent vierge de toute pré­sence humaine, situé entre l’actuelle Europe et l’Amérique, au milieu de cet océan que nous appe­lons Atlan­tique. Là, ils fon­dèrent une civi­li­sa­tion qui allait bou­le­ver­ser l’histoire de notre monde et lais­ser son empreinte dans les croyances, les sciences et les rêves de l’Humanité : l’Atlantide était née.

Apogée et décadence d’une civilisation

Pen­dant plus de quatre mille ans, les Atlantes s’épanouirent sur la Terre, oubliant presque la menace de leurs frères enne­mis de Mu. Aban­don­nant les élixirs de lon­gé­vité qui avaient cor­rompu la colo­nie mar­tienne, ils ins­tau­rèrent une répu­blique où tous avaient voix, et où seul le bien de la com­mu­nauté impor­tait. Forts de leur extra­or­di­naire savoir, ils se consi­dé­raient tou­te­fois comme les sei­gneurs et maîtres de toutes les autres espèces ter­restres, n’hésitant pas à modi­fier cer­taines d’entre elles par la magie de leur science. Ainsi naquirent les Sel­kies et les Hommes Taupes, créa­tures arti­fi­ciel­le­ment évo­luées ou recom­bi­nées par les savants d’Atlantis. La tech­no­lo­gie des Atlantes, tout comme celle des Anciens, repo­sait en grande partie sur le Vul­ca­nium, le fameux ori­chalque men­tionné par Platon dans son récit sur l’Atlantide. Mine­rai appa­rem­ment pré­sent sur la plu­part des mondes du sys­tème solaire, le Vul­ca­nium était beau­coup plus rare sur Terre que sur Mars et fit l’objet d’une exploi­ta­tion inten­sive par les Atlantes : les Sel­kies le récol­taient au fond des mers, alors que les Hommes Taupes l’extrayaient des entrailles de la pla­nète.

Prin­cipe fon­da­teur de leur société, la science des Atlantes était en constante évo­lu­tion, libé­rée des contraintes impo­sées par l’oligarchie mar­tienne. Guidés par leur volonté d’omniscience, les Atlantes per­cèrent les secrets du temps et de l’espace, ceux de la matière et ceux de la vie. Imbus de leur savoir et de leur supé­rio­rité, ils se pré­sen­tèrent bien­tôt aux hommes sous l’apparence de dieux, contri­buant à créer les pre­miers mythes de l’humanité et gui­dant avec indul­gence les lents pro­grès de notre espèce sur la voie de la civi­li­sa­tion.

L’extraordinaire ville d’Atlantis, nommée en l’honneur de leur vais­seau d’exode, fut la plus grande et la plus belle cité jamais édi­fiée à la sur­face de notre pla­nète. Les bâti­ments, d’une finesse extrême, s’élevaient dans le ciel, défiant la pesan­teur ; de nom­breux jar­dins repro­dui­saient l’environnement des dif­fé­rentes pla­nètes que la race des Anciens avait visi­tées, recons­ti­tués d’après les sou­ve­nirs emma­ga­si­nés dans les cylindres de connais­sances appor­tés de Mars. De fabu­leuses fon­taines pro­je­taient de l’eau sculp­tée par la tech­no­lo­gie des champs de force, véri­tables œuvres d’art mou­vantes repré­sen­tant les héros de la révolte et les fon­da­teurs de la cité. Dans les rues imma­cu­lées, il n’y avait nulle trace de pau­vreté ; les larges ave­nues étaient pavées de marbre et d’onyx, les façades des demeures ornées d’or et d’argent, de nacre et de quartz irisé. Au cœur de la res­plen­dis­sante capi­tale s’élevait l’immense palais du sénat, où chaque citoyen atlante pou­vait faire entendre sa voix.

Mais ni les idéaux de sa culture ni les pro­diges de sa science ne pré­ser­vèrent cette civi­li­sa­tion de la déca­dence et de l’érosion : insen­si­ble­ment, la société atlante devint de plus en plus cor­rom­pue, oubliant les prin­cipes phi­lo­so­phiques qui avaient pré­sidé à sa consti­tu­tion. La cité devint bien­tôt un monu­ment dédié au vice et au plai­sir, des gla­dia­teurs humains com­bat­taient des Sel­kies, des Hommes Taupes ou d’autres créa­tures alté­rées pour le plai­sir des spec­ta­teurs dans de gigan­tesques arènes, qui rem­pla­cèrent biblio­thèques et parcs. A la tri­bune du par­le­ment, on lança un jour l’idée de partir à la conquête de Mu, afin d’imposer l’ordre atlante aux arro­gants Anciens de la colo­nie : peu à peu, cette idée fit son chemin et la pers­pec­tive d’une guerre inter­pla­né­taire devint l’ultime caprice d’une société malade de son omni­po­tence. Pen­dant cette période trouble, un groupe d’idéalistes, qui n’arrivait pas à faire entendre sa voix dans le tumulte géné­ral, com­prit que l’Atlantide était à l’agonie et que sa chute était immi­nente. Alors que les bel­li­cistes s’enflammaient, ces der­niers apôtres du paci­fisme entre­prirent de sau­ve­gar­der tout le savoir accu­mulé par leur race dans des sanc­tuaires secrets dis­si­mu­lés sur tous les conti­nents du globe. Bien­tôt, le Grand Déluge s’abattit sur la Terre, détrui­sant en quelques heures l’Atlantide et toute sa civi­li­sa­tion.

