Manuel du Chroniqueur

Les Quatre Dimensions d’Uchronia

Uchro­nia n’aurait évi­dem­ment jamais vu le jour sans les œuvres de Jules Verne, d’Herbert George Wells et de quelques autres grands pré­cur­seurs de la lit­té­ra­ture de science fic­tion, ou plutôt d’anticipation, comme on l’appelait à l’époque… Un des objec­tifs d’Uchronia est de par­ve­nir à cap­tu­rer tout le charme de ces récits, en plon­geant les joueurs dans des aven­tures épiques et extra­va­gantes, pleines de rebon­dis­se­ments et d’événements étranges, le tout dans cette atmo­sphère déca­lée carac­té­ris­tique du genre steam­punk : bref, de leur ouvrir les portes d’un monde à la fois bizarre et fami­lier, un monde où l’Histoire peut diver­ger à n’importe quel moment, un monde où tout est pos­sible…

Pour par­ve­nir à rendre vivant et vrai­sem­blable ce passé impos­sible, le Chro­ni­queur dis­pose d’un cer­tain nombre d’outils, de réfé­rences et de recettes, que nous exa­mi­ne­rons en détail ci-après… mais avant toute chose, il convient d’étudier de plus près les quatre Dimen­sions du jeu, quatre points-clés qui dif­fé­ren­cient Uchro­nia d’autres jeux de rôle plus clas­siques.

La Dimension Feuilletonesque

Uchro­nia ne s’inspire pas seule­ment des thèmes des grands romans d’aventure et d’anticipation de la fin du XIXème siècle, mais aussi de leur forme, de leur style et de leur ambiance, ce qui explique l’emploi de termes comme Chro­ni­queur, Épi­sode ou Feuille­ton, des­ti­nés à ancrer d’emblée le jeu dans un mode de nar­ra­tion dyna­mique et enlevé, pri­vi­lé­giant le sus­pense et la ten­sion dra­ma­tique. Cette Dimen­sion Feuille­to­nesque pourra éga­le­ment se retrou­ver dans le jeu d’acteur des joueurs, dans le ton et le rythme adop­tés par le Chro­ni­queur, mais aussi dans la construc­tion des Épi­sodes et l’élaboration du Feuille­ton, comme nous le ver­rons par la suite. Le Chro­ni­queur d’Uchronia ne doit pas hési­ter à uti­li­ser tous les arti­fices et les stra­ta­gèmes encore employés aujourd’hui par les scé­na­ristes de séries télé­vi­sées ou de bandes des­si­nées à suivre : rebon­dis­se­ments constants, adver­saires récur­rents, coups de théâtre, fins de partie en cliff­han­ger et autres ficelles nar­ra­tives éprou­vées. Ces divers petits trucs de mise en scène sont exa­mi­nés en détail dans la partie Met­teur en Scène. (Cli­quer en bas de page sur les Trois Rôles du Chro­ni­queur.)

Une autre carac­té­ris­tique typi­que­ment feuille­to­nesque est la pos­si­bi­lité d’étaler les aven­tures des héros sur plu­sieurs années. Dans le contexte par­ti­cu­lier d’Uchronia, où fin de siècle rime avec fin du monde, cette pos­si­bi­lité permet de pro­gres­ser plus ou moins rapi­de­ment vers la date fati­dique de l’An 1900 et la Grande Inva­sion… Les héros d’Uchronia ne se battent pas seule­ment contre les ser­vi­teurs des Pro­mé­théens : comme dans de nom­breux récits où une ter­rible menace pèse sur la Terre ou sur ses habi­tants, ils se battent aussi contre le temps, dont le pas­sage inexo­rable rap­proche l’humanité du moment fati­dique où son sort sera joué… Pour que la Dimen­sion Feuille­to­nesque d’Uchronia fonc­tionne de façon opti­male en cours de jeu, le Chro­ni­queur doit gérer avec soin le cres­cendo dra­ma­tique de son Feuille­ton, avec une montée en puis­sance pro­gres­sive des dan­gers et des enjeux, mais aussi des pos­sibles réper­cus­sions des actions des héros sur le cours global des choses, ce qui nous amène tout natu­rel­le­ment à la deuxième Dimen­sion du jeu, la Dimen­sion Héroïque…

La Dimension Héroïque

Pro­lon­ge­ment logique de la pré­cé­dente, la Dimen­sion Héroïque pour­rait se résu­mer en une seule phrase : les per­son­nages des joueurs sont les héros de l’histoire. Ce qui peut, à pre­mière vue, sem­bler une évi­dence implique en fait une approche assez par­ti­cu­lière, qui n’est pas for­cé­ment celle de tous les jeux de rôle. Comme leurs modèles lit­té­raires ou ciné­ma­to­gra­phiques, les héros d’Uchronia sont des indi­vi­dus excep­tion­nels, aux capa­ci­tés lar­ge­ment supé­rieures à la moyenne, et qui béné­fi­cient sou­vent de coups de chance pro­vi­den­tiels dans les situa­tions les plus cri­tiques. Cela ne signi­fie pas qu’ils ne peuvent pas échouer, ni même perdre la vie, mais sim­ple­ment qu’ils ne sont pas là pour mourir bête­ment au début d’un Epi­sode ou suite à un jet de dés mal­heu­reux. Les règles de combat garan­tissent d’assez bonnes chances de survie aux héros, mais ne les empêchent cer­tai­ne­ment pas d’être mis hors de combat et donc cap­tu­rés, empri­son­nés voire tor­tu­rés par leurs adver­saires, dans la plus pure tra­di­tion des films d’aventure.

Le statut de héros, tou­te­fois, ne se limite pas à une assu­rance survie per­pé­tuelle et implique cer­taines contre­par­ties, à com­men­cer par l’engagement des per­son­nages dans le tour­billon de la Guerre Secrète. Le Chro­ni­queur est, du reste, tout à fait libre de rendre les choses plus réa­listes et plus bru­tales pour les per­son­nages qui se mon­tre­raient par­ti­cu­liè­re­ment veules, mes­quins ou stu­pides : ainsi, un héros qui aban­donne lâche­ment ses com­pa­gnons dans une situa­tion périlleuse pour sauver sa peau n’a plus rien d’un héros, et mérite tout à fait de suc­com­ber à une mort igno­mi­nieuse, au contraire de ce qui se pro­duit dans cer­tains jeux de rôle où une atti­tude maté­ria­liste et cynique s’avère sou­vent plus payante qu’un com­por­te­ment véri­ta­ble­ment héroïque. Une telle logique est évi­dem­ment par­fai­te­ment sensée dans cer­tains contextes de jeu, mais va tota­le­ment à l’encontre de la Dimen­sion Héroïque d’Uchronia. Idéa­le­ment, cette Dimen­sion doit éga­le­ment se mani­fes­ter à tra­vers la des­ti­née des per­son­nages incar­nés par les joueurs : autant que pos­sible, le Chro­ni­queur devra veiller à ce que les héros occupent un rôle de plus en plus impor­tant non seule­ment au sein du Club, mais aussi dans l’Histoire de l’univers d’Uchronia, en leur per­met­tant d’accomplir des actes réel­le­ment déci­sifs, et en don­nant à leurs réus­sites, à leurs décou­vertes ou à leurs inven­tions un véri­table impact sur l’évolution géné­rale des évé­ne­ments… Cet aspect par­ti­cu­lier de la Dimen­sion Héroïque est inti­me­ment lié à la Dimen­sion Uchro­nique du jeu, que nous allons abor­der sans plus tarder…

