Manuel du Chroniqueur

Les Quatre Dimensions d’Uchronia
Uchronia n’aurait évidemment jamais vu le jour sans les œuvres de Jules Verne, d’Herbert George Wells et de quelques autres grands précurseurs de la littérature de science fiction, ou plutôt d’anticipation, comme on l’appelait à l’époque… Un des objectifs d’Uchronia est de parvenir à capturer tout le charme de ces récits, en plongeant les joueurs dans des aventures épiques et extravagantes, pleines de rebondissements et d’événements étranges, le tout dans cette atmosphère décalée caractéristique du genre steampunk : bref, de leur ouvrir les portes d’un monde à la fois bizarre et familier, un monde où l’Histoire peut diverger à n’importe quel moment, un monde où tout est possible…
Pour parvenir à rendre vivant et vraisemblable ce passé impossible, le Chroniqueur dispose d’un certain nombre d’outils, de références et de recettes, que nous examinerons en détail ci-après… mais avant toute chose, il convient d’étudier de plus près les quatre Dimensions du jeu, quatre points-clés qui différencient Uchronia d’autres jeux de rôle plus classiques.
La Dimension Feuilletonesque
Uchronia ne s’inspire pas seulement des thèmes des grands romans d’aventure et d’anticipation de la fin du XIXème siècle, mais aussi de leur forme, de leur style et de leur ambiance, ce qui explique l’emploi de termes comme Chroniqueur, Épisode ou Feuilleton, destinés à ancrer d’emblée le jeu dans un mode de narration dynamique et enlevé, privilégiant le suspense et la tension dramatique. Cette Dimension Feuilletonesque pourra également se retrouver dans le jeu d’acteur des joueurs, dans le ton et le rythme adoptés par le Chroniqueur, mais aussi dans la construction des Épisodes et l’élaboration du Feuilleton, comme nous le verrons par la suite. Le Chroniqueur d’Uchronia ne doit pas hésiter à utiliser tous les artifices et les stratagèmes encore employés aujourd’hui par les scénaristes de séries télévisées ou de bandes dessinées à suivre : rebondissements constants, adversaires récurrents, coups de théâtre, fins de partie en cliffhanger et autres ficelles narratives éprouvées. Ces divers petits trucs de mise en scène sont examinés en détail dans la partie Metteur en Scène. (Cliquer en bas de page sur les Trois Rôles du Chroniqueur.)
Une autre caractéristique typiquement feuilletonesque est la possibilité d’étaler les aventures des héros sur plusieurs années. Dans le contexte particulier d’Uchronia, où fin de siècle rime avec fin du monde, cette possibilité permet de progresser plus ou moins rapidement vers la date fatidique de l’An 1900 et la Grande Invasion… Les héros d’Uchronia ne se battent pas seulement contre les serviteurs des Prométhéens : comme dans de nombreux récits où une terrible menace pèse sur la Terre ou sur ses habitants, ils se battent aussi contre le temps, dont le passage inexorable rapproche l’humanité du moment fatidique où son sort sera joué… Pour que la Dimension Feuilletonesque d’Uchronia fonctionne de façon optimale en cours de jeu, le Chroniqueur doit gérer avec soin le crescendo dramatique de son Feuilleton, avec une montée en puissance progressive des dangers et des enjeux, mais aussi des possibles répercussions des actions des héros sur le cours global des choses, ce qui nous amène tout naturellement à la deuxième Dimension du jeu, la Dimension Héroïque…
La Dimension Héroïque
Prolongement logique de la précédente, la Dimension Héroïque pourrait se résumer en une seule phrase : les personnages des joueurs sont les héros de l’histoire. Ce qui peut, à première vue, sembler une évidence implique en fait une approche assez particulière, qui n’est pas forcément celle de tous les jeux de rôle. Comme leurs modèles littéraires ou cinématographiques, les héros d’Uchronia sont des individus exceptionnels, aux capacités largement supérieures à la moyenne, et qui bénéficient souvent de coups de chance providentiels dans les situations les plus critiques. Cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas échouer, ni même perdre la vie, mais simplement qu’ils ne sont pas là pour mourir bêtement au début d’un Episode ou suite à un jet de dés malheureux. Les règles de combat garantissent d’assez bonnes chances de survie aux héros, mais ne les empêchent certainement pas d’être mis hors de combat et donc capturés, emprisonnés voire torturés par leurs adversaires, dans la plus pure tradition des films d’aventure.
Le statut de héros, toutefois, ne se limite pas à une assurance survie perpétuelle et implique certaines contreparties, à commencer par l’engagement des personnages dans le tourbillon de la Guerre Secrète. Le Chroniqueur est, du reste, tout à fait libre de rendre les choses plus réalistes et plus brutales pour les personnages qui se montreraient particulièrement veules, mesquins ou stupides : ainsi, un héros qui abandonne lâchement ses compagnons dans une situation périlleuse pour sauver sa peau n’a plus rien d’un héros, et mérite tout à fait de succomber à une mort ignominieuse, au contraire de ce qui se produit dans certains jeux de rôle où une attitude matérialiste et cynique s’avère souvent plus payante qu’un comportement véritablement héroïque. Une telle logique est évidemment parfaitement sensée dans certains contextes de jeu, mais va totalement à l’encontre de la Dimension Héroïque d’Uchronia. Idéalement, cette Dimension doit également se manifester à travers la destinée des personnages incarnés par les joueurs : autant que possible, le Chroniqueur devra veiller à ce que les héros occupent un rôle de plus en plus important non seulement au sein du Club, mais aussi dans l’Histoire de l’univers d’Uchronia, en leur permettant d’accomplir des actes réellement décisifs, et en donnant à leurs réussites, à leurs découvertes ou à leurs inventions un véritable impact sur l’évolution générale des événements… Cet aspect particulier de la Dimension Héroïque est intimement lié à la Dimension Uchronique du jeu, que nous allons aborder sans plus tarder…
La Dimension Uchronique
L’univers d’Uchronia est à la fois historique (puisque l’action se situe à la fin du XIXème siècle) et totalement imaginaire, puisqu’il incorpore entités extraterrestres, inventions anachroniques et autres bizarreries susceptibles de sérieusement perturber le cours normal de la réalité… Le caractère pseudo-historique d’Uchronia sert à la fois de prétexte et de façade au jeu. Lorsque le jeu commence, l’Histoire n’a pas encore divergé et les choses sont (du moins, en apparence) exactement semblables à ce qu’elles étaient à la fin du vrai XIXème siècle ; le fait que l’Uchronie ne se manifeste qu’au bout d’un moment, une fois le jeu lancé, offre de nombreux avantages et ouvre des perspectives assez inhabituelles en jeu de rôle. Le premier avantage est celui de la simplicité : un joueur d’Uchronia n’a aucun background particulier à digérer avant de créer son personnage ou même de débuter un Feuilleton ; au cas (assez improbable) où il aurait quelque difficulté à se représenter l’époque choisie, la lecture d’un Jules Verne ou de quelques aventures de Sherlock Holmes devrait s’avérer suffisante. Tout le reste pourra être découvert en jeu, au fil des Épisodes. Le deuxième avantage, non négligeable, est celui de la surprise : dans un jeu de rôle vraiment historique, les joueurs savent que les actions de leurs personnages ne pourront pas altérer de façon notable le cours de l’Histoire. Dans Uchronia, les choses obéissent à une toute autre logique : Jack l’Éventreur peut être identifié et arrêté, Paris peut être détruit par une pluie de météores et la Reine Victoria assassinée en plein Buckingham Palace ! Dès lors, les héros peuvent se retrouver confrontés à des enjeux d’ampleur vraiment historique (sauver Paris de la destruction, par exemple, ou déjouer le complot contre la Reine Victoria) sans que leur réussite ou leur échec soit déjà écrit, ce qui renforce considérablement le suspense de la chose et permet même aux personnages des joueurs de (re)faire l’Histoire, un privilège rarement accordé aux héros de jeux de rôle. A partir du moment où les joueurs s’aperçoivent que le monde d’Uchronia ne suit pas la même chronologie que le nôtre, l’éventualité de l’invasion prométhéenne prend une toute autre dimension, et cesse d’être une vague menace à long terme pour devenir un enjeu historique… L’ouverture uchronique du jeu peut rendre possible des situations inimaginables dans d’autres jeux : supposons, par exemple, que les héros parviennent à informer de hauts responsables du gouvernement français de l’existence du complot prométhéen et de la menace qu’il représente pour l’humanité entière. Dans un jeu plus classique, la logique et le réalisme voudraient que les efforts déployés par les joueurs soient réduits à néant par quelque coup de Jarnac ourdi par leurs adversaires… Dans Uchronia, rien n’empêche le Chroniqueur de décider que le gouvernement prend la chose tout à fait au sérieux, place tout le pays en état d’alerte et confie aux héros la direction d’un ministère secret destiné à gérer le problème prométhéen… mais le côté délirant du monde d’Uchronia ne se limite pas à de possibles divergences historiques : la réalité cache bien d’autres surprises, qui relèvent de la quatrième dimension du jeu, la Dimension Hétéroclite.