La Guerre Diluvienne

Quelques mois à peine avant ce cata­clysme, les grandes forges atlantes pro­dui­saient d’effrayantes armes de des­truc­tion mas­sive, des­ti­nées à rayer toute vie de la sur­face de Mars. Durant plu­sieurs semaines, les ingé­nieurs de guerre atlantes pro­cé­dèrent aux lan­ce­ments de ces mor­tels arte­facts, illu­mi­nant le ciel d’explosions incan­des­centes, qui devinrent bien­tôt un spec­tacle de plus pour les citoyens ; il y eut même des poètes pour vanter l’émouvante beauté de ces traits de feu frap­pant les cieux loin­tains. Des astro­nomes guet­taient dans leurs téles­copes l’arrivée des pre­miers mis­siles, aver­tis­sant le sénat chaque fois qu’un impact était décelé à la sur­face de Mars. L’euphorie régnait dans la capi­tale Atlan­tis : l’absence totale de riposte sem­blait indi­quer que la science des Atlantes avait défi­ni­ti­ve­ment sup­planté celle de leurs aînés mar­tiens. La vic­toire serait totale, et le triomphe mythique.

Sur Mars, la civi­li­sa­tion des Anciens avait effec­ti­ve­ment décliné. En com­bat­tant les savants, l’oligarchie avait condamné la colo­nie à la stag­na­tion, puis à la régres­sion. Pen­dant les mil­lé­naires où les Atlantes avaient pros­péré et régné sur la Terre, les Anciens de Mu, se foca­li­sant sur le seul domaine qu’ils avaient tou­jours dominé, celui de la guerre et de l’armement : au fil du temps, la crainte d’être retrou­vés par des émis­saires venus de leur monde d’origine s’était muée en véri­table obses­sion, et la pos­si­bi­lité d’une ven­geance atlante n’avait fait que ren­for­cer la para­noïa des membres de l’oligarchie, qui déci­dèrent de tout mettre en œuvre pour pré­ser­ver la cita­delle Olym­pus de toute attaque exté­rieure. Dans ce but, leurs ingé­nieurs spé­cia­li­sés dans la science de la guerre conçurent de puis­sants bou­cliers magné­tiques à l’épreuve des armes les plus dévas­ta­trices et un gigan­tesque canon à cris­tal incan­des­cent, arme abso­lue capable d’atteindre la sur­face de la Terre…

Grâce au pou­voir des bou­cliers, les pre­mières explo­sions des mis­siles atlantes sur Mars furent res­sen­ties à l’intérieur d’Olympus comme de simples piqûres d’insectes, même au plus fort de l’attaque. Une semaine passa, sans que les Anciens ne lancent la moindre riposte. Invul­né­rables, ils atten­daient sim­ple­ment la conjonc­tion pla­né­taire idéale pour viser le cœur-même de l’ennemi. Un soir, les astro­nomes atlantes obser­vèrent une érup­tion de flammes et de vapeurs vertes au sommet d’Olympus et crurent naï­ve­ment que les mys­té­rieuses défenses de la cita­delle avaient enfin été per­cées… Ils ne pou­vaient savoir qu’il s’agissait en fait des signes de l’activation du canon à cris­tal. Sou­dain, alors qu’Atlantis se pré­pa­rait déjà à fêter sa vic­toire, une colonne de feu des­cen­dit du ciel et détrui­sit la cité, car­bo­ni­sant en quelques ins­tants des mil­lions d’Atlantes. Trois autres salves suf­firent à faire som­brer le conti­nent entier, pro­vo­quant un immense raz-de-marée – le fameux Déluge de la Genèse. Le pilier de feu et la des­truc­tion sou­daine de l’Atlantide pro­vo­quèrent de nom­breux chan­ge­ment dans le climat de la pla­nète, et modi­fièrent même son axe de rota­tion, ce qui entraîna des consé­quences cata­clys­miques : pen­dant des mois, les nuages crées par l’extrême cha­leur des salves du canon déver­sèrent des litres d’eau sur les terres, pro­vo­quant inon­da­tions et cou­lées de boues, et de nom­breux séismes déchi­rèrent la sur­face de la pla­nète ; un peu par­tout, des vol­cans endor­mis se réveillèrent, vomis­sant leur lave incan­des­cente sur des plaines autre­fois fer­tiles ; des régions entières du globe devinrent des déserts de glace ou de sable, tandis que, len­te­ment, la Terre renais­sait…