La Dimension Uchronique

L’univers d’Uchronia est à la fois his­to­rique (puisque l’action se situe à la fin du XIXème siècle) et tota­le­ment ima­gi­naire, puisqu’il incor­pore enti­tés extra­ter­restres, inven­tions ana­chro­niques et autres bizar­re­ries sus­cep­tibles de sérieu­se­ment per­tur­ber le cours normal de la réa­lité… Le carac­tère pseudo-his­to­rique d’Uchronia sert à la fois de pré­texte et de façade au jeu. Lorsque le jeu com­mence, l’Histoire n’a pas encore divergé et les choses sont (du moins, en appa­rence) exac­te­ment sem­blables à ce qu’elles étaient à la fin du vrai XIXème siècle ; le fait que l’Uchronie ne se mani­feste qu’au bout d’un moment, une fois le jeu lancé, offre de nom­breux avan­tages et ouvre des pers­pec­tives assez inha­bi­tuelles en jeu de rôle. Le pre­mier avan­tage est celui de la sim­pli­cité : un joueur d’Uchronia n’a aucun back­ground par­ti­cu­lier à digé­rer avant de créer son per­son­nage ou même de débu­ter un Feuille­ton ; au cas (assez impro­bable) où il aurait quelque dif­fi­culté à se repré­sen­ter l’époque choi­sie, la lec­ture d’un Jules Verne ou de quelques aven­tures de Sher­lock Holmes devrait s’avérer suf­fi­sante. Tout le reste pourra être décou­vert en jeu, au fil des Épi­sodes. Le deuxième avan­tage, non négli­geable, est celui de la sur­prise : dans un jeu de rôle vrai­ment his­to­rique, les joueurs savent que les actions de leurs per­son­nages ne pour­ront pas alté­rer de façon notable le cours de l’Histoire. Dans Uchro­nia, les choses obéissent à une toute autre logique : Jack l’Éventreur peut être iden­ti­fié et arrêté, Paris peut être détruit par une pluie de météores et la Reine Vic­to­ria assas­si­née en plein Buckin­gham Palace ! Dès lors, les héros peuvent se retrou­ver confron­tés à des enjeux d’ampleur vrai­ment his­to­rique (sauver Paris de la des­truc­tion, par exemple, ou déjouer le com­plot contre la Reine Vic­to­ria) sans que leur réus­site ou leur échec soit déjà écrit, ce qui ren­force consi­dé­ra­ble­ment le sus­pense de la chose et permet même aux per­son­nages des joueurs de (re)faire l’Histoire, un pri­vi­lège rare­ment accordé aux héros de jeux de rôle. A partir du moment où les joueurs s’aperçoivent que le monde d’Uchronia ne suit pas la même chro­no­lo­gie que le nôtre, l’éventualité de l’invasion pro­mé­théenne prend une toute autre dimen­sion, et cesse d’être une vague menace à long terme pour deve­nir un enjeu his­to­rique… L’ouverture uchro­nique du jeu peut rendre pos­sible des situa­tions inima­gi­nables dans d’autres jeux : sup­po­sons, par exemple, que les héros par­viennent à infor­mer de hauts res­pon­sables du gou­ver­ne­ment fran­çais de l’existence du com­plot pro­mé­théen et de la menace qu’il repré­sente pour l’humanité entière. Dans un jeu plus clas­sique, la logique et le réa­lisme vou­draient que les efforts déployés par les joueurs soient réduits à néant par quelque coup de Jarnac ourdi par leurs adver­saires… Dans Uchro­nia, rien n’empêche le Chro­ni­queur de déci­der que le gou­ver­ne­ment prend la chose tout à fait au sérieux, place tout le pays en état d’alerte et confie aux héros la direc­tion d’un minis­tère secret des­tiné à gérer le pro­blème pro­mé­théen… mais le côté déli­rant du monde d’Uchronia ne se limite pas à de pos­sibles diver­gences his­to­riques : la réa­lité cache bien d’autres sur­prises, qui relèvent de la qua­trième dimen­sion du jeu, la Dimen­sion Hété­ro­clite.

La Dimension Hétéroclite

La Dimen­sion Hété­ro­clite est, au propre comme au figuré, la Qua­trième Dimen­sion d’Uchronia. En effet, l’univers d’Uchronia intègre dans le même tableau une quan­tité d’éléments ima­gi­naires appa­rem­ment dis­pa­rates : inva­sion extra­ter­restre, diver­gences his­to­riques, inven­tions extra­or­di­naires, orga­ni­sa­tions secrètes… mais aussi pou­voirs para­nor­maux, voyages tem­po­rels, civi­li­sa­tions dis­pa­rues, micro-uni­vers et autres incon­grui­tés. Soi­gneu­se­ment dosés, ces élé­ments per­mettent de créer la sur­prise, le mys­tère ou la décou­verte, de main­te­nir en éveil la curio­sité des joueurs et d’ouvrir au Chro­ni­queur un champ de créa­tion le plus vaste pos­sible. Uti­li­sés à tort et à tra­vers, sans uti­lité dra­ma­tique, ils don­ne­ront au contraire l’impression d’un uni­vers fourre-tout, sans véri­table cohé­rence et où les faits et gestes des héros se noient dans le n’importe-quoi ambiant. De toutes les Dimen­sions d’Uchronia, la Dimen­sion Hété­ro­clite est sans doute la plus dif­fi­cile à appré­hen­der et à gérer sur le plan pra­tique. Le Chro­ni­queur ne doit sur­tout pas consi­dé­rer les secrets du monde d’Uchronia comme une somme d’informations devant être digé­rées par les joueurs le plus rapi­de­ment pos­sible avant de pou­voir passer aux choses sérieuses (déjouer le com­plot, éli­mi­ner les méchants et sauver la pla­nète); au contraire, ces infor­ma­tions doivent être soi­gneu­se­ment dis­til­lées, au fil des Épi­sodes, et uni­que­ment lorsque leur divul­ga­tion ou leur décou­verte apporte quelque chose à l’histoire. Il est par­fai­te­ment pos­sible de jouer des dizaines d’épisodes avant d’entendre seule­ment parler de l’existence des Sel­kies ; il est même par­fai­te­ment pos­sible de jouer plu­sieurs Épi­sodes pré­li­mi­naires avant de faire inter­ve­nir le Club ou de révé­ler aux joueurs l’existence de la menace pro­mé­théenne… En tant que Chro­ni­queur, vous êtes seul maître à bord : selon vos pré­fé­rences per­son­nelles ou, mieux encore, celles de vos joueurs, vous pouvez tout à fait choi­sir de mettre l’accent sur tel ou tel aspect des choses ou même de lais­ser cer­tains élé­ments de côté ; ainsi, si vous trou­vez que les arte­facts atlantes et les Sel­kies ne s’accordent pas à l’idée que vous vous faites du jeu, rien ne vous empêche d’ignorer pure­ment et sim­ple­ment leur exis­tence. A l’inverse, rien ne vous empêche de mettre la Guerre Secrète en veilleuse et de foca­li­ser votre Feuille­ton sur une forme d’Uchronie plus poé­tique ou sur un des thèmes secon­daires d’Uchronia, comme la magie des Adeptes ou la recherche des secrets perdus d’Atlantis, ou même d’ajouter un nou­veau pan à l’univers du jeu…

Références et sources d’inspiration

Littérature

Parmi les ouvrages fon­da­teurs nous ayant sug­géré quelques uns des grands thèmes du jeu, citons :

Citons éga­le­ment :

Côté bandes des­si­nées, citons :

Cinéma

En cinéma, les réfé­rences et les ins­pi­ra­tions sont mal­heu­reu­se­ment peu nom­breuses, en dehors de quelques adap­ta­tions clas­siques des romans de Verne et de Wells. A notre connais­sance, aucun film n’a (encore) réel­le­ment cap­turé le charme et la folie propres au genre steam­punk. Citons tout de même : Wild Wild West de Barry Son­nen­feld (sur­tout pour les extra­or­di­naires machines, véri­tables chefs d’oeuvre d’esthétique steam­punk et pour la pres­ta­tion de Ken­neth Bra­nagh, excellent modèle de Grand Méchant pour Uchro­nia), Kafka de Steven Soder­bergh (une de nos prin­ci­pales sources d’inspiration pour le doc­teur Gregor), La Vie Privée de Sher­lock Holmes de Billy Wilder (sans doute le meilleur Holmes apo­cryphe à l’écran, avec une très légère touche steam­punk pour l’invention secrète) et C’était Demain, de Nicho­las Ray (où H.G. Wells saute dans la machine à explo­rer le temps pour tra­quer Jack l’Eventreur en 1976 !).

Télévision

La télé­vi­sion, quant à elle, nous offre quelques sources d’inspiration indi­rectes inat­ten­dues, avec des séries comme X-Files ou Cha­peau Melon et Bottes de Cuir, dont les scé­na­rios sont plus faciles à trans­po­ser à l’époque vic­to­rienne qu’il n’y paraît de prime abord. Cer­tains épi­sodes des Mys­tères de l’Ouest contiennent éga­le­ment d’excellentes idées, en dépit de scé­na­rios sou­vent beau­coup trop simples pour être adap­tés tels quels en jeu de rôle. Signa­lons éga­le­ment la légen­daire série anglaise Doctor Who, avec son Sei­gneur du Temps 100% bri­tan­nique et son esthé­tique sou­vent très rétro-futu­riste.

Internet

Inter­net peut éga­le­ment être une excel­lente source de réfé­rences, notam­ment pour ceux qui veulent agré­men­ter leurs séances de jeu de pho­to­gra­phies, de cartes et de docu­ments d’époque. Le web four­mille de sites sur l’époque vic­to­rienne — la plu­part en langue anglaise. Le Vic­to­rian Web est un bon point de départ pour ceux qui vou­draient se plon­ger dans cette pas­sion­nante période. Citons éga­le­ment l’e-zine Vic­to­rian Gamer et Steam­punk Resource.

Les trois rôles du Chroniqueur

Véri­table homme-orchestre du jeu de rôle, le Chro­ni­queur rem­plit de mul­tiples fonc­tions :

Pour en savoir plus sur ces trois fonc­tions, consul­tez les dos­siers sui­vants.

Le Chroniqueur en tant que Metteur en Scène

Uchro­nia est un jeu de genre, basé sur de nom­breuses réfé­rences issues de la lit­té­ra­ture steam­punk et des romans d’anticipation et d’aventure scien­ti­fique des années 1880–1900. Tout comme les grandes dimen­sions qui défi­nissent le style du jeu, les ingré­dients essen­tiels d’un Feuille­ton d’Uchronia sont au nombre de quatre :

L’Aventure : L’aventure, c’est d’abord l’action, le risque, le danger : les héros d’Uchronia sont faits pour affron­ter les situa­tions les plus périlleuses et les adver­saires les plus redou­tables… mais l’aventure, c’est aussi le goût du défi, la volonté de tenter ce qui n’a jamais été accom­pli, qu’il s’agisse d’explorer des terres incon­nues ou de pilo­ter le pre­mier aéro­plane de l’Histoire.

L’Imaginaire : Dans Uchro­nia, l’imaginaire adopte le plus sou­vent une cou­leur scien­ti­fique, ou plutôt pseudo-scien­ti­fique, avec d’occasionnelles incur­sions aux fron­tières du fan­tas­tique et du sur­na­tu­rel. A cet égard, le Chro­ni­queur pourra médi­ter cette maxime de Saint-Augus­tin : Il n’y a pas de sur­na­tu­rel, mais seule­ment du natu­rel qui n’a pas encore été expli­qué.