La Dimension Hétéroclite
La Dimension Hétéroclite est, au propre comme au figuré, la Quatrième Dimension d’Uchronia. En effet, l’univers d’Uchronia intègre dans le même tableau une quantité d’éléments imaginaires apparemment disparates : invasion extraterrestre, divergences historiques, inventions extraordinaires, organisations secrètes… mais aussi pouvoirs paranormaux, voyages temporels, civilisations disparues, micro-univers et autres incongruités. Soigneusement dosés, ces éléments permettent de créer la surprise, le mystère ou la découverte, de maintenir en éveil la curiosité des joueurs et d’ouvrir au Chroniqueur un champ de création le plus vaste possible. Utilisés à tort et à travers, sans utilité dramatique, ils donneront au contraire l’impression d’un univers fourre-tout, sans véritable cohérence et où les faits et gestes des héros se noient dans le n’importe-quoi ambiant. De toutes les Dimensions d’Uchronia, la Dimension Hétéroclite est sans doute la plus difficile à appréhender et à gérer sur le plan pratique. Le Chroniqueur ne doit surtout pas considérer les secrets du monde d’Uchronia comme une somme d’informations devant être digérées par les joueurs le plus rapidement possible avant de pouvoir passer aux choses sérieuses (déjouer le complot, éliminer les méchants et sauver la planète); au contraire, ces informations doivent être soigneusement distillées, au fil des Épisodes, et uniquement lorsque leur divulgation ou leur découverte apporte quelque chose à l’histoire. Il est parfaitement possible de jouer des dizaines d’épisodes avant d’entendre seulement parler de l’existence des Selkies ; il est même parfaitement possible de jouer plusieurs Épisodes préliminaires avant de faire intervenir le Club ou de révéler aux joueurs l’existence de la menace prométhéenne… En tant que Chroniqueur, vous êtes seul maître à bord : selon vos préférences personnelles ou, mieux encore, celles de vos joueurs, vous pouvez tout à fait choisir de mettre l’accent sur tel ou tel aspect des choses ou même de laisser certains éléments de côté ; ainsi, si vous trouvez que les artefacts atlantes et les Selkies ne s’accordent pas à l’idée que vous vous faites du jeu, rien ne vous empêche d’ignorer purement et simplement leur existence. A l’inverse, rien ne vous empêche de mettre la Guerre Secrète en veilleuse et de focaliser votre Feuilleton sur une forme d’Uchronie plus poétique ou sur un des thèmes secondaires d’Uchronia, comme la magie des Adeptes ou la recherche des secrets perdus d’Atlantis, ou même d’ajouter un nouveau pan à l’univers du jeu…
Références et sources d’inspiration
Littérature
Parmi les ouvrages fondateurs nous ayant suggéré quelques uns des grands thèmes du jeu, citons :
- « Vingt Mille Lieues sous les Mers » de Jules Verne. A tout seigneur, tout honneur : un grand classique à redécouvrir, avec le Nautilus et le Capitaine Nemo en version originale.
- « La Guerre des Mondes » et « La Machine à Explorer le Temps » d’Herbert George Wells : deux incontournables références du pionnier de la science fiction, d’où sont extraits certains des principaux thèmes d’Uchronia.
- « Chacun son Tour » de Philip José Farmer, réécriture science-fictionnesque du célèbre « Tour du Monde en Quatre Vingts Jours » de Jules Verne… où Phileas Fogg devient un agent au service d’une race extra-terrestre, luttant contre le diabolique Nemo. C’est ce roman qui nous a suggéré le thème de la Guerre Secrète ainsi que l’idée d’une Vérité Cachée derrière les ouvrages de Jules Verne.
- « Machines Infernales » de K.W. Jeter, un des romans fondateurs de l’école steampunk ; hautement recommandé pour son humour délirant et son style débridé ; nous y avons puisé l’idée des Selkies.
- « Les Voies d’Anubis » de Tim Powers, autre pierre angulaire du mouvement steampunk, qui a influencé la vision des Magiciens dans Uchronia ; ce roman traite également avec brio des boucles temporelles et autres effets Widdershin.
- « La Machine à Explorer l’Espace » de Christopher Priest ; cette romance scientifique victorienne, écrite en hommage à Herbert George Wells, propose une vision alternative de la Guerre des Mondes, avec un détour par la planète Mars. A lire surtout pour son style délicieusement rétro et pour son couple de héros particulièrement attachants.
- « La Liste des Sept » et « Les Six Messies » de Mark Frost, ou les aventures… d’Arthur Conan Doyle ! Même s’ils sont plus ancrés dans le fantastique que dans la science fiction, ces deux romans constituent pour les Chroniqueurs d’excellentes sources d’inspiration, tant pour leur intrigue que pour leur atmosphère. Le personnage de Jack Sparks constitue, en outre, un parfait modèle d’agent du Club.
- L’anthologie « Futurs Antérieurs », publiée chez Fleuve Noir, donne une bonne vue d’ensemble du steampunk, pour ceux qui souhaiteraient se familiariser avec les grands thèmes et les conventions du genre.
Citons également :
- D’autres récits d’Herbert George Wells, notamment « L’Ile du Dr Moreau », « L’Homme Invisible » et « Les Premiers Hommes dans la Lune ».
- « La Cité Entre les Mondes » de Francis Valéry, roman d’aventures uchroniques situées en 1913 dans un monde alternatif ; excellente source d’inspiration pour les Chroniqueurs intéressés par les Anciens Mystères, les Atlantes et les Portes Temporelles…
- « Le Horla » de Guy de Maupassant et « Les Xipéhuz » de Rosny-Ainé, deux visions de la notion d’entité extra-terrestre hostile par des auteurs de l’époque d’Uchronia.
- « Bouvard, Pécuchet et les Savants Fous » de René Réouven, réjouissante pochade où les deux apprentis-savants idiots de Flaubert croisent diverses figures authentiques et imaginaires dans une intrigue délirante mélangeant spiritisme, voyages temporels, expérimentations génétiques et grandes énigmes historiques…
- « La Machine à Différences » de William Gibson et Bruce Sterling, autre pierre angulaire du mouvement steampunk écrite par deux auteurs fondateurs du genre cyberpunk. Principal ouvrage de fiction sur la fameuse Machine de Babbage, ce roman dépeint une véritable guerre de l’information dans un XIXème siècle alternatif où Lord Byron est Premier Ministre de la Reine Victoria ! L’adaptation française laisse malheureusement à désirer.
- « Homunculus » de James Blaylock, autre père-fondateur du mouvement steampunk, et surtout sa suite, « Le Temps Fugitif » (« Lord Kelvin’s Machine » en version originale). Vivement conseillés aux amateurs de délires victoriens truculents et échevelés.
- D’autres romans de Jules Verne, notamment « L’Ile Mystérieuse », « Robur le Conquérant », « Le Tour du Monde en Quatre Vingts Jours », « Le Château des Carpathes », « Maître du Monde », « De la Terre à la Lune », « Voyage au Centre de la Terre » ou encore « Les Cinq-Cents Millions de la Bégum »… recommandés non seulement pour les idées qu’ils contiennent mais aussi pour apprendre à décrire en termes d’époque toutes sortes d’inventions modernes ou futuristes, sans recourir au vocabulaire technologique du XXème siècle.
- « Le Mystérieux Docteur Cornélius », roman feuilleton fleuve de Gustave Lerouge, bourré d’idées délirantes et éminemment exploitables, avec en plus l’inimitable cachet d’époque : complots sinistres, savants fous et machines infernales, tout y est !
- La série des aventures du professeur Challenger, d’Arthur Conan Doyle, notamment « Le Monde Perdu » et « La Ceinture Empoisonnée ».
- Divers récits d’Edgar Poe, notamment « Arthur Gordon Pym », « Révélation Magnétique » et « Dans le Maelström ». Poe constitue une des principales références d’Uchronia pour tout ce qui touche aux mystères du magnétisme et de l’hypnose.