Après le cataclysme

Seuls quelques dizaines d’Atlantes sur­vé­curent au désastre : la plu­part d’entre eux étaient des paci­fistes bannis hors d’Atlantis pour s’être oppo­sés de toute leur âme à la guerre contre Mu et qui, ironie suprême, ne devaient leur salut qu’à leur exil dans des terres loin­taines. Der­niers repré­sen­tants d’une race fou­droyée par sa propre arro­gance, ces sur­vi­vants choi­sirent de ne plus jamais se com­por­ter en conqué­rants, mais d’œuvrer dans l’ombre pour le bien de l’humanité en gui­dant ses esprits les plus pro­met­teurs sur la voie de la sagesse. Pour accom­plir cette noble mis­sion, les der­niers Atlantes se dis­per­sèrent à tra­vers le monde et se mêlèrent aux tribus humaines afin de les aider à rebâ­tir de nou­velles civi­li­sa­tions, dont ils devinrent les dieux, les sages ou les héros. L’Age de l’Atlantide était révolu, et le règne de l’Homme pou­vait com­men­cer.

L’héritage atlante

Lorsque les Atlantes les plus clair­voyants sen­tirent que la der­nière heure de leur civi­li­sa­tion avait sonné, cer­tains d’entre eux déci­dèrent de ras­sem­bler et de conser­ver l’histoire de leur peuple, ainsi que l’extraordinaire savoir scien­ti­fique qu’il avait accu­mulé au fil des siècles, afin de lais­ser un témoi­gnage de la gran­deur d’Atlantis – ainsi qu’un aver­tis­se­ment solen­nel — aux futurs héri­tiers de la Terre. Ces connais­sances furent enre­gis­trées sous forme cryp­tée sur des cylindres faits d’un alliage vul­ca­nique extrê­me­ment léger, qui furent placés dans des Sanc­tuaires vir­tuel­le­ment indes­truc­tibles, situés dans les endroits les plus inac­ces­sibles du globe. Ces Sanc­tuaires étaient au nombre de sept. Chacun d’entre eux abri­tait douze cylindres, ainsi qu’une machine per­met­tant de les décryp­ter. De ces sept cylindres, seuls deux résis­tèrent aux des­truc­tions de la Guerre Dilu­vienne et aux ravages du temps : l’un d’eux, englouti sous les eaux près d’une Porte tem­po­relle, devint une sorte de monu­ment sacré pour le peuple sous-marin des Sel­kies, der­nier ves­tige de l’ancienne civi­li­sa­tion qui les avait créés et asser­vis. Créa­tures fon­ciè­re­ment paci­fiques, indif­fé­rentes aux notions de conquête, de science, de pou­voir ou de tech­no­lo­gie, les Sel­kies ne cher­chèrent jamais à s’emparer des tré­sors conte­nus à l’intérieur du Sanc­tuaire her­mé­ti­que­ment clos – mieux encore, ils savaient qu’un jour « le der­nier sage de la sur­face » vien­drait reven­di­quer ses tré­sors pour sauver le monde et mener les Sel­kies vers une nou­velle ère…

C’est ce Sanc­tuaire sous-marin qui fut redé­cou­vert par Nemo dans son futur d’origine. C’est là qu’il trouva les cylindres atlantes et l’appareil-décrypteur — qui devait deve­nir Mnemos, la machine pen­sante du Nau­ti­lus. Ces mer­veilles issues d’une civi­li­sa­tion perdue furent évi­dem­ment embar­quées à l’intérieur du sub­mer­sible. Après son grand saut dans le temps, Nemo, avec l’aide des Sel­kies, retrouva le Sanc­tuaire, dont le pré­cieux contenu exis­tait désor­mais en double exem­plaire. Après mûre réflexion, il décida de lais­ser l’endroit tel quel : ainsi, même si le Nau­ti­lus venait à som­brer et que les cylindres pos­sé­dés par le Club soient irré­mé­dia­ble­ment détruits, le Sanc­tuaire, tou­jours gardé par les Sel­kies, en conser­ve­rait l’intégralité…

Presque tout le monde dans l’univers d’Uchronia ignore qu’un second Sanc­tuaire, situé dans les hau­teurs de l’Himalaya, a sur­vécu au pas­sage des mil­lé­naires… Nous n’en dirons pas plus pour le moment, mais sachez que ce Sanc­tuaire est, en grande partie, à l’origine du Savoir Secret des Adeptes, les magi­ciens du monde d’Uchronia (voir ci-après).