Le Mys­tère : Com­po­sante essen­tielle de la Guerre Secrète, le mys­tère peut prendre une mul­ti­tude de formes : machi­na­tions byzan­tines et com­plots dia­bo­liques, phé­no­mènes étranges et fron­tières du réel, mondes sou­ter­rains et cités per­dues, énigmes du passé et abîmes du futur, avec en déno­mi­na­teur commun la peur ou l’attrait de l’Inconnu.

L’Air du Temps : Cet ingré­dient englobe toutes ces petites touches rétro qui per­mettent de res­ti­tuer ou d’évoquer l’atmosphère et l’esthétique de l’époque vic­to­rienne, que ce soit à tra­vers les dia­logues, les des­crip­tions ou les situa­tions de jeu — sans jamais omettre cet indis­pen­sable déca­lage carac­té­ris­tique du genre steam­punk.

Bien sûr, le dosage de ces quatre ingré­dients de base pourra varier selon les épi­sodes, et devra éga­le­ment prendre en compte la com­po­si­tion du groupe de héros et les attentes de vos joueurs. Ainsi, une équipe com­po­sée de deux Hommes d’Action, d’un Homme de Science archéo­logue et d’un Touche-à-tout globe-trot­ter sera pro­ba­ble­ment plus adap­tée à des intrigues de type grande aven­ture, avec force voyages, explo­ra­tions et tri­bu­la­tions mou­ve­men­tées, tandis qu’un groupe comp­tant un dandy excen­trique, une espionne et un émule de Sher­lock Holmes sera davan­tage à son aise dans des scé­na­rios met­tant l’accent sur le mys­tère et sur l’air du temps.

Conception des épisodes

Conce­voir un épi­sode de jeu de rôle, c’est d’abord trou­ver une idée de départ, un concept cen­tral qui consti­tuera la base du scé­na­rio. Cette pre­mière étape est sou­vent la plus dif­fi­cile, tout sim­ple­ment parce qu’elle repose entiè­re­ment sur l’inspiration, faculté capri­cieuse et impos­sible à défi­nir en termes objec­tifs. Dans le cadre d’un jeu comme Uchro­nia, le Chro­ni­queur peut puiser cette ins­pi­ra­tion dans de nom­breuses réfé­rences : romans, nou­velles, films, bandes des­si­nées, séries télé­vi­sées… Le cha­pitre pré­cé­dent vous pro­pose un tour d’horizon de dif­fé­rentes œuvres de fic­tion sus­cep­tibles de consti­tuer d’excellentes sources d’inspiration pour le jeu, des Voyages Extra­or­di­naires de Jules Verne aux romans cultes de l’école steam­punk, en pas­sant par les aven­tures de Sher­lock Holmes ou d’Adèle Blanc Sec. L’idée de départ d’un épi­sode peut reflé­ter son thème géné­ral (une his­toire d’invention volée), son atmo­sphère (une enquête mon­daine), son cadre (une aven­ture se dérou­lant entiè­re­ment à bord d’un diri­geable), ses prin­ci­paux pro­ta­go­nistes (une affaire impli­quant Thomas Edison et les Hérauts du Pro­grès), les besoins dra­ma­tiques du Feuille­ton (un épi­sode per­met­tant aux héros de gagner l’amitié d’Herbert George Wells), un élé­ment par­ti­cu­lier de l’univers d’Uchronia (une his­toire avec les Sel­kies) ou plu­sieurs de ces dif­fé­rents cri­tères (une his­toire d’invention volée impli­quant Edison et les Hérauts du Pro­grès et per­met­tant aux héros de gagner l’amitié d’Herbert George Wells).

Intrigue et trame

Une fois l’idée de départ éta­blie, le Chro­ni­queur doit jeter les grandes bases de son intrigue et réflé­chir aux prin­ci­paux élé­ments dra­ma­tiques de son scé­na­rio, à com­men­cer par les objec­tifs des héros et les enjeux de l’épisode. Cette intrigue peut ensuite être déve­lop­pée sous forme de trame, c’est à dire de suite d’événements repré­sen­tant le dérou­le­ment pro­bable de l’épisode. Sui­vant le type d’intrigue choisi, cette trame peut être linéaire ou prendre en compte plu­sieurs alter­na­tives sous forme d’arborescence. Le plus sou­vent, une trame se pré­sente comme une ou plu­sieurs séries de scènes plus ou moins détaillées cor­res­pon­dant aux temps forts et aux moments-clés de l’épisode. Pour plus de détails à ce sujet, repor­tez-vous à la sec­tion inti­tu­lée Dyna­mique Nar­ra­tive.

La trame d’un épi­sode ne consti­tue tou­te­fois qu’un sup­port et ne doit pas venir entra­ver l’imagination des joueurs ou l’inspiration du moment : avec l’expérience, le Chro­ni­queur appren­dra à réagir en direct aux déci­sions de ses joueurs et à mener le cours de ses épi­sodes en lais­sant tou­jours une place à l’imprévu et à l’improvisation. Selon l’adage bien connu des rôlistes che­vron­nés, même si le meneur de jeu envi­sage à l’avance dix manières de résoudre une situa­tion, rien n’empêchera les joueurs de choi­sir la onzième pos­si­bi­lité… La sec­tion inti­tu­lée Effets Dra­ma­tiques four­nit aux Chro­ni­queurs débu­tants quelques conseils sur l’art d’improviser en cours de partie ainsi que quelques petites astuces fort utiles pour étof­fer, déve­lop­per ou relan­cer l’action d’un épi­sode.

Le dosage entre pré­pa­ra­tion et impro­vi­sa­tion reste avant tout une affaire de goût et de style : cer­tains Chro­ni­queurs bétonnent leurs intrigues en pré­voyant des trames aussi machia­vé­liques que laby­rin­thiques, tandis que d’autres pré­fèrent mener leurs épi­sodes en roue libre, en lais­sant les joueurs construire leur propre his­toire à partir de quelques élé­ments de départ. Rien n’interdit en outre d’adopter l’une ou l’autre approche au cours d’un même Feuille­ton, en fonc­tion des demandes spé­ci­fiques de chaque épi­sode. Il en va de même pour le degré de détail apporté au décor ou aux pro­ta­go­nistes d’un épi­sode : ainsi, l’utilisation de plans repré­sen­tant les lieux les plus impor­tants du scé­na­rio peut être indis­pen­sable pour cer­taines intrigues, et tota­le­ment super­flue pour d’autres ; de même, cer­taines his­toires exi­ge­ront une gale­rie de pro­ta­go­nistes soi­gneu­se­ment défi­nis tandis que d’autres pour­ront se conten­ter de per­son­nages impro­vi­sés au fil de l’épisode, en fonc­tion des situa­tions ame­nées par les déci­sions des joueurs.

Enfin, il est impor­tant de se pen­cher sur les tenants et les abou­tis­sants de l’épisode, c’est à dire ses liens avec les épi­sodes anté­rieurs et ulté­rieurs du Feuille­ton. Dans un jeu comme Uchro­nia, le sen­ti­ment de conti­nuité joue un rôle pri­mor­dial et une des meilleures façons de faire naître ce sen­ti­ment chez les joueurs est d’intégrer le vécu de leurs per­son­nages à la construc­tion des épi­sodes : les joueurs appré­cient tou­jours de retrou­ver un vieil ami (ou un vieil ennemi…) ren­con­tré par leurs per­son­nages dans un pré­cé­dent épi­sode, de décou­vrir les impli­ca­tions insoup­çon­nées de quelque vieille his­toire ou d’être confronté aux consé­quences (posi­tives ou fâcheuses) de déci­sions prises au cours d’une séance de jeu anté­rieure.

A titre d’exemple, voici trois exemples très simples de trames pou­vant être déve­lop­pées dans le cadre d’un Feuille­ton. Notons que, confor­mé­ment à la logique d’Uchronia, aucune de ces intrigues n’est anec­do­tique : toutes ont des enjeux impor­tants, sus­cep­tibles d’avoir des réper­cus­sions sur le cours de la Guerre Secrète.

LES SECRETS DU « PUR­SUI­VANT » : Grâce à ses contacts haut-placés au sein du gou­ver­ne­ment amé­ri­cain, Thomas Edison a enfin convaincu l’état-major des Etats Unis de l’utilité de son sub­mer­sible de guerre, le Pur­sui­vant. La construc­tion des trois pre­miers bâti­ments a donc débuté dans le plus grand secret, quelque part dans la baie de San Fran­cisco, sous la double-sur­veillance des Hérauts du Pro­grès et des forces armées amé­ri­caines. Bien sûr, la construc­tion du Pur­sui­vant mar­quera une étape impor­tante dans la course aux arme­ments entre les grandes nations du globe, mais il consti­tue éga­le­ment une menace encore plus directe pour le Nau­ti­lus — d’autant qu’Edison a récem­ment mis au point un redou­table sys­tème de détec­tion écho-élec­trique basé sur la science pro­mé­théenne. Il est donc vital de s’emparer des plans de ce sys­tème, afin de per­mettre à Nemo et aux Hor­lo­gers du Club de fabri­quer des contre-mesures sus­cep­tibles de pro­té­ger effi­ca­ce­ment le Nau­ti­lus… et de dimi­nuer consi­dé­ra­ble­ment l’impact mili­taire de la décou­verte d’Edison. Nos héros sont donc char­gés de s’infiltrer au sein de la branche cali­for­nienne des Hérauts du Pro­grès, afin de décou­vrir la loca­li­sa­tion exacte des sites de mon­tage et, si pos­sible, de sub­ti­li­ser les plans du pré­cieux sys­tème de détec­tion.