- L’anthologie « Sherlock Holmes en Orbite » (L’Atalante), qui présente diverses visions alternatives et souvent science-fictionnesques des aventures du célèbre détective ; de qualité très inégale, cet ouvrage contient quelques excellentes nouvelles mélangeant mythologie holmesienne et thématique steampunk.
- « Anno Dracula » de Kim Newman, uchronie cauchemardesque où les Vampires ont envahi l’Angleterre victorienne. Abstraction faite du thème vampirique, ce cocktail de faits historiques, d’hommages littéraires et de trouvailles délirantes fourmille d’idées éminemment recyclables dans le cadre d’Uchronia. Sa suite « Le Baron Rouge Sang », qui se situe pendant la première guerre mondiale, est, elle aussi, fortement recommandée.
Côté bandes dessinées, citons :
- « La Ligue des Gentlemen Extraordnaires » d’Alan Moore et Kevin O’Neill (Editions USA ou, en v.o. chez ABC comics), savoureuse épopée steampunk, avec dans les rôles principaux Allan Quatermain, Mina Murray (l’héroïne de Dracula), le docteur Jekyll, le capitaine Nemo, l’Homme Invisible et quelques autres grandes figures de la littérature victorienne : une pure merveille.
- « Les Aventures d’Adèle Blanc Sec » de Tardi, mine d’idées en tous genres qui montre avec brio comment mélanger la plus rocambolesque des fictions fantastico-policières et l’évocation de thèmes beaucoup plus graves… Adèle Blanc Sec est, en outre, un excellent modèle d’héroïne touche-à-tout. Du même auteur, signalons aussi le très beau « Démon des Glaces ».
- La mini-série « Brave Old World » de Moessmer Loeb et Guy Davis, chez DC/Vertigo… ou quand le bug de l’an 2000 catapulte de malheureux informaticiens en l’an 1900. Ordinateurs mécaniques, boucles temporelles et divergences historiques : tout y est…
- La série « Steampunk » de Kelly et Bachalo (en français chez Semic), surtout pour l’approche graphique et esthétique du genre.
Cinéma
En cinéma, les références et les inspirations sont malheureusement peu nombreuses, en dehors de quelques adaptations classiques des romans de Verne et de Wells. A notre connaissance, aucun film n’a (encore) réellement capturé le charme et la folie propres au genre steampunk. Citons tout de même : Wild Wild West de Barry Sonnenfeld (surtout pour les extraordinaires machines, véritables chefs d’oeuvre d’esthétique steampunk et pour la prestation de Kenneth Branagh, excellent modèle de Grand Méchant pour Uchronia), Kafka de Steven Soderbergh (une de nos principales sources d’inspiration pour le docteur Gregor), La Vie Privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder (sans doute le meilleur Holmes apocryphe à l’écran, avec une très légère touche steampunk pour l’invention secrète) et C’était Demain, de Nicholas Ray (où H.G. Wells saute dans la machine à explorer le temps pour traquer Jack l’Eventreur en 1976 !).
Télévision
La télévision, quant à elle, nous offre quelques sources d’inspiration indirectes inattendues, avec des séries comme X-Files ou Chapeau Melon et Bottes de Cuir, dont les scénarios sont plus faciles à transposer à l’époque victorienne qu’il n’y paraît de prime abord. Certains épisodes des Mystères de l’Ouest contiennent également d’excellentes idées, en dépit de scénarios souvent beaucoup trop simples pour être adaptés tels quels en jeu de rôle. Signalons également la légendaire série anglaise Doctor Who, avec son Seigneur du Temps 100% britannique et son esthétique souvent très rétro-futuriste.
Internet
Internet peut également être une excellente source de références, notamment pour ceux qui veulent agrémenter leurs séances de jeu de photographies, de cartes et de documents d’époque. Le web fourmille de sites sur l’époque victorienne — la plupart en langue anglaise. Le Victorian Web est un bon point de départ pour ceux qui voudraient se plonger dans cette passionnante période. Citons également l’e-zine Victorian Gamer et Steampunk Resource.
Les trois rôles du Chroniqueur
Véritable homme-orchestre du jeu de rôle, le Chroniqueur remplit de multiples fonctions :
- La fonction principale du Chroniqueur est sans doute celle de METTEUR EN SCÈNE. En tant que narrateur du Feuilleton, son rôle consiste à transformer les événements d’un épisode et les décisions des joueurs en un récit fluide et cohérent. Pour ce faire, il doit savoir préparer et amener ses effets dramatiques, gérer la continuité et le rythme de l’action mais aussi improviser en fonction des idées exprimées par les joueurs, sans jamais perdre de vue le fil de son histoire ou les objectifs de son scénario. Il incombe également au Chroniqueur d’interpréter les différents protagonistes d’un épisode de manière crédible, originale ou mémorable. Véritable marionnettiste, il doit savoir changer de rôle en un instant… et même tenir plusieurs rôles à la fois, sans jamais oublier sa fonction de narrateur. Enfin, comme au théâtre ou au cinéma, le rôle de Metteur en Scène consiste à savoir créer une atmosphère, que ce soit par le biais de descriptions particulièrement évocatrices ou par l’utilisation d’accessoires et d’aides de jeu comme les photographies d’époque, les lettres, télégrammes, coupures de presse et autres supports d’ambiance.
- Le Chroniqueur fait également office de MENEUR DE JEU. En tant que tel, il a pour tâche principale de bien maîtriser les règles de jeu et de gérer leur utilisation en cours de partie. Il doit par exemple savoir évaluer les seuils de réussite des actions entreprises par les personnages, ou interpréter en termes descriptifs le résultat de tel ou tel lancer, mais aussi improviser en cas de situation imprévue… et savoir se passer des règles lorsque leur utilisation risque de casser l’ambiance d’une scène. En tant que Meneur de Jeu, le Chroniqueur doit également gérer les actions des différents Protagonistes qu’il interprète.
- Enfin, le Chroniqueur est le MAÎTRE D’ŒUVRE du Feuilleton qu’il propose à ses joueurs. Ce rôle inclut la conception globale du Feuilleton et de son architecture narrative. Cette fonction confère également au Chroniqueur les prérogatives d’un véritable créateur d’univers : libre à lui d’ignorer ou de modifier tel ou tel élément du jeu, en fonction de son inspiration, des besoins de son Feuilleton ou des attentes de ses joueurs.
Pour en savoir plus sur ces trois fonctions, consultez les dossiers suivants.
Le Chroniqueur en tant que Metteur en Scène
Uchronia est un jeu de genre, basé sur de nombreuses références issues de la littérature steampunk et des romans d’anticipation et d’aventure scientifique des années 1880–1900. Tout comme les grandes dimensions qui définissent le style du jeu, les ingrédients essentiels d’un Feuilleton d’Uchronia sont au nombre de quatre :
L’Aventure : L’aventure, c’est d’abord l’action, le risque, le danger : les héros d’Uchronia sont faits pour affronter les situations les plus périlleuses et les adversaires les plus redoutables… mais l’aventure, c’est aussi le goût du défi, la volonté de tenter ce qui n’a jamais été accompli, qu’il s’agisse d’explorer des terres inconnues ou de piloter le premier aéroplane de l’Histoire.
L’Imaginaire : Dans Uchronia, l’imaginaire adopte le plus souvent une couleur scientifique, ou plutôt pseudo-scientifique, avec d’occasionnelles incursions aux frontières du fantastique et du surnaturel. A cet égard, le Chroniqueur pourra méditer cette maxime de Saint-Augustin : Il n’y a pas de surnaturel, mais seulement du naturel qui n’a pas encore été expliqué.
Le Mystère : Composante essentielle de la Guerre Secrète, le mystère peut prendre une multitude de formes : machinations byzantines et complots diaboliques, phénomènes étranges et frontières du réel, mondes souterrains et cités perdues, énigmes du passé et abîmes du futur, avec en dénominateur commun la peur ou l’attrait de l’Inconnu.
L’Air du Temps : Cet ingrédient englobe toutes ces petites touches rétro qui permettent de restituer ou d’évoquer l’atmosphère et l’esthétique de l’époque victorienne, que ce soit à travers les dialogues, les descriptions ou les situations de jeu — sans jamais omettre cet indispensable décalage caractéristique du genre steampunk.