Fin des Anciens et genèse des Prométhéens

La guerre dilu­vienne sonna le glas de l’Atlantide mais marqua éga­le­ment le début de la lente éro­sion de la civi­li­sa­tion mar­tienne. Peu à peu, les Anciens entrèrent en déca­dence, à mesure que la pla­nète autour d’eux se mou­rait. Enfer­més dans leur cita­delle, ils regar­daient les plaines, les lacs et les mers de leur colo­nie se trans­for­mer peu à peu en un immense désert rouge, aux sables satu­rés de pous­sière de Vul­ca­nium : l’atmosphère elle-même, irré­mé­dia­ble­ment cor­rom­pue par les éma­na­tions et les retom­bées des bombes atlantes, devint bien­tôt irres­pi­rable hors des bou­cliers d’Olympus, ultime bas­tion d’une race à l’agonie. Peu à peu, les réserves de Vul­ca­nium s’épuisèrent et les Anciens durent renon­cer à leurs armes et à leurs machines les plus avan­cées afin de main­te­nir les sys­tèmes de survie d’Olympus en état de fonc­tion­ne­ment : ainsi les fameux Bou­cliers, qui avaient pro­tégé la colo­nie des assauts atlantes, durent être désac­ti­vés, faute d’énergie. Quelques siècles après leur ultime vic­toire sur les Atlantes, les Anciens étaient deve­nus un peuple dément, pri­son­nier de ses chi­mères pas­sées et promis à une lente extinc­tion. Leur fin iné­luc­table allait être pré­ci­pi­tée par l’invasion sou­daine des Octo­poïdes, ces créa­tures-esclaves qu’ils avaient eux même créés dans un loin­tain passé pour récol­ter le Vul­ca­nium au fond des mers.

Bien que sou­mises à leurs maîtres du mont Olym­pus, ces créa­tures n’en étaient pas moins intel­li­gentes et pos­sé­daient une forme de civi­li­sa­tion fondée sur un sys­tème de sous-espèces équi­va­lentes à des castes : les Ramas­seurs, spé­ci­fi­que­ment char­gés de la récolte du mine­rai, les Pro­tec­teurs, assu­rant la défense et la dis­ci­pline des groupes de ramas­sage, et les Régis­seurs, caste supé­rieure char­gée de la sur­veillance des matrices de repro­duc­tion et seule habi­li­tée à trai­ter avec les « Dieux d’en haut », les Anciens. Lorsque la pol­lu­tion pla­né­taire com­mença à empoi­son­ner l’eau des mers, tuant des mil­liers de larves Octo­poïdes, les Régis­seurs com­prirent que leurs dieux les avaient aban­donné, les condam­nant à une mort cer­taine. Nul ne sait exac­te­ment ce qui se pro­dui­sit alors : selon toute vrai­sem­blance, les Régis­seurs par­vinrent à mani­pu­ler le fonc­tion­ne­ment des matrices, qui don­nèrent nais­sance à des créa­tures mutantes, pour les­quelles les par­ti­cules vul­ca­niques n’étaient plus un poison, mais un nutri­ment vital. Ces nou­veaux Octo­poïdes étaient éga­le­ment dotés de cer­veaux hyper­dé­ve­lop­pés géné­ra­teurs d’un flux télé­ki­né­sique leur per­met­tant par exemple de se dépla­cer en flot­tant au-dessus du sol. Émer­geant en masse d’un envi­ron­ne­ment natu­rel désor­mais inha­bi­table, pous­sés par la néces­sité de la survie col­lec­tive, les Octo­poïdes s’adaptèrent rapi­de­ment à leur nou­veau milieu et entrèrent bien­tôt en lutte contre leurs maîtres d’autrefois pour le contrôle de la sur­face. Les Anciens résis­tèrent plu­sieurs siècles mais furent fina­le­ment sub­mer­gés par le nombre sans cesse crois­sant de leurs enne­mis. Ces der­niers, grâce à leurs facul­tés psy­chiques de plus en plus déve­lop­pées, étaient deve­nues capables d’absorber psy­chi­que­ment les connais­sances des Anciens, s’emparant bien­tôt de leurs secrets les plus pré­cieux. C’est ainsi, qu’au fil des géné­ra­tions, les anciennes créa­tures-esclaves apprirent à conce­voir leurs propres machines et à com­battre leurs maîtres de jadis avec leurs propres armes…Peu à peu, les Anciens dis­pa­rurent de la sur­face de Mars et les Octo­poïdes, que l’humanité connaî­trait plus tard sous le nom de Pro­mé­théens, prirent pos­ses­sion de la pla­nète rouge…


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