LE MYS­TE­RIEUX BAGAGE : Lors d’une expé­di­tion scien­ti­fique au large des Iles Orcades, un bio­lo­giste marin membre de l’Institut Bain­bridge a réussi à cap­tu­rer un Selkie vivant ! Cer­tain que sa pro­di­gieuse décou­verte lui ouvrira les portes de la pos­té­rité, il se pré­pare à pré­sen­ter l’extraordinaire spé­ci­men à ses supé­rieurs — parmi les­quels se trouvent plu­sieurs ser­vi­teurs impor­tants de la Machine. Comme si la situa­tion n’était pas suf­fi­sam­ment catas­tro­phique, le Selkie en ques­tion est en pos­ses­sion d’informations capi­tales concer­nant le Nau­ti­lus — infor­ma­tions qui pour­raient bien avoir une influence désas­treuse sur le cours de la Guerre Secrète si elles venaient à tomber entre de mau­vaises mains. Devant l’urgence de la situa­tion, le Club charge nos héros de récu­pé­rer le Selkie avant qu’il ne soit livré aux auto­ri­tés de l’Institut. Pour ce faire, ils devront inter­cep­ter le train dans lequel voyage le bio­lo­giste et récu­pé­rer le Selkie ; ce der­nier, embar­qué à bord du train dans le plus grand secret, est pri­son­nier à l’intérieur d’un cais­son rempli d’eau, lui-même dis­si­mulé dans une énorme malle censée conte­nir du maté­riel scien­ti­fique. Évi­dem­ment, les choses ne sont pas aussi simples : averti de l’incroyable décou­verte par ses subor­don­nés, le Pro­fes­seur Bar­ry­more a pres­senti que l’extraordinaire créa­ture sous-marine avait sans doute un rap­port avec le Club et que ses agents allaient sûre­ment tenter quelque chose pour la récu­pé­rer — l’occasion idéale de leur tendre un piège et d’en apprendre (enfin) un peu plus sur ces mys­té­rieux adver­saires. Il a donc chargé son âme damnée, le Colo­nel Henry Thurs­dyke, ainsi que plu­sieurs de ses Silence Men, de veiller per­son­nel­le­ment sur le trans­port du bagage et de tout mettre en œuvre pour cap­tu­rer d’éventuels assaillants…

LA BÊTE DE MONT­PAR­NASSE : Une étrange créa­ture ter­ro­rise le quar­tier de Mont­par­nasse. Mi-loup garou, mi-homme singe, elle a été aper­çue bon­dis­sant de toit en toit par de nom­breux témoins et a atta­qué un agent de police qui lui avait tiré dessus. Depuis son lit d’hôpital, l’homme a raconté sa ter­ri­fiante ren­contre à plu­sieurs jour­na­listes : un cro­quis réa­lisé d’après ses sou­ve­nirs a été publié dans plu­sieurs quo­ti­diens. Tout Paris se pas­sionne pour la Bête, qui semble surgie du Double Assas­si­nat dans la Rue Morgue d’Edgar Poe, et les hypo­thèses sur son ori­gine ali­mentent toutes les conver­sa­tions, des plus ration­nelles (« un singe évadé d’un zoo » ou « un mal­fai­teur déguisé ») aux plus extra­va­gantes (« un authen­tique loup-garou » ou « un abo­mi­nable homme des neiges ramené par des explo­ra­teurs impru­dents »). En réa­lité, il s’agit d’un hybride du Cirque Pan­de­mo­nium (actuel­le­ment en repré­sen­ta­tion près de Paris) nommé Zoltan, qui a décidé d’échapper à la tyran­nie de ses maîtres. Zoltan était autre­fois un être humain mais le sérum pro­téïque du Dr Gregor l’a trans­formé en une créa­ture mi-simiesque, mi-féline, dotée d’une force et d’une agi­lité pro­di­gieuses – ainsi que d’instincts pou­vant le rendre dan­ge­reux s’il se sent menacé. Il a tou­te­fois conservé son intel­li­gence humaine et sait par­fai­te­ment s’exprimer – mais il ne parle que le hon­grois, étant ori­gi­naire de ce pays. D’autres membres du Cirque sillonnent dis­crè­te­ment les rues de Paris à la recherche du fugi­tif, afin de l’éliminer… Les supé­rieurs des per­son­nages, qui ont deviné la véri­table ori­gine de la Bête de Mont­par­nasse, les chargent de retrou­ver sa trace afin de le per­sua­der de confier son sort au Club ou, s’il se montre imper­méable à toute per­sua­sion, de le cap­tu­rer (en évi­tant toute vio­lence exces­sive) : l’hybride pour­rait en effet leur appor­ter de pré­cieuses infor­ma­tions sur les agis­se­ments du Cirque Pan­dé­mo­nium et de son maître secret, le dia­bo­lique Doc­teur Gregor. La tâche de nos héros risque évi­dem­ment d’être com­pli­quée par l’intervention des anciens com­pa­gnons de Zoltan, mais aussi par celle de plu­sieurs chas­seurs de monstres pro­fes­sion­nels ou ama­teurs…

Dynamique Narrative

Un épi­sode d’Uchronia se construit sous la forme d’une suc­ces­sion de scènes, au cours des­quelles l’intrigue pro­gresse jusqu’à son dénoue­ment. Chaque scène doit s’inscrire dans la logique nar­ra­tive du jeu : cer­taines d’entre elles pri­vi­lé­gie­ront l’action pure, d’autres met­tront davan­tage l’accent sur le dia­logue et les inter­ac­tions entre per­son­nages, d’autres encore auront pour raison d’être la révé­la­tion d’informations déci­sives ou tout sim­ple­ment la mise en place d’une atmo­sphère par­ti­cu­lière.

Un épi­sode doit pré­sen­ter les temps forts et les moments-clés de l’histoire telle qu’elle est vécue par ses héros et non la tota­lité des évé­ne­ments sur­ve­nant entre son com­men­ce­ment et son dénoue­ment. Il est, par exemple, tota­le­ment inutile (et tout à fait ennuyeux) de s’attarder sur les temps morts de l’intrigue, sous peine de voir celle-ci s’enliser dans une suite de détails fas­ti­dieux : si rien d’intéressant n’est censé se passer pen­dant un cer­tain laps de temps, le Chro­ni­queur ne devra pas hési­ter à uti­li­ser une ellipse tem­po­relle pour passer d’une Scène à une autre (« Après une bonne nuit de som­meil… », « Une semaine plus tard… » et autres « Votre voyage en train dure envi­ron trois jours… »). Il est tou­te­fois impor­tant de ne pas confondre dyna­mique nar­ra­tive et pré­ci­pi­ta­tion en sau­tant sans cesse d’une scène à une autre. Le sen­ti­ment de conti­nuité consti­tue un des ingré­dients les plus impor­tants d’un scé­na­rio réussi : pour ren­for­cer ce sen­ti­ment chez les joueurs, le Chro­ni­queur devra savoir ména­ger quelques scènes de tran­si­tion entre les moments forts de son scé­na­rio. Ainsi, un voyage en train peut être résumé en une seule phrase ou, au contraire, servir d’arrière-plan à une longue conver­sa­tion entre les héros, sur­tout si la conver­sa­tion en ques­tion permet aux joueurs de faire avan­cer l’intrigue ou de mettre en avant le carac­tère de leurs per­son­nages res­pec­tifs.

Un bon épi­sode ne cor­res­pond pas seule­ment à une suite chro­no­lo­gique de scènes liées les unes aux autres par un fil conduc­teur : il doit éga­le­ment gagner en inten­sité dra­ma­tique au fil de son dérou­le­ment. Dans la plu­part des romans, des films et des feuille­tons sus­cep­tibles de servir de sources d’inspiration à un jeu de mys­tère et d’aventure, la dyna­mique dra­ma­tique est des plus simples et se décom­pose en trois phases : expo­si­tion, déve­lop­pe­ment et réso­lu­tion.

La phase d’exposition ne dure géné­ra­le­ment qu’une ou deux scènes. Comme son nom l’indique, elle consiste à expo­ser la situa­tion que les héros vont devoir résoudre, explo­rer ou affron­ter : dans beau­coup de jeux de rôle, la scène d’exposition clas­sique prend géné­ra­le­ment la forme d’une ren­contre entre les héros et un pro­ta­go­niste qui sou­haite leur confier une mis­sion, deman­der leur assis­tance dans quelque affaire déli­cate ou encore leur sou­mettre un pro­blème hors du commun — en bref, les mettre sur les rails de l’histoire. Bien sûr, il est tout à fait pos­sible d’imaginer des scènes d’exposition un peu plus sub­tiles, jouant davan­tage sur les moti­va­tions per­son­nelles des héros — ou même de ne pas uti­li­ser de scène d’exposition du tout, en jetant direc­te­ment les héros (et les joueurs) au cœur de l’action (tech­nique connue sous le nom d’in medias res ou d’immediate stress, ce qui revient à peu près au même). Dans un autre ordre d’idée, rien n’empêche un Chro­ni­queur de faire pré­cé­der sa scène d’exposition d’un bref pro­logue des­tiné à mettre les joueurs dans l’ambiance, en repre­nant le pro­cédé du pré-géné­rique uti­lisé dans de nom­breuses séries télé­vi­sées.