Bien sûr, le dosage de ces quatre ingrédients de base pourra varier selon les épisodes, et devra également prendre en compte la composition du groupe de héros et les attentes de vos joueurs. Ainsi, une équipe composée de deux Hommes d’Action, d’un Homme de Science archéologue et d’un Touche-à-tout globe-trotter sera probablement plus adaptée à des intrigues de type grande aventure, avec force voyages, explorations et tribulations mouvementées, tandis qu’un groupe comptant un dandy excentrique, une espionne et un émule de Sherlock Holmes sera davantage à son aise dans des scénarios mettant l’accent sur le mystère et sur l’air du temps.
Conception des épisodes
Concevoir un épisode de jeu de rôle, c’est d’abord trouver une idée de départ, un concept central qui constituera la base du scénario. Cette première étape est souvent la plus difficile, tout simplement parce qu’elle repose entièrement sur l’inspiration, faculté capricieuse et impossible à définir en termes objectifs. Dans le cadre d’un jeu comme Uchronia, le Chroniqueur peut puiser cette inspiration dans de nombreuses références : romans, nouvelles, films, bandes dessinées, séries télévisées… Le chapitre précédent vous propose un tour d’horizon de différentes œuvres de fiction susceptibles de constituer d’excellentes sources d’inspiration pour le jeu, des Voyages Extraordinaires de Jules Verne aux romans cultes de l’école steampunk, en passant par les aventures de Sherlock Holmes ou d’Adèle Blanc Sec. L’idée de départ d’un épisode peut refléter son thème général (une histoire d’invention volée), son atmosphère (une enquête mondaine), son cadre (une aventure se déroulant entièrement à bord d’un dirigeable), ses principaux protagonistes (une affaire impliquant Thomas Edison et les Hérauts du Progrès), les besoins dramatiques du Feuilleton (un épisode permettant aux héros de gagner l’amitié d’Herbert George Wells), un élément particulier de l’univers d’Uchronia (une histoire avec les Selkies) ou plusieurs de ces différents critères (une histoire d’invention volée impliquant Edison et les Hérauts du Progrès et permettant aux héros de gagner l’amitié d’Herbert George Wells).
Intrigue et trame
Une fois l’idée de départ établie, le Chroniqueur doit jeter les grandes bases de son intrigue et réfléchir aux principaux éléments dramatiques de son scénario, à commencer par les objectifs des héros et les enjeux de l’épisode. Cette intrigue peut ensuite être développée sous forme de trame, c’est à dire de suite d’événements représentant le déroulement probable de l’épisode. Suivant le type d’intrigue choisi, cette trame peut être linéaire ou prendre en compte plusieurs alternatives sous forme d’arborescence. Le plus souvent, une trame se présente comme une ou plusieurs séries de scènes plus ou moins détaillées correspondant aux temps forts et aux moments-clés de l’épisode. Pour plus de détails à ce sujet, reportez-vous à la section intitulée Dynamique Narrative.
La trame d’un épisode ne constitue toutefois qu’un support et ne doit pas venir entraver l’imagination des joueurs ou l’inspiration du moment : avec l’expérience, le Chroniqueur apprendra à réagir en direct aux décisions de ses joueurs et à mener le cours de ses épisodes en laissant toujours une place à l’imprévu et à l’improvisation. Selon l’adage bien connu des rôlistes chevronnés, même si le meneur de jeu envisage à l’avance dix manières de résoudre une situation, rien n’empêchera les joueurs de choisir la onzième possibilité… La section intitulée Effets Dramatiques fournit aux Chroniqueurs débutants quelques conseils sur l’art d’improviser en cours de partie ainsi que quelques petites astuces fort utiles pour étoffer, développer ou relancer l’action d’un épisode.
Le dosage entre préparation et improvisation reste avant tout une affaire de goût et de style : certains Chroniqueurs bétonnent leurs intrigues en prévoyant des trames aussi machiavéliques que labyrinthiques, tandis que d’autres préfèrent mener leurs épisodes en roue libre, en laissant les joueurs construire leur propre histoire à partir de quelques éléments de départ. Rien n’interdit en outre d’adopter l’une ou l’autre approche au cours d’un même Feuilleton, en fonction des demandes spécifiques de chaque épisode. Il en va de même pour le degré de détail apporté au décor ou aux protagonistes d’un épisode : ainsi, l’utilisation de plans représentant les lieux les plus importants du scénario peut être indispensable pour certaines intrigues, et totalement superflue pour d’autres ; de même, certaines histoires exigeront une galerie de protagonistes soigneusement définis tandis que d’autres pourront se contenter de personnages improvisés au fil de l’épisode, en fonction des situations amenées par les décisions des joueurs.
Enfin, il est important de se pencher sur les tenants et les aboutissants de l’épisode, c’est à dire ses liens avec les épisodes antérieurs et ultérieurs du Feuilleton. Dans un jeu comme Uchronia, le sentiment de continuité joue un rôle primordial et une des meilleures façons de faire naître ce sentiment chez les joueurs est d’intégrer le vécu de leurs personnages à la construction des épisodes : les joueurs apprécient toujours de retrouver un vieil ami (ou un vieil ennemi…) rencontré par leurs personnages dans un précédent épisode, de découvrir les implications insoupçonnées de quelque vieille histoire ou d’être confronté aux conséquences (positives ou fâcheuses) de décisions prises au cours d’une séance de jeu antérieure.
A titre d’exemple, voici trois exemples très simples de trames pouvant être développées dans le cadre d’un Feuilleton. Notons que, conformément à la logique d’Uchronia, aucune de ces intrigues n’est anecdotique : toutes ont des enjeux importants, susceptibles d’avoir des répercussions sur le cours de la Guerre Secrète.
LES SECRETS DU « PURSUIVANT » : Grâce à ses contacts haut-placés au sein du gouvernement américain, Thomas Edison a enfin convaincu l’état-major des Etats Unis de l’utilité de son submersible de guerre, le Pursuivant. La construction des trois premiers bâtiments a donc débuté dans le plus grand secret, quelque part dans la baie de San Francisco, sous la double-surveillance des Hérauts du Progrès et des forces armées américaines. Bien sûr, la construction du Pursuivant marquera une étape importante dans la course aux armements entre les grandes nations du globe, mais il constitue également une menace encore plus directe pour le Nautilus — d’autant qu’Edison a récemment mis au point un redoutable système de détection écho-électrique basé sur la science prométhéenne. Il est donc vital de s’emparer des plans de ce système, afin de permettre à Nemo et aux Horlogers du Club de fabriquer des contre-mesures susceptibles de protéger efficacement le Nautilus… et de diminuer considérablement l’impact militaire de la découverte d’Edison. Nos héros sont donc chargés de s’infiltrer au sein de la branche californienne des Hérauts du Progrès, afin de découvrir la localisation exacte des sites de montage et, si possible, de subtiliser les plans du précieux système de détection.