Une fois expo­sée, l’action suit géné­ra­le­ment un mou­ve­ment de cres­cendo, avec, ça et là, quelques accal­mies, jusqu’à son climax, c’est à dire jusqu’à la grande scène consti­tuant le point culmi­nant de cette pro­gres­sion dra­ma­tique — réso­lu­tion de l’énigme, éva­sion spec­ta­cu­laire, confron­ta­tion finale avec le grand méchant de ser­vice et autres mor­ceaux de bra­voure. Tout l’art de la nar­ra­tion consiste pré­ci­sé­ment à savoir ména­ger le sus­pense jusqu’à ce moment cru­cial. Pour cela, le Chro­ni­queur ne devra pas hési­ter à recou­rir à l’usage d’Effets Dra­ma­tiques pour com­pli­quer la tâche des héros ou, de manière plus impromp­tue, pour relan­cer l’action si celle-ci menace de s’enliser dans des ter­gi­ver­sa­tions sans fin. Là encore, il est pré­fé­rable de ne pas som­brer dans un usage sys­té­ma­tique de ce genre de pro­cé­dés, sous peine de rendre un peu trop visibles (et pré­vi­sibles !) les rouages dra­ma­tiques de votre scé­na­rio : par défi­ni­tion, un coup de théâtre auquel tout le monde s’attend n’est plus un coup de théâtre. Enfin, il est impor­tant de garder à l’esprit que les joueurs incarnent les héros de l’histoire et que c’est prin­ci­pa­le­ment à tra­vers leurs déci­sions et leurs ini­tia­tives que l’action doit prendre forme. Un bon Chro­ni­queur doit savoir adap­ter le dérou­le­ment de son scé­na­rio aux idées de ses joueurs, aussi inat­ten­dues soient-elles… ou, au contraire, savoir amener ses joueurs où il le sou­haite sans leur en donner l’impression !

Quant à la phase de réso­lu­tion, son contenu et son rythme découlent direc­te­ment des déci­sions des joueurs et des actions de leurs per­son­nages — à moins que le Chro­ni­queur ne se sente obligé d’utiliser un deus ex machina (voir ci-des­sous). Dans la logique d’une action déve­lop­pée en cres­cendo jusqu’à son paroxysme, l’histoire peut se pour­suivre decres­cendo durant quelques scènes jusqu’à son dénoue­ment ou, au contraire, s’achever sur une grande scène finale, dra­ma­tique et spec­ta­cu­laire. Dans ce cas, il est vive­ment conseillé de conclure l’épisode par un épi­logue se dérou­lant « quelque temps plus tard… » et per­met­tant aux héros de faire le point sur les évé­ne­ments qu’ils viennent de tra­ver­ser.

Effets Dramatiques : Péripéties & Rebondissements

Selon la plu­part des dic­tion­naires, une péri­pé­tie peut être défi­nie comme un inci­dent imprévu ou, plus pré­ci­sé­ment, comme tout revi­re­ment inat­tendu dans le dérou­le­ment d’une intrigue. C’est exac­te­ment dans ce sens que nous uti­li­se­rons ce terme dans le contexte d’Uchronia.

Les effets dra­ma­tiques décrits ci-des­sous consti­tuent en quelque sorte la boîte à outils du Chro­ni­queur. Ces péri­pé­ties per­mettent d’enrichir, de modu­ler ou de déve­lop­per la trame de base d’un épi­sode, mais aussi d’effectuer des inter­ven­tions d’urgence en cours de jeu, pour relan­cer une action qui s’enlise, pour pimen­ter une intrigue qui s’achemine vers une conclu­sion déce­vante ou un peu trop facile, pour donner un coup de pouce à des joueurs qui pié­tinent ou encore pour empê­cher un évé­ne­ment imprévu de sabo­ter com­plè­te­ment le dérou­le­ment d’un épi­sode. Le Chro­ni­queur devra tou­te­fois éviter de recou­rir à ce genre de pro­cé­dés de manière abu­sive, sous peine de donner à ses joueurs l’impression fort frus­trante qu’ils n’exercent aucun contrôle sur le dérou­le­ment de l’action. Que ces péri­pé­ties jouent ou non en faveur des héros ne change rien : si un Chro­ni­queur uti­lise ces effets dra­ma­tiques d’urgence pour com­pli­quer sys­té­ma­ti­que­ment la tâche des héros, ses joueurs fini­ront par penser qu’il joue contre eux ; en revanche, si le Chro­ni­queur mul­ti­plie les deus ex machina pour les tirer d’affaire dès qu’ils se trouvent confron­tés à une dif­fi­culté impré­vue, les joueurs auront le sen­ti­ment qu’on leur mâche le tra­vail, ce qui dimi­nuera consi­dé­ra­ble­ment le plai­sir du jeu — à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Les péri­pé­ties aux­quelles un Chro­ni­queur peut avoir recours sont ran­gées en cinq grands degrés d’intensité, du simple inci­dent au deus ex machina : plus ce degré est élevé, plus la péri­pé­tie est impor­tante, dan­ge­reuse ou spec­ta­cu­laire et plus elle sera sus­cep­tible d’influer de façon déci­sive sur le cours de l’action — et plus, en toute logique, elle devra être rare…

Un inci­dent est une péri­pé­tie mineure, qui ne risque guère d’affecter de façon cru­ciale le cours de l’action mais qui peut aider le Chro­ni­queur à ins­tal­ler une cer­taine ambiance, à rendre plus vivant tel ou tel pro­ta­go­niste, à reflé­ter l’atmosphère d’un lieu spé­ci­fique, ou tout sim­ple­ment à évo­quer le parfum par­ti­cu­lier de l’époque vic­to­rienne.

Un obs­tacle prend géné­ra­le­ment la forme d’une situa­tion pro­blé­ma­tique que les héros devront sur­mon­ter, résoudre ou éviter en cours de route, avant d’arriver à leur but. Un obs­tacle peut faire partie inté­grante de la trame d’un épi­sode ou, au contraire, n’avoir aucun rap­port avec l’action prin­ci­pale. Sui­vant la situa­tion, un obs­tacle peut prendre dif­fé­rentes formes : mau­vaises ren­contres, pro­blèmes tech­niques, imbro­glio mon­dain… Ce ne sont pas les pos­si­bi­li­tés qui manquent ! De telles com­pli­ca­tions peuvent aussi résul­ter d’une déci­sion mal­en­con­treuse prise par les héros ou, dans cer­taines situa­tions, d’une mal­chance cala­mi­teuse. Dans un contexte comme celui de la Guerre Secrète, ce type de péri­pé­ties peut éga­le­ment être pro­vo­qué par la néces­sité pour les agents du Club de pré­ser­ver les appa­rences ou d’éviter l’intervention de pro­ta­go­nistes indé­si­rables.

La diver­sion consti­tue un type par­ti­cu­lier de péri­pé­tie, et peut être défi­nie comme l’obstacle qu’il ne faut pas cher­cher à fran­chir… Il s’agit ni plus ni moins d’un leurre nar­ra­tif, des­tiné à détour­ner les héros de leurs objec­tifs — ou, au contraire, à tester leur pers­pi­ca­cité. Le plus sou­vent, une diver­sion pren­dra l’aspect d’une fausse piste sus­cep­tible d’amener les per­son­nages à des conclu­sions erro­nées, ce qui peut par­fois avoir des consé­quences catas­tro­phiques… Cela dit, si la diver­sion est clas­sée au-dessus de l’obstacle dans la hié­rar­chie des péri­pé­ties, ce n’est pas parce qu’elle débouche néces­sai­re­ment sur des consé­quences plus graves mais parce qu’elle doit être uti­li­sée beau­coup plus rare­ment. Comme les obs­tacles, les diver­sions peuvent par­fois décou­ler des faits et gestes des héros. Dans le contexte de la Guerre Secrète, ce type de péri­pé­tie peut éga­le­ment repré­sen­ter les inévi­tables inter­fé­rences entre les affaires du Club et la vie privée, mon­daine ou pro­fes­sion­nelle des per­son­nages…

Le coup de théâtre est un évé­ne­ment tota­le­ment inat­tendu, qui vient bou­le­ver­ser le dérou­le­ment de l’action. Sui­vant la situa­tion, il peut prendre la forme d’une incroyable révé­la­tion, d’un acci­dent impos­sible à pré­voir, d’un retour­ne­ment de situa­tion inat­tendu ou encore de l’intervention sou­daine d’une force incon­nue. Un coup de théâtre ne doit jamais être pré­vi­sible. Si chaque épi­sode a son coup de théâtre, le pro­cédé finira par perdre tout son impact. Dans le même ordre d’idée, il est for­te­ment décon­seillé de mettre en scène plus de deux coups de théâtre dans le même épi­sode. Enfin, un coup de théâtre ne doit jamais être uti­lisé à la légère, de façon gra­tuite : les bou­le­ver­se­ments qu’il pro­voque ont pour fonc­tion de rendre l’intrigue plus cap­ti­vante, et non de com­pli­quer les choses pour le plai­sir. Il est pré­fé­rable de consi­dé­rer le coup de théâtre comme un plan de secours, idéal pour redy­na­mi­ser l’action d’une partie qui s’enlise, mais tout à fait super­flu lorsque l’épisode se déroule tam­bours bat­tants.

Deus ex machina Un contexte comme celui d’Uchronia, avec ses organisations secrètes et ses gadgets technologiques, facilite considérablement la justification des interventions providentielles et autres sauvetages spectaculaires. Ceci simplifie notablement l’utilisation du deus ex machina mais ne doit en aucun cas la banaliser. Grâce à leurs Synchronisateurs, les agents du Club peuvent envoyer un signal de détresse à leurs supérieurs en cas d’urgence absolue mais cela ne signifie en aucun cas que le Club sera en mesure d’intervenir séance tenante et d’envoyer la cavalerie dans les secondes qui suivent… Là encore, l’issue des événements doit dépendre de l’intérêt dramatique de la situation : si le Chroniqueur souhaite que les héros se débrouillent seuls, il peut tout à fait décider que le signal de détresse n’a pu être localisé avec précision, qu’aucune équipe de secours n’était disponible à ce moment ou encore que les renforts envoyés par le Club ont été promptement supprimés ou neutralisés par la partie adverse… Par contre, si une telle intervention est le seul moyen d’éviter un naufrage scénaristique, alors le Chroniqueur ne devra pas hésiter à jouer la carte du deus ex machina.

Le deus ex machina est le pro­cédé nar­ra­tif d’urgence par excel­lence. Par défi­ni­tion, cet effet consiste à faire inter­ve­nir un évé­ne­ment pro­vi­den­tiel ou un per­son­nage exté­rieur à l’action pour dénouer une situa­tion dra­ma­tique sans issue ou pour sauver un héros d’une mort cer­taine. S’il est sou­vent uti­lisé par les scé­na­ristes de bandes des­si­nées, de séries télé­vi­sées et de films d’aventure, ce pro­cédé très arti­fi­ciel (comme son nom l’indique) est à manier avec beau­coup de pré­cau­tion en jeu de rôle et doit être stric­te­ment réservé aux situa­tions réel­le­ment déses­pé­rées, faute de quoi les joueurs risquent d’avoir rapi­de­ment l’impression que leurs per­son­nages sont immor­tels et n’ont pas besoin de faire atten­tion à ce qu’ils font, puisque, tôt ou tard, quelqu’un ou quelque chose inter­vien­dra pour résoudre les choses à leur place. Le recours à un deus ex machina devra tou­jours être jus­ti­fié et, si pos­sible, rai­son­na­ble­ment vrai­sem­blable. Le meilleur moyen d’éviter les deus ex machina peu cré­dibles consiste à éviter autant que pos­sible les situa­tions de mort cer­taine, en lais­sant tou­jours aux héros une chance de s’en tirer ou de déjouer le danger en l’anticipant. Dans les récits d’aventures héroïques, un grand méchant qui tient enfin ses adver­saires à sa merci pré­fè­rera les cap­tu­rer pour les inter­ro­ger ou pour les sou­mettre à quelque dia­bo­lique orda­lie plutôt que de les exé­cu­ter séance tenante.

Le Chroniqueur en tant que Maître d’Œuvre

Cette sec­tion ne contient ni règles de jeu ni infor­ma­tions de back­ground, mais des réflexions géné­rales et des conseils pra­tiques concer­nant la construc­tion et la ges­tion d’un Feuille­ton d’Uchronia.

Au commencement…

Avant toute chose, il est néces­saire de poser les bases de votre Feuille­ton et de savoir com­ment il va com­men­cer. Pour cela, il vous faudra répondre à un cer­tain nombre de ques­tions-clés. Les héros incar­nés par les joueurs se connaissent-ils déjà ou bien vont-ils se ren­con­trer lors du pre­mier épi­sode ? Rejoin­dront-ils rapi­de­ment les rangs du Club ou ne décou­vri­ront-ils son exis­tence qu’au bout de plu­sieurs épi­sodes, peut-être après avoir déjoué eux-mêmes quelque com­plot impli­quant la Machine ? Qui sera leur pre­mier grand adver­saire et où se situe­ront leurs pre­mières aven­tures ?

Si vous sou­hai­tez que les per­son­nages incar­nés par les joueurs se connaissent avant le début du Feuille­ton, mieux vaut que les joueurs créent leurs per­son­nages ensemble, afin de pou­voir les doter d’un passé commun — ce qui ne vous empêche pas de voir en privé les aspects plus confi­den­tiels de la per­son­na­lité ou de l’histoire de chacun. Cette méthode de créa­tion grou­pée est aussi le meilleur moyen d’obtenir un groupe cohé­rent et équi­li­bré, com­pre­nant des per­son­nages dotés d’Atouts dif­fé­rents et com­plé­men­taires. Par contre, si vous sou­hai­tez que les héros se ren­contrent à la faveur des évé­ne­ments du Feuille­ton, mieux vaut pro­cé­der à la créa­tion de manière indi­vi­duelle, afin de pré­ser­ver un élé­ment de mys­tère. Dans tous les cas, il est pré­fé­rable que le Chro­ni­queur décide au préa­lable quels types de héros pour­ront conve­nir ou non à son Feuille­ton. Si vous comp­tez explo­rer une mul­ti­tude de situa­tions, mieux vaut créer un groupe avec des héros de Voca­tions dif­fé­rentes : dans ce cas, il est pré­fé­rable que chaque per­son­nage soit rela­ti­ve­ment repré­sen­ta­tif de sa Voca­tion, dans la plus grande tra­di­tion des romans et des films d’aventure. Si, au contraire, vous comp­tez orien­ter les aven­tures des per­son­nages dans une direc­tion plus spé­ci­fique (la recherche scien­ti­fique et les inven­tions, l’espionnage et la diplo­ma­tie inter­na­tio­nale, l’exploration et la grande aven­ture etc.), il est pré­fé­rable que le groupe contienne plu­sieurs per­son­nages de même Voca­tion, afin de souder l’équipe autour d’activités et d’ambitions com­munes ; le sys­tème des Atouts est suf­fi­sam­ment flexible pour per­mettre la créa­tion de per­son­nages appar­te­nant à la même Voca­tion mais pos­sé­dant chacun leurs propres talents et domaines de pré­di­lec­tion.

Matériel et équipement

Dans de nom­breux jeux de rôle, les joueurs dis­posent d’une sorte de crédit leur per­met­tant d’acheter, objet par objet, l’équipement de leur per­son­nage. Cette pro­cé­dure fas­ti­dieuse donne sou­vent lieu à des litiges ridi­cules (« Désolé, mais tu n’as jamais pré­cisé que tu pos­sé­dais une canne de rechange ! ») ou à de sor­dides comptes d’apothicaire (« Il te manque une livre et qua­rante cents pour pou­voir ache­ter cette machine à écrire… tant pis ! ») qui n’apportent abso­lu­ment rien au jeu. Dans Uchro­nia, ces consi­dé­ra­tions finan­cières s’effacent devant la règle d’or sui­vante : un héros pos­sède tout ce qu’il peut rai­son­na­ble­ment pos­sé­der en fonc­tion de sa for­tune, de sa voca­tion et de ses Atouts. En dehors de cela, toutes les pos­ses­sions sus­cep­tibles d’influer de manière signi­fi­ca­tive sur le dérou­le­ment du jeu sont sou­mises à l’approbation du Chro­ni­queur.

En fait, l’importance de l’équipement dépend avant tout du type d’histoire mis en scène par le Chro­ni­queur : si vous vous lancez dans un épi­sode rela­tant un voyage d’exploration ou une expé­di­tion archéo­lo­gique au fin fond de la jungle ama­zo­nienne, l’équipement dont dis­posent les héros sera effec­ti­ve­ment d’une impor­tance vitale : le maté­riel emporté devra être très pré­sent à l’esprit des joueurs et pourra même être l’objet de diverses péri­pé­ties (perte, répa­ra­tions de for­tune etc.).

Le passage du temps

Dans une partie d’Uchronia, la mesure du temps et le rythme de l’action obéissent d’abord à des cri­tères d’ordre nar­ra­tif : ainsi, la durée exacte d’une scène ou d’un tour varie selon les situa­tions, en fonc­tion de la ten­sion dra­ma­tique et de la nature des évé­ne­ments vécus par les per­son­nages. Le décou­page d’un Feuille­ton en épi­sodes obéit aux mêmes conven­tions : ainsi, lorsqu’un joueur sou­haite que son per­son­nage ajoute un nouvel Atout à son réper­toire, l’essentiel n’est pas de cal­cu­ler com­bien de temps il faudra au héros pour déve­lop­per ses nou­velles facul­tés mais de déter­mi­ner à quel moment du Feuille­ton cette évo­lu­tion va effec­ti­ve­ment inter­ve­nir. Cette approche est repré­sen­tée par la notion de Saison. Une Saison est une série d’épisodes plus ou moins rap­pro­chés, au terme de laquelle chaque héros va pou­voir pro­gres­ser, avant d’entamer la Saison sui­vante. Le laps de temps qui s’écoule effec­ti­ve­ment durant une Saison ou entre deux Sai­sons n’a qu’une impor­tance rela­tive, et dépend avant tout du rythme que le Chro­ni­queur sou­haite donner à son Feuille­ton ou de la fré­quence à laquelle ses joueurs peuvent se réunir pour vivre les aven­tures de leurs per­son­nages. De même, le nombre exact d’épisodes que compte chaque Saison est laissé à l’appréciation du Chro­ni­queur et peut tout à fait varier d’une Saison à l’autre : on esti­mera en géné­ral qu’une Saison doit comp­ter entre quatre et huit épi­sodes, qui peuvent être liés entre eux par un fil conduc­teur ou, au contraire, pré­sen­ter à chaque fois une intrigue auto­nome. Ces choix dépendent là encore en grande partie de la fré­quence de jeu du groupe : il est évident qu’une équipe de joueurs occa­sion­nels n’explorera pas le monde d’Uchronia de la même manière qu’un groupe jouant régu­liè­re­ment, une ou plu­sieurs fois par semaine. Dans un cas comme dans l’autre, le Chro­ni­queur devra adap­ter le style, l’évolution et la conti­nuité de son Feuille­ton aux pos­si­bi­li­tés et aux impé­ra­tifs de ses joueurs.