LE MYSTERIEUX BAGAGE : Lors d’une expédition scientifique au large des Iles Orcades, un biologiste marin membre de l’Institut Bainbridge a réussi à capturer un Selkie vivant ! Certain que sa prodigieuse découverte lui ouvrira les portes de la postérité, il se prépare à présenter l’extraordinaire spécimen à ses supérieurs — parmi lesquels se trouvent plusieurs serviteurs importants de la Machine. Comme si la situation n’était pas suffisamment catastrophique, le Selkie en question est en possession d’informations capitales concernant le Nautilus — informations qui pourraient bien avoir une influence désastreuse sur le cours de la Guerre Secrète si elles venaient à tomber entre de mauvaises mains. Devant l’urgence de la situation, le Club charge nos héros de récupérer le Selkie avant qu’il ne soit livré aux autorités de l’Institut. Pour ce faire, ils devront intercepter le train dans lequel voyage le biologiste et récupérer le Selkie ; ce dernier, embarqué à bord du train dans le plus grand secret, est prisonnier à l’intérieur d’un caisson rempli d’eau, lui-même dissimulé dans une énorme malle censée contenir du matériel scientifique. Évidemment, les choses ne sont pas aussi simples : averti de l’incroyable découverte par ses subordonnés, le Professeur Barrymore a pressenti que l’extraordinaire créature sous-marine avait sans doute un rapport avec le Club et que ses agents allaient sûrement tenter quelque chose pour la récupérer — l’occasion idéale de leur tendre un piège et d’en apprendre (enfin) un peu plus sur ces mystérieux adversaires. Il a donc chargé son âme damnée, le Colonel Henry Thursdyke, ainsi que plusieurs de ses Silence Men, de veiller personnellement sur le transport du bagage et de tout mettre en œuvre pour capturer d’éventuels assaillants…
LA BÊTE DE MONTPARNASSE : Une étrange créature terrorise le quartier de Montparnasse. Mi-loup garou, mi-homme singe, elle a été aperçue bondissant de toit en toit par de nombreux témoins et a attaqué un agent de police qui lui avait tiré dessus. Depuis son lit d’hôpital, l’homme a raconté sa terrifiante rencontre à plusieurs journalistes : un croquis réalisé d’après ses souvenirs a été publié dans plusieurs quotidiens. Tout Paris se passionne pour la Bête, qui semble surgie du Double Assassinat dans la Rue Morgue d’Edgar Poe, et les hypothèses sur son origine alimentent toutes les conversations, des plus rationnelles (« un singe évadé d’un zoo » ou « un malfaiteur déguisé ») aux plus extravagantes (« un authentique loup-garou » ou « un abominable homme des neiges ramené par des explorateurs imprudents »). En réalité, il s’agit d’un hybride du Cirque Pandemonium (actuellement en représentation près de Paris) nommé Zoltan, qui a décidé d’échapper à la tyrannie de ses maîtres. Zoltan était autrefois un être humain mais le sérum protéïque du Dr Gregor l’a transformé en une créature mi-simiesque, mi-féline, dotée d’une force et d’une agilité prodigieuses – ainsi que d’instincts pouvant le rendre dangereux s’il se sent menacé. Il a toutefois conservé son intelligence humaine et sait parfaitement s’exprimer – mais il ne parle que le hongrois, étant originaire de ce pays. D’autres membres du Cirque sillonnent discrètement les rues de Paris à la recherche du fugitif, afin de l’éliminer… Les supérieurs des personnages, qui ont deviné la véritable origine de la Bête de Montparnasse, les chargent de retrouver sa trace afin de le persuader de confier son sort au Club ou, s’il se montre imperméable à toute persuasion, de le capturer (en évitant toute violence excessive) : l’hybride pourrait en effet leur apporter de précieuses informations sur les agissements du Cirque Pandémonium et de son maître secret, le diabolique Docteur Gregor. La tâche de nos héros risque évidemment d’être compliquée par l’intervention des anciens compagnons de Zoltan, mais aussi par celle de plusieurs chasseurs de monstres professionnels ou amateurs…
Dynamique Narrative
Un épisode d’Uchronia se construit sous la forme d’une succession de scènes, au cours desquelles l’intrigue progresse jusqu’à son dénouement. Chaque scène doit s’inscrire dans la logique narrative du jeu : certaines d’entre elles privilégieront l’action pure, d’autres mettront davantage l’accent sur le dialogue et les interactions entre personnages, d’autres encore auront pour raison d’être la révélation d’informations décisives ou tout simplement la mise en place d’une atmosphère particulière.
Un épisode doit présenter les temps forts et les moments-clés de l’histoire telle qu’elle est vécue par ses héros et non la totalité des événements survenant entre son commencement et son dénouement. Il est, par exemple, totalement inutile (et tout à fait ennuyeux) de s’attarder sur les temps morts de l’intrigue, sous peine de voir celle-ci s’enliser dans une suite de détails fastidieux : si rien d’intéressant n’est censé se passer pendant un certain laps de temps, le Chroniqueur ne devra pas hésiter à utiliser une ellipse temporelle pour passer d’une Scène à une autre (« Après une bonne nuit de sommeil… », « Une semaine plus tard… » et autres « Votre voyage en train dure environ trois jours… »). Il est toutefois important de ne pas confondre dynamique narrative et précipitation en sautant sans cesse d’une scène à une autre. Le sentiment de continuité constitue un des ingrédients les plus importants d’un scénario réussi : pour renforcer ce sentiment chez les joueurs, le Chroniqueur devra savoir ménager quelques scènes de transition entre les moments forts de son scénario. Ainsi, un voyage en train peut être résumé en une seule phrase ou, au contraire, servir d’arrière-plan à une longue conversation entre les héros, surtout si la conversation en question permet aux joueurs de faire avancer l’intrigue ou de mettre en avant le caractère de leurs personnages respectifs.
Un bon épisode ne correspond pas seulement à une suite chronologique de scènes liées les unes aux autres par un fil conducteur : il doit également gagner en intensité dramatique au fil de son déroulement. Dans la plupart des romans, des films et des feuilletons susceptibles de servir de sources d’inspiration à un jeu de mystère et d’aventure, la dynamique dramatique est des plus simples et se décompose en trois phases : exposition, développement et résolution.
La phase d’exposition ne dure généralement qu’une ou deux scènes. Comme son nom l’indique, elle consiste à exposer la situation que les héros vont devoir résoudre, explorer ou affronter : dans beaucoup de jeux de rôle, la scène d’exposition classique prend généralement la forme d’une rencontre entre les héros et un protagoniste qui souhaite leur confier une mission, demander leur assistance dans quelque affaire délicate ou encore leur soumettre un problème hors du commun — en bref, les mettre sur les rails de l’histoire. Bien sûr, il est tout à fait possible d’imaginer des scènes d’exposition un peu plus subtiles, jouant davantage sur les motivations personnelles des héros — ou même de ne pas utiliser de scène d’exposition du tout, en jetant directement les héros (et les joueurs) au cœur de l’action (technique connue sous le nom d’in medias res ou d’immediate stress, ce qui revient à peu près au même). Dans un autre ordre d’idée, rien n’empêche un Chroniqueur de faire précéder sa scène d’exposition d’un bref prologue destiné à mettre les joueurs dans l’ambiance, en reprenant le procédé du pré-générique utilisé dans de nombreuses séries télévisées.
Une fois exposée, l’action suit généralement un mouvement de crescendo, avec, ça et là, quelques accalmies, jusqu’à son climax, c’est à dire jusqu’à la grande scène constituant le point culminant de cette progression dramatique — résolution de l’énigme, évasion spectaculaire, confrontation finale avec le grand méchant de service et autres morceaux de bravoure. Tout l’art de la narration consiste précisément à savoir ménager le suspense jusqu’à ce moment crucial. Pour cela, le Chroniqueur ne devra pas hésiter à recourir à l’usage d’Effets Dramatiques pour compliquer la tâche des héros ou, de manière plus impromptue, pour relancer l’action si celle-ci menace de s’enliser dans des tergiversations sans fin. Là encore, il est préférable de ne pas sombrer dans un usage systématique de ce genre de procédés, sous peine de rendre un peu trop visibles (et prévisibles !) les rouages dramatiques de votre scénario : par définition, un coup de théâtre auquel tout le monde s’attend n’est plus un coup de théâtre. Enfin, il est important de garder à l’esprit que les joueurs incarnent les héros de l’histoire et que c’est principalement à travers leurs décisions et leurs initiatives que l’action doit prendre forme. Un bon Chroniqueur doit savoir adapter le déroulement de son scénario aux idées de ses joueurs, aussi inattendues soient-elles… ou, au contraire, savoir amener ses joueurs où il le souhaite sans leur en donner l’impression !
Quant à la phase de résolution, son contenu et son rythme découlent directement des décisions des joueurs et des actions de leurs personnages — à moins que le Chroniqueur ne se sente obligé d’utiliser un deus ex machina (voir ci-dessous). Dans la logique d’une action développée en crescendo jusqu’à son paroxysme, l’histoire peut se poursuivre decrescendo durant quelques scènes jusqu’à son dénouement ou, au contraire, s’achever sur une grande scène finale, dramatique et spectaculaire. Dans ce cas, il est vivement conseillé de conclure l’épisode par un épilogue se déroulant « quelque temps plus tard… » et permettant aux héros de faire le point sur les événements qu’ils viennent de traverser.
Effets Dramatiques : Péripéties & Rebondissements
Selon la plupart des dictionnaires, une péripétie peut être définie comme un incident imprévu ou, plus précisément, comme tout revirement inattendu dans le déroulement d’une intrigue. C’est exactement dans ce sens que nous utiliserons ce terme dans le contexte d’Uchronia.