Secrets et révélations

Comme beau­coup d’autres jeux dits de conspi­ra­tion, Uchro­nia repose en grande partie sur la décou­verte pro­gres­sive de secrets et de véri­tés cachées… ce qui ne signi­fie pas que votre Feuille­ton doive obli­ga­toi­re­ment repro­duire les pires cli­chés du genre. Pour com­men­cer, dans Uchro­nia, conspi­ra­tion ne rime pas for­cé­ment avec para­noïa aigüe : certes, la Machine peut sem­bler omni­pré­sente, le Sym­po­sium omni­po­tent et la cause du Club perdue d’avance, mais l’espoir demeure, et les grands méchants d’Uchronia sont fina­le­ment plus proches des adver­saires de James Bond, d’Indiana Jones ou d’Adèle Blanc Sec que des com­plo­teurs invi­sibles et infaillibles des théo­ries du com­plot les plus éla­bo­rées. De plus, la notion de décou­verte pro­gres­sive des secrets ne signi­fie pas que les grandes révé­la­tions doivent constam­ment être dif­fé­rées au pro­chain épi­sode, voire à la pro­chaine saison, comme dans cer­taine série télé­vi­sée où la vérité, à force d’être tou­jours ailleurs, finit par n’être nulle part. Dans le contexte d’un jeu de rôle, une telle approche ne peut qu’engendrer la frus­tra­tion des joueurs, et leur perte d’intérêt pour un monde où tout se passe tou­jours hors du champ d’action de leurs per­son­nages.

Dans Uchro­nia, les secrets n’existent que pour être décou­verts et les mys­tères pour être réso­lus… au rythme et de la façon qui convien­dront le mieux au goût du Chro­ni­queur et aux attentes de ses joueurs. Le même rai­son­ne­ment peut s’appliquer aux membres du Sym­po­sium et aux orga­ni­sa­tions de la Machine : ces orga­ni­sa­tions ne sont pas indes­truc­tibles et leurs maîtres secrets ne sont pas immor­tels. Pour­quoi une poi­gnée d’héroïques agents ne par­vien­draient-ils pas, au terme d’une lutte épique, à déman­te­ler entiè­re­ment les Hérauts du Pro­grès, à démas­quer le Pro­fes­seur, à détruire le Châ­teau de Köe­nig­sberg ou même à rayer de la sur­face de la terre le dia­bo­lique Doc­teur Gregor ? Bien sûr, il ne s’agit pas d’accomplir tout cela en deux ou trois épi­sodes, en tirant deux coups de feu et en résol­vant trois devi­nettes, mais les per­son­nages incar­nés par les joueurs sont des héros et doivent, en tant que tels, se trou­ver au pre­mier plan du Feuille­ton et non, comme d’obscurs lam­pistes, dans des cou­lisses où rien ne change jamais. Le Chro­ni­queur ne devra pas hési­ter à faire évo­luer la des­ti­née du monde d’Uchronia en fonc­tion des succès ou des échecs des héros de son Feuille­ton : le futur de ce monde n’étant pas encore écrit, tout est pos­sible, tout doit être pos­sible !

Inventeurs et inventions

Dans un uni­vers comme celui d’Uchronia, le per­son­nage de l’inventeur consti­tue une figure aussi emblé­ma­tique qu’incontournable : pré­sent à tous les niveaux du jeu (savants fous au ser­vice de la Machine, Hor­lo­gers du Club, membres de l’Academia Meca­nica, per­son­nages cen­traux comme Edison, Nemo ou Ter­ra­nova etc.), il incarne mieux que per­sonne l’esprit du jeu et des œuvres qui l’ont ins­piré, des récits de Verne et de Wells aux romans de la géné­ra­tion steam­punk. Pour­tant, il n’en reste pas moins un des types de per­son­nages les plus pro­blé­ma­tiques à gérer dans le contexte d’un jeu de rôle. Il s’agit tout d’abord d’un rôle ultra-spé­cia­lisé, beau­coup moins flexible et adap­table que celui d’aventurier, de gent­le­man ou d’agent secret : en règle géné­rale, un inven­teur consacre l’essentiel de son temps à ses recherches scien­ti­fiques, ce qui limite consi­dé­ra­ble­ment sa dis­po­ni­bi­lité en tant que héros d’aventure et l’isole natu­rel­le­ment du reste du groupe. Les acti­vi­tés prin­ci­pales d’un inven­teur (recherches, expé­riences etc.) sont des acti­vi­tés à long terme, ce qui les place tout natu­rel­le­ment hors du cadre des épi­sodes d’un Feuille­ton, dans l’espace nébu­leux des périodes d’entre-jeu. Même en sup­po­sant qu’un inven­teur puisse, de temps à autres, résoudre un pro­blème cru­cial grâce à une inven­tion bri­co­lée in extre­mis en cours d’épisode, de telles situa­tions doivent demeu­rer excep­tion­nelles, faute de quoi les autres joueurs risquent, à juste titre, de se sentir relé­gués au second plan, l’invention mira­cu­leuse s’apparentant alors à une sorte de deus ex machina.

En tant que Chro­ni­queur, vous pouvez résoudre ces divers pro­blèmes de plu­sieurs façons. La méthode la plus facile et la plus satis­fai­sante consiste à inté­grer un grand inven­teur dans l’entourage direct des héros, en tant que pro­ta­go­niste (per­son­nage-non-joué) de pre­mier plan : vous pour­rez ainsi uti­li­ser toutes les res­sources de ce type de per­son­nage sans être confronté aux incon­vé­nients expo­sés ci-dessus, l’action du Feuille­ton res­tant foca­li­sée sur les héros incar­nés par les joueurs. L’inventeur devient alors un inter­ve­nant de pre­mière impor­tance sans jamais voler la vedette aux véri­tables héros de l’histoire, un peu comme Merlin l’Enchanteur dans les récits sur le Roi Arthur et les Che­va­liers de la Table Ronde. Une autre pos­si­bi­lité, par­fai­te­ment com­pa­tible avec la pre­mière, est de trai­ter les Hor­lo­gers du Club à la manière du Ser­vice Q dans les films de James Bond : comme des four­nis­seurs de gad­gets taillés sur mesure en fonc­tion de la mis­sion confiée par le Club à ses valeu­reux agents. Ainsi, la tech­no­lo­gie uchro­nique sera omni­pré­sente dans vos épi­sodes mais res­tera tou­jours subor­don­née à l’élément humain — repré­senté par les héros.

Cela ne signi­fie pas qu’un joueur ne peut pas incar­ner un inven­teur s’il en a envie : le Chro­ni­queur devra sim­ple­ment veiller à ce que le joueur ne se retrouve pas avec un cher­cheur en labo­ra­toire, sans doute génial et par­fai­te­ment cohé­rent en tant que per­son­nage, mais beau­coup trop spé­cia­lisé et limité pour faire un véri­table héros. Un tel per­son­nage, du reste, aurait par­fai­te­ment sa place au sein du Club, mais comme Hor­lo­ger, ce qui le place de facto en marge du thème cen­tral d’Uchronia. Cela dit, un inven­teur peut tout à fait être uti­lisé comme agent de ter­rain par le Club, s’il est suf­fi­sam­ment flexible et poly­va­lent. Le per­son­nage d’Artemus Gordon, tel qu’il est pré­senté dans le film Wild Wild West, consti­tue un excellent exemple de ce type de héros : à ses incon­tes­tables talents d’inventeur s’ajoutent diverses com­pé­tences qui font de lui un agent secret de pre­mier ordre. Dans un autre genre, la plu­part des héros scien­ti­fiques de Jules Verne, comme Michel Ardan ou Pierre Arro­nax, peuvent être défi­nis comme des aven­tu­riers de la science : à leur voca­tion de savant s’ajoute tou­jours ce tem­pé­ra­ment d’explorateur sans lequel ils ne pour­raient s’embarquer pour ces Voyages Extra­or­di­naires sous la mer, dans les airs ou au centre de la terre. Il en va de même du fameux pro­fes­seur Chal­len­ger (héros d’Arthur Conan Doyle), dont le nom même sou­ligne toute la dimen­sion aven­tu­reuse du per­son­nage…

Rap­pe­lons, en outre, que dans le monde d’Uchronia, les inven­tions les plus spec­ta­cu­laires (ou les plus ana­chro­niques) découlent néces­sai­re­ment de connais­sances d’origine atlante ou pro­mé­théenne, connais­sances dont l’étude consti­tue une acti­vité à plein temps, stric­te­ment réser­vée à quelques indi­vi­dus pri­vi­lé­giés, comme les Hor­lo­gers du Club. La mise au point d’inventions déli­rantes ou révo­lu­tion­naires est donc pra­ti­que­ment incom­pa­tible avec toute autre acti­vité, à com­men­cer par les aven­tures, inves­ti­ga­tions, voyages et autres mis­sions périlleuses qui occupent une grande partie de l’existence d’un agent du Club. Cela dit, rien n’empêche un Chro­ni­queur ima­gi­na­tif, ambi­tieux et che­vronné de créer un Feuille­ton ayant pour héros un ou plu­sieurs grands inven­teurs capables de riva­li­ser avec Edison, Thom­son ou Ter­ra­nova. Un tel Feuille­ton néces­si­te­rait non seule­ment des règles détaillées, per­met­tant de simu­ler de manière pré­cise (et inté­res­sante) les dif­fé­rentes étapes de la mise au point d’une nou­velle inven­tion, mais aussi une approche alter­na­tive du jeu et de son dérou­le­ment — autant d’éléments qui dépassent lar­ge­ment le cadre de base d’Uchronia. Dans un pre­mier temps, il est donc for­te­ment recom­mandé de limi­ter le domaine des inven­tions les plus spec­ta­cu­laires aux pro­ta­go­nistes non-joués et à l’imagination du Chro­ni­queur. Ce der­nier pourra ainsi conser­ver tout contrôle sur l’apparition en jeu de nou­velles mer­veilles tech­no­lo­giques — ou de nou­velles machines infer­nales… Ensuite, une fois le Feuille­ton lancé, rien n’empêche le Chro­ni­queur de donner plus d’importance à cet aspect du jeu, si ses joueurs mani­festent un réel inté­rêt dans ce sens.

Dans un pro­chain sup­plé­ment, nous vous pro­po­se­rons des règles d’invention détaillées, qui vous per­met­tront d’exploiter plei­ne­ment cette dimen­sion du monde d’Uchronia.

Contribution des Joueurs

Rien n’empêche le Chro­ni­queur de sol­li­ci­ter le concours d’un ou plu­sieurs joueurs prêts à s’investir pour l’assister dans sa tâche de maître d’œuvre en tant qu’Archiviste, Conseiller Scien­ti­fique ou Assis­tant His­to­rique. Cha­cune de ces fonc­tions est exa­mi­née ci-des­sous.

Archi­viste : Ce rôle consiste tout sim­ple­ment à retrans­crire les diverses infor­ma­tions col­lec­tées par les joueurs au cours d’un épi­sode. Ce pro­cédé peut éviter d’embarrassants trous de mémoire en cours de partie et dis­pense éga­le­ment le reste du groupe de prendre des notes — acti­vité certes utile mais qui peut par­fois nuire à l’ambiance d’une scène impor­tante lorsque tous les joueurs se sentent obli­gés de cou­cher par écrit le moindre ren­sei­gne­ment donné par le Chro­ni­queur… Bien sûr, ce rôle d’Archiviste peut être confié à un joueur dif­fé­rent d’une partie sur l’autre. L’idéal est de conser­ver ces notes dans un dos­sier qui consti­tuera en quelque sorte les archives du Feuille­ton — archives qui pour­ront par­fois être aussi utiles aux joueurs qu’au Chro­ni­queur lui-même.

Conseiller Scien­ti­fique : Cette fonc­tion consiste à ima­gi­ner et à sug­gé­rer au Chro­ni­queur, entre deux séances de jeu, diverses pos­si­bi­li­tés d’inventions ou de décou­vertes sus­cep­tibles d’être effec­tuées par les Hor­lo­gers du Club ou par des scien­ti­fiques indé­pen­dants. L’idéal est de confier cette tâche à un joueur inter­pré­tant un Homme de Science et pos­sé­dant lui-même un petit bagage scien­ti­fique — ou une ima­gi­na­tion fer­tile !

Assis­tant His­to­rique : Ce rôle est glo­ba­le­ment simi­laire à celui du Conseiller Scien­ti­fique mais concerne les diver­gences his­to­riques sus­cep­tibles d’intervenir dans le monde d’Uchronia ; il est évi­dem­ment pré­fé­rable de confier cette tâche à un joueur pos­sé­dant une cer­taine culture his­to­rique. Avant chaque séance, ces diverses nou­velles du monde pour­ront être annon­cées aux autres joueurs par le Chro­ni­queur ou par le joueur concerné — ou, pour­quoi pas, pré­sen­tées sous forme de gazette ou de bul­le­tin.

Les fonc­tions de Conseiller Scien­ti­fique et d’Assistant His­to­rique ne s’exercent qu’entre les épi­sodes et ne doivent jamais inter­fé­rer avec le dérou­le­ment d’une séance de jeu ; elles ne confèrent aucun pou­voir sup­plé­men­taire mais per­mettent sim­ple­ment aux joueurs qui le sou­haitent de col­la­bo­rer acti­ve­ment avec le Chro­ni­queur à la construc­tion de leur monde uchro­nique — sans jamais oublier que le Chro­ni­queur reste seul maître à bord : les idées pro­po­sées par le Conseiller Scien­ti­fique et l’Assistant His­to­rique ne sont que des sug­ges­tions et le Chro­ni­queur est par­fai­te­ment libre de les refu­ser ou de les modi­fier à sa guise.

Alternatives et nouveaux horizons

Contrai­re­ment à de nom­breux uni­vers de jeux de rôle, le back­ground d’Uchronia peut être très faci­le­ment modi­fié en fonc­tion des pré­fé­rences de chaque Chro­ni­queur. De nom­breux élé­ments du jeu, comme les Sel­kies, les Hommes Taupes ou les Adeptes, sont entiè­re­ment option­nels ; en outre, les grands axes du jeu peuvent être aisé­ment trans­for­més, sup­pri­més ou rem­pla­cés, comme l’illustrent les alter­na­tives sui­vantes :

Sans les Atlantes : Dans ce cas, la tech­no­lo­gie supé­rieure du Club a pour ori­gine le seul génie de Nemo et de ses Hor­lo­gers. En outre, si les Atlantes n’existent pas, Sel­kies, Hommes Taupes et Adeptes dis­pa­raissent eux aussi du décor — ou pos­sèdent une toute autre ori­gine.

Sans le Club : Il n’y a aucune résis­tance orga­ni­sée contre la Machine : Nemo n’est jamais revenu du futur et nos cou­ra­geux héros sont le seul espoir de l’humanité face à la Grande Menace pro­mé­théenne… 

Sans les Pro­mé­théens : Rien n’empêche le Sym­po­sium d’exister sans les Pro­mé­théens : il devient alors un cercle des maîtres du monde qui cherche à domi­ner la pla­nète. La Grande Guerre peut très bien faire partie de leur stra­té­gie glo­bale de conquête du pou­voir. Dans ce cas, leur tech­no­lo­gie supé­rieure n’est plus d’origine extra-ter­restre mais résulte de leur seul génie scien­ti­fique… à moins qu’elle ne soit, elle aussi, d’origine atlante.

Sans la Machine : Les Pro­mé­théens ont décidé d’envahir direc­te­ment la Terre, en se pas­sant d’intermédiaires humains. Dans ce cas, le jeu se concen­trera moins sur les conspi­ra­tions secrètes et davan­tage sur l’uchronie ou sur l’action pure. La Guerre des Mondes est décla­rée !

Au grand jour : Les Pro­mé­théens ont décidé de révé­ler leur exis­tence au public, par l’entremise du Sym­po­sium. Mi-ébahis, mi-ter­ri­fiés, les habi­tants de la Terre découvrent leurs nou­veaux et mys­té­rieux alliés et se pré­parent à entrer dans l’Ere Pro­mé­théenne, sous l’égide d’Edison et com­pa­gnie, alors que les grandes puis­sances du globe se dis­putent déjà les faveurs des enti­tés venues de Mars…

De même, si le thème de la Guerre Secrète ne vous emballe pas, rien ne vous empêche de le mettre en veilleuse, voire de l’ignorer tota­le­ment, au profit d’un autre thème cen­tral : vous pour­rez ainsi lancer vos héros à la recherche des anciens mys­tères de l’Atlantide, les envoyer sur la Lune ou sur Mars, à bord du pre­mier astro­nef ter­rien, ou encore les confron­ter aux secrets du voyage tem­po­rel. Dans tous les cas, des per­son­nages comme Nemo, Edison ou Lord Kelvin peuvent aisé­ment être impli­qués dans les évé­ne­ments du Feuille­ton. Une autre option consiste à reprendre le thème de la Guerre Secrète en inver­sant quelques rôles : si notre ver­sion de Thomas Edison ne cor­res­pond pas à votre vision du célèbre inven­teur, pour­quoi ne pas faire de lui un des Invi­sibles, voire le fon­da­teur du Club ? Dans le même ordre d’idée, rien ne vous empêche de faire du Capi­taine Nemo un des membres du Sym­po­sium : le per­son­nage dépeint par Jules Verne est suf­fi­sam­ment ambigu pour servir de base à un excellent méchant *.

* Dans ce cas, nous vous ren­voyons à l’extraordinaire essai de W.H. Starr, « Un Sub­ter­fuge Sub­mer­sible  » publié en adden­dum du roman de Philip José Farmer, « Chacun Son Tour  » : l’auteur y fait la (brillante) démons­tra­tion que l’homme décrit par Jules Verne sous le nom de Nemo n’est autre que le sinistre Pro­fes­seur Moriarty, l’ennemi juré de Sher­lock Holmes !


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