Les effets dramatiques décrits ci-dessous constituent en quelque sorte la boîte à outils du Chroniqueur. Ces péripéties permettent d’enrichir, de moduler ou de développer la trame de base d’un épisode, mais aussi d’effectuer des interventions d’urgence en cours de jeu, pour relancer une action qui s’enlise, pour pimenter une intrigue qui s’achemine vers une conclusion décevante ou un peu trop facile, pour donner un coup de pouce à des joueurs qui piétinent ou encore pour empêcher un événement imprévu de saboter complètement le déroulement d’un épisode. Le Chroniqueur devra toutefois éviter de recourir à ce genre de procédés de manière abusive, sous peine de donner à ses joueurs l’impression fort frustrante qu’ils n’exercent aucun contrôle sur le déroulement de l’action. Que ces péripéties jouent ou non en faveur des héros ne change rien : si un Chroniqueur utilise ces effets dramatiques d’urgence pour compliquer systématiquement la tâche des héros, ses joueurs finiront par penser qu’il joue contre eux ; en revanche, si le Chroniqueur multiplie les deus ex machina pour les tirer d’affaire dès qu’ils se trouvent confrontés à une difficulté imprévue, les joueurs auront le sentiment qu’on leur mâche le travail, ce qui diminuera considérablement le plaisir du jeu — à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Les péripéties auxquelles un Chroniqueur peut avoir recours sont rangées en cinq grands degrés d’intensité, du simple incident au deus ex machina : plus ce degré est élevé, plus la péripétie est importante, dangereuse ou spectaculaire et plus elle sera susceptible d’influer de façon décisive sur le cours de l’action — et plus, en toute logique, elle devra être rare…
Un incident est une péripétie mineure, qui ne risque guère d’affecter de façon cruciale le cours de l’action mais qui peut aider le Chroniqueur à installer une certaine ambiance, à rendre plus vivant tel ou tel protagoniste, à refléter l’atmosphère d’un lieu spécifique, ou tout simplement à évoquer le parfum particulier de l’époque victorienne.
Un obstacle prend généralement la forme d’une situation problématique que les héros devront surmonter, résoudre ou éviter en cours de route, avant d’arriver à leur but. Un obstacle peut faire partie intégrante de la trame d’un épisode ou, au contraire, n’avoir aucun rapport avec l’action principale. Suivant la situation, un obstacle peut prendre différentes formes : mauvaises rencontres, problèmes techniques, imbroglio mondain… Ce ne sont pas les possibilités qui manquent ! De telles complications peuvent aussi résulter d’une décision malencontreuse prise par les héros ou, dans certaines situations, d’une malchance calamiteuse. Dans un contexte comme celui de la Guerre Secrète, ce type de péripéties peut également être provoqué par la nécessité pour les agents du Club de préserver les apparences ou d’éviter l’intervention de protagonistes indésirables.
La diversion constitue un type particulier de péripétie, et peut être définie comme l’obstacle qu’il ne faut pas chercher à franchir… Il s’agit ni plus ni moins d’un leurre narratif, destiné à détourner les héros de leurs objectifs — ou, au contraire, à tester leur perspicacité. Le plus souvent, une diversion prendra l’aspect d’une fausse piste susceptible d’amener les personnages à des conclusions erronées, ce qui peut parfois avoir des conséquences catastrophiques… Cela dit, si la diversion est classée au-dessus de l’obstacle dans la hiérarchie des péripéties, ce n’est pas parce qu’elle débouche nécessairement sur des conséquences plus graves mais parce qu’elle doit être utilisée beaucoup plus rarement. Comme les obstacles, les diversions peuvent parfois découler des faits et gestes des héros. Dans le contexte de la Guerre Secrète, ce type de péripétie peut également représenter les inévitables interférences entre les affaires du Club et la vie privée, mondaine ou professionnelle des personnages…
Le coup de théâtre est un événement totalement inattendu, qui vient bouleverser le déroulement de l’action. Suivant la situation, il peut prendre la forme d’une incroyable révélation, d’un accident impossible à prévoir, d’un retournement de situation inattendu ou encore de l’intervention soudaine d’une force inconnue. Un coup de théâtre ne doit jamais être prévisible. Si chaque épisode a son coup de théâtre, le procédé finira par perdre tout son impact. Dans le même ordre d’idée, il est fortement déconseillé de mettre en scène plus de deux coups de théâtre dans le même épisode. Enfin, un coup de théâtre ne doit jamais être utilisé à la légère, de façon gratuite : les bouleversements qu’il provoque ont pour fonction de rendre l’intrigue plus captivante, et non de compliquer les choses pour le plaisir. Il est préférable de considérer le coup de théâtre comme un plan de secours, idéal pour redynamiser l’action d’une partie qui s’enlise, mais tout à fait superflu lorsque l’épisode se déroule tambours battants.
Deus ex machina Un contexte comme celui d’Uchronia, avec ses organisations secrètes et ses gadgets technologiques, facilite considérablement la justification des interventions providentielles et autres sauvetages spectaculaires. Ceci simplifie notablement l’utilisation du deus ex machina mais ne doit en aucun cas la banaliser. Grâce à leurs Synchronisateurs, les agents du Club peuvent envoyer un signal de détresse à leurs supérieurs en cas d’urgence absolue mais cela ne signifie en aucun cas que le Club sera en mesure d’intervenir séance tenante et d’envoyer la cavalerie dans les secondes qui suivent… Là encore, l’issue des événements doit dépendre de l’intérêt dramatique de la situation : si le Chroniqueur souhaite que les héros se débrouillent seuls, il peut tout à fait décider que le signal de détresse n’a pu être localisé avec précision, qu’aucune équipe de secours n’était disponible à ce moment ou encore que les renforts envoyés par le Club ont été promptement supprimés ou neutralisés par la partie adverse… Par contre, si une telle intervention est le seul moyen d’éviter un naufrage scénaristique, alors le Chroniqueur ne devra pas hésiter à jouer la carte du deus ex machina.
Le deus ex machina est le procédé narratif d’urgence par excellence. Par définition, cet effet consiste à faire intervenir un événement providentiel ou un personnage extérieur à l’action pour dénouer une situation dramatique sans issue ou pour sauver un héros d’une mort certaine. S’il est souvent utilisé par les scénaristes de bandes dessinées, de séries télévisées et de films d’aventure, ce procédé très artificiel (comme son nom l’indique) est à manier avec beaucoup de précaution en jeu de rôle et doit être strictement réservé aux situations réellement désespérées, faute de quoi les joueurs risquent d’avoir rapidement l’impression que leurs personnages sont immortels et n’ont pas besoin de faire attention à ce qu’ils font, puisque, tôt ou tard, quelqu’un ou quelque chose interviendra pour résoudre les choses à leur place. Le recours à un deus ex machina devra toujours être justifié et, si possible, raisonnablement vraisemblable. Le meilleur moyen d’éviter les deus ex machina peu crédibles consiste à éviter autant que possible les situations de mort certaine, en laissant toujours aux héros une chance de s’en tirer ou de déjouer le danger en l’anticipant. Dans les récits d’aventures héroïques, un grand méchant qui tient enfin ses adversaires à sa merci préfèrera les capturer pour les interroger ou pour les soumettre à quelque diabolique ordalie plutôt que de les exécuter séance tenante.
Le Chroniqueur en tant que Maître d’Œuvre
Cette section ne contient ni règles de jeu ni informations de background, mais des réflexions générales et des conseils pratiques concernant la construction et la gestion d’un Feuilleton d’Uchronia.
Au commencement…
Avant toute chose, il est nécessaire de poser les bases de votre Feuilleton et de savoir comment il va commencer. Pour cela, il vous faudra répondre à un certain nombre de questions-clés. Les héros incarnés par les joueurs se connaissent-ils déjà ou bien vont-ils se rencontrer lors du premier épisode ? Rejoindront-ils rapidement les rangs du Club ou ne découvriront-ils son existence qu’au bout de plusieurs épisodes, peut-être après avoir déjoué eux-mêmes quelque complot impliquant la Machine ? Qui sera leur premier grand adversaire et où se situeront leurs premières aventures ?
Si vous souhaitez que les personnages incarnés par les joueurs se connaissent avant le début du Feuilleton, mieux vaut que les joueurs créent leurs personnages ensemble, afin de pouvoir les doter d’un passé commun — ce qui ne vous empêche pas de voir en privé les aspects plus confidentiels de la personnalité ou de l’histoire de chacun. Cette méthode de création groupée est aussi le meilleur moyen d’obtenir un groupe cohérent et équilibré, comprenant des personnages dotés d’Atouts différents et complémentaires. Par contre, si vous souhaitez que les héros se rencontrent à la faveur des événements du Feuilleton, mieux vaut procéder à la création de manière individuelle, afin de préserver un élément de mystère. Dans tous les cas, il est préférable que le Chroniqueur décide au préalable quels types de héros pourront convenir ou non à son Feuilleton. Si vous comptez explorer une multitude de situations, mieux vaut créer un groupe avec des héros de Vocations différentes : dans ce cas, il est préférable que chaque personnage soit relativement représentatif de sa Vocation, dans la plus grande tradition des romans et des films d’aventure. Si, au contraire, vous comptez orienter les aventures des personnages dans une direction plus spécifique (la recherche scientifique et les inventions, l’espionnage et la diplomatie internationale, l’exploration et la grande aventure etc.), il est préférable que le groupe contienne plusieurs personnages de même Vocation, afin de souder l’équipe autour d’activités et d’ambitions communes ; le système des Atouts est suffisamment flexible pour permettre la création de personnages appartenant à la même Vocation mais possédant chacun leurs propres talents et domaines de prédilection.
Matériel et équipement
Dans de nombreux jeux de rôle, les joueurs disposent d’une sorte de crédit leur permettant d’acheter, objet par objet, l’équipement de leur personnage. Cette procédure fastidieuse donne souvent lieu à des litiges ridicules (« Désolé, mais tu n’as jamais précisé que tu possédais une canne de rechange ! ») ou à de sordides comptes d’apothicaire (« Il te manque une livre et quarante cents pour pouvoir acheter cette machine à écrire… tant pis ! ») qui n’apportent absolument rien au jeu. Dans Uchronia, ces considérations financières s’effacent devant la règle d’or suivante : un héros possède tout ce qu’il peut raisonnablement posséder en fonction de sa fortune, de sa vocation et de ses Atouts. En dehors de cela, toutes les possessions susceptibles d’influer de manière significative sur le déroulement du jeu sont soumises à l’approbation du Chroniqueur.
En fait, l’importance de l’équipement dépend avant tout du type d’histoire mis en scène par le Chroniqueur : si vous vous lancez dans un épisode relatant un voyage d’exploration ou une expédition archéologique au fin fond de la jungle amazonienne, l’équipement dont disposent les héros sera effectivement d’une importance vitale : le matériel emporté devra être très présent à l’esprit des joueurs et pourra même être l’objet de diverses péripéties (perte, réparations de fortune etc.).
Le passage du temps
Dans une partie d’Uchronia, la mesure du temps et le rythme de l’action obéissent d’abord à des critères d’ordre narratif : ainsi, la durée exacte d’une scène ou d’un tour varie selon les situations, en fonction de la tension dramatique et de la nature des événements vécus par les personnages. Le découpage d’un Feuilleton en épisodes obéit aux mêmes conventions : ainsi, lorsqu’un joueur souhaite que son personnage ajoute un nouvel Atout à son répertoire, l’essentiel n’est pas de calculer combien de temps il faudra au héros pour développer ses nouvelles facultés mais de déterminer à quel moment du Feuilleton cette évolution va effectivement intervenir. Cette approche est représentée par la notion de Saison. Une Saison est une série d’épisodes plus ou moins rapprochés, au terme de laquelle chaque héros va pouvoir progresser, avant d’entamer la Saison suivante. Le laps de temps qui s’écoule effectivement durant une Saison ou entre deux Saisons n’a qu’une importance relative, et dépend avant tout du rythme que le Chroniqueur souhaite donner à son Feuilleton ou de la fréquence à laquelle ses joueurs peuvent se réunir pour vivre les aventures de leurs personnages. De même, le nombre exact d’épisodes que compte chaque Saison est laissé à l’appréciation du Chroniqueur et peut tout à fait varier d’une Saison à l’autre : on estimera en général qu’une Saison doit compter entre quatre et huit épisodes, qui peuvent être liés entre eux par un fil conducteur ou, au contraire, présenter à chaque fois une intrigue autonome. Ces choix dépendent là encore en grande partie de la fréquence de jeu du groupe : il est évident qu’une équipe de joueurs occasionnels n’explorera pas le monde d’Uchronia de la même manière qu’un groupe jouant régulièrement, une ou plusieurs fois par semaine. Dans un cas comme dans l’autre, le Chroniqueur devra adapter le style, l’évolution et la continuité de son Feuilleton aux possibilités et aux impératifs de ses joueurs.
Secrets et révélations
Comme beaucoup d’autres jeux dits de conspiration, Uchronia repose en grande partie sur la découverte progressive de secrets et de vérités cachées… ce qui ne signifie pas que votre Feuilleton doive obligatoirement reproduire les pires clichés du genre. Pour commencer, dans Uchronia, conspiration ne rime pas forcément avec paranoïa aigüe : certes, la Machine peut sembler omniprésente, le Symposium omnipotent et la cause du Club perdue d’avance, mais l’espoir demeure, et les grands méchants d’Uchronia sont finalement plus proches des adversaires de James Bond, d’Indiana Jones ou d’Adèle Blanc Sec que des comploteurs invisibles et infaillibles des théories du complot les plus élaborées. De plus, la notion de découverte progressive des secrets ne signifie pas que les grandes révélations doivent constamment être différées au prochain épisode, voire à la prochaine saison, comme dans certaine série télévisée où la vérité, à force d’être toujours ailleurs, finit par n’être nulle part. Dans le contexte d’un jeu de rôle, une telle approche ne peut qu’engendrer la frustration des joueurs, et leur perte d’intérêt pour un monde où tout se passe toujours hors du champ d’action de leurs personnages.
Dans Uchronia, les secrets n’existent que pour être découverts et les mystères pour être résolus… au rythme et de la façon qui conviendront le mieux au goût du Chroniqueur et aux attentes de ses joueurs. Le même raisonnement peut s’appliquer aux membres du Symposium et aux organisations de la Machine : ces organisations ne sont pas indestructibles et leurs maîtres secrets ne sont pas immortels. Pourquoi une poignée d’héroïques agents ne parviendraient-ils pas, au terme d’une lutte épique, à démanteler entièrement les Hérauts du Progrès, à démasquer le Professeur, à détruire le Château de Köenigsberg ou même à rayer de la surface de la terre le diabolique Docteur Gregor ? Bien sûr, il ne s’agit pas d’accomplir tout cela en deux ou trois épisodes, en tirant deux coups de feu et en résolvant trois devinettes, mais les personnages incarnés par les joueurs sont des héros et doivent, en tant que tels, se trouver au premier plan du Feuilleton et non, comme d’obscurs lampistes, dans des coulisses où rien ne change jamais. Le Chroniqueur ne devra pas hésiter à faire évoluer la destinée du monde d’Uchronia en fonction des succès ou des échecs des héros de son Feuilleton : le futur de ce monde n’étant pas encore écrit, tout est possible, tout doit être possible !
Inventeurs et inventions
Dans un univers comme celui d’Uchronia, le personnage de l’inventeur constitue une figure aussi emblématique qu’incontournable : présent à tous les niveaux du jeu (savants fous au service de la Machine, Horlogers du Club, membres de l’Academia Mecanica, personnages centraux comme Edison, Nemo ou Terranova etc.), il incarne mieux que personne l’esprit du jeu et des œuvres qui l’ont inspiré, des récits de Verne et de Wells aux romans de la génération steampunk. Pourtant, il n’en reste pas moins un des types de personnages les plus problématiques à gérer dans le contexte d’un jeu de rôle. Il s’agit tout d’abord d’un rôle ultra-spécialisé, beaucoup moins flexible et adaptable que celui d’aventurier, de gentleman ou d’agent secret : en règle générale, un inventeur consacre l’essentiel de son temps à ses recherches scientifiques, ce qui limite considérablement sa disponibilité en tant que héros d’aventure et l’isole naturellement du reste du groupe. Les activités principales d’un inventeur (recherches, expériences etc.) sont des activités à long terme, ce qui les place tout naturellement hors du cadre des épisodes d’un Feuilleton, dans l’espace nébuleux des périodes d’entre-jeu. Même en supposant qu’un inventeur puisse, de temps à autres, résoudre un problème crucial grâce à une invention bricolée in extremis en cours d’épisode, de telles situations doivent demeurer exceptionnelles, faute de quoi les autres joueurs risquent, à juste titre, de se sentir relégués au second plan, l’invention miraculeuse s’apparentant alors à une sorte de deus ex machina.
En tant que Chroniqueur, vous pouvez résoudre ces divers problèmes de plusieurs façons. La méthode la plus facile et la plus satisfaisante consiste à intégrer un grand inventeur dans l’entourage direct des héros, en tant que protagoniste (personnage-non-joué) de premier plan : vous pourrez ainsi utiliser toutes les ressources de ce type de personnage sans être confronté aux inconvénients exposés ci-dessus, l’action du Feuilleton restant focalisée sur les héros incarnés par les joueurs. L’inventeur devient alors un intervenant de première importance sans jamais voler la vedette aux véritables héros de l’histoire, un peu comme Merlin l’Enchanteur dans les récits sur le Roi Arthur et les Chevaliers de la Table Ronde. Une autre possibilité, parfaitement compatible avec la première, est de traiter les Horlogers du Club à la manière du Service Q dans les films de James Bond : comme des fournisseurs de gadgets taillés sur mesure en fonction de la mission confiée par le Club à ses valeureux agents. Ainsi, la technologie uchronique sera omniprésente dans vos épisodes mais restera toujours subordonnée à l’élément humain — représenté par les héros.
Cela ne signifie pas qu’un joueur ne peut pas incarner un inventeur s’il en a envie : le Chroniqueur devra simplement veiller à ce que le joueur ne se retrouve pas avec un chercheur en laboratoire, sans doute génial et parfaitement cohérent en tant que personnage, mais beaucoup trop spécialisé et limité pour faire un véritable héros. Un tel personnage, du reste, aurait parfaitement sa place au sein du Club, mais comme Horloger, ce qui le place de facto en marge du thème central d’Uchronia. Cela dit, un inventeur peut tout à fait être utilisé comme agent de terrain par le Club, s’il est suffisamment flexible et polyvalent. Le personnage d’Artemus Gordon, tel qu’il est présenté dans le film Wild Wild West, constitue un excellent exemple de ce type de héros : à ses incontestables talents d’inventeur s’ajoutent diverses compétences qui font de lui un agent secret de premier ordre. Dans un autre genre, la plupart des héros scientifiques de Jules Verne, comme Michel Ardan ou Pierre Arronax, peuvent être définis comme des aventuriers de la science : à leur vocation de savant s’ajoute toujours ce tempérament d’explorateur sans lequel ils ne pourraient s’embarquer pour ces Voyages Extraordinaires sous la mer, dans les airs ou au centre de la terre. Il en va de même du fameux professeur Challenger (héros d’Arthur Conan Doyle), dont le nom même souligne toute la dimension aventureuse du personnage…
Rappelons, en outre, que dans le monde d’Uchronia, les inventions les plus spectaculaires (ou les plus anachroniques) découlent nécessairement de connaissances d’origine atlante ou prométhéenne, connaissances dont l’étude constitue une activité à plein temps, strictement réservée à quelques individus privilégiés, comme les Horlogers du Club. La mise au point d’inventions délirantes ou révolutionnaires est donc pratiquement incompatible avec toute autre activité, à commencer par les aventures, investigations, voyages et autres missions périlleuses qui occupent une grande partie de l’existence d’un agent du Club. Cela dit, rien n’empêche un Chroniqueur imaginatif, ambitieux et chevronné de créer un Feuilleton ayant pour héros un ou plusieurs grands inventeurs capables de rivaliser avec Edison, Thomson ou Terranova. Un tel Feuilleton nécessiterait non seulement des règles détaillées, permettant de simuler de manière précise (et intéressante) les différentes étapes de la mise au point d’une nouvelle invention, mais aussi une approche alternative du jeu et de son déroulement — autant d’éléments qui dépassent largement le cadre de base d’Uchronia. Dans un premier temps, il est donc fortement recommandé de limiter le domaine des inventions les plus spectaculaires aux protagonistes non-joués et à l’imagination du Chroniqueur. Ce dernier pourra ainsi conserver tout contrôle sur l’apparition en jeu de nouvelles merveilles technologiques — ou de nouvelles machines infernales… Ensuite, une fois le Feuilleton lancé, rien n’empêche le Chroniqueur de donner plus d’importance à cet aspect du jeu, si ses joueurs manifestent un réel intérêt dans ce sens.
Dans un prochain supplément, nous vous proposerons des règles d’invention détaillées, qui vous permettront d’exploiter pleinement cette dimension du monde d’Uchronia.
Contribution des Joueurs
Rien n’empêche le Chroniqueur de solliciter le concours d’un ou plusieurs joueurs prêts à s’investir pour l’assister dans sa tâche de maître d’œuvre en tant qu’Archiviste, Conseiller Scientifique ou Assistant Historique. Chacune de ces fonctions est examinée ci-dessous.
Archiviste : Ce rôle consiste tout simplement à retranscrire les diverses informations collectées par les joueurs au cours d’un épisode. Ce procédé peut éviter d’embarrassants trous de mémoire en cours de partie et dispense également le reste du groupe de prendre des notes — activité certes utile mais qui peut parfois nuire à l’ambiance d’une scène importante lorsque tous les joueurs se sentent obligés de coucher par écrit le moindre renseignement donné par le Chroniqueur… Bien sûr, ce rôle d’Archiviste peut être confié à un joueur différent d’une partie sur l’autre. L’idéal est de conserver ces notes dans un dossier qui constituera en quelque sorte les archives du Feuilleton — archives qui pourront parfois être aussi utiles aux joueurs qu’au Chroniqueur lui-même.
Conseiller Scientifique : Cette fonction consiste à imaginer et à suggérer au Chroniqueur, entre deux séances de jeu, diverses possibilités d’inventions ou de découvertes susceptibles d’être effectuées par les Horlogers du Club ou par des scientifiques indépendants. L’idéal est de confier cette tâche à un joueur interprétant un Homme de Science et possédant lui-même un petit bagage scientifique — ou une imagination fertile !
Assistant Historique : Ce rôle est globalement similaire à celui du Conseiller Scientifique mais concerne les divergences historiques susceptibles d’intervenir dans le monde d’Uchronia ; il est évidemment préférable de confier cette tâche à un joueur possédant une certaine culture historique. Avant chaque séance, ces diverses nouvelles du monde pourront être annoncées aux autres joueurs par le Chroniqueur ou par le joueur concerné — ou, pourquoi pas, présentées sous forme de gazette ou de bulletin.
Les fonctions de Conseiller Scientifique et d’Assistant Historique ne s’exercent qu’entre les épisodes et ne doivent jamais interférer avec le déroulement d’une séance de jeu ; elles ne confèrent aucun pouvoir supplémentaire mais permettent simplement aux joueurs qui le souhaitent de collaborer activement avec le Chroniqueur à la construction de leur monde uchronique — sans jamais oublier que le Chroniqueur reste seul maître à bord : les idées proposées par le Conseiller Scientifique et l’Assistant Historique ne sont que des suggestions et le Chroniqueur est parfaitement libre de les refuser ou de les modifier à sa guise.
Alternatives et nouveaux horizons
Contrairement à de nombreux univers de jeux de rôle, le background d’Uchronia peut être très facilement modifié en fonction des préférences de chaque Chroniqueur. De nombreux éléments du jeu, comme les Selkies, les Hommes Taupes ou les Adeptes, sont entièrement optionnels ; en outre, les grands axes du jeu peuvent être aisément transformés, supprimés ou remplacés, comme l’illustrent les alternatives suivantes :
Sans les Atlantes : Dans ce cas, la technologie supérieure du Club a pour origine le seul génie de Nemo et de ses Horlogers. En outre, si les Atlantes n’existent pas, Selkies, Hommes Taupes et Adeptes disparaissent eux aussi du décor — ou possèdent une toute autre origine.
Sans le Club : Il n’y a aucune résistance organisée contre la Machine : Nemo n’est jamais revenu du futur et nos courageux héros sont le seul espoir de l’humanité face à la Grande Menace prométhéenne…
Sans les Prométhéens : Rien n’empêche le Symposium d’exister sans les Prométhéens : il devient alors un cercle des maîtres du monde qui cherche à dominer la planète. La Grande Guerre peut très bien faire partie de leur stratégie globale de conquête du pouvoir. Dans ce cas, leur technologie supérieure n’est plus d’origine extra-terrestre mais résulte de leur seul génie scientifique… à moins qu’elle ne soit, elle aussi, d’origine atlante.
Sans la Machine : Les Prométhéens ont décidé d’envahir directement la Terre, en se passant d’intermédiaires humains. Dans ce cas, le jeu se concentrera moins sur les conspirations secrètes et davantage sur l’uchronie ou sur l’action pure. La Guerre des Mondes est déclarée !
Au grand jour : Les Prométhéens ont décidé de révéler leur existence au public, par l’entremise du Symposium. Mi-ébahis, mi-terrifiés, les habitants de la Terre découvrent leurs nouveaux et mystérieux alliés et se préparent à entrer dans l’Ere Prométhéenne, sous l’égide d’Edison et compagnie, alors que les grandes puissances du globe se disputent déjà les faveurs des entités venues de Mars…
De même, si le thème de la Guerre Secrète ne vous emballe pas, rien ne vous empêche de le mettre en veilleuse, voire de l’ignorer totalement, au profit d’un autre thème central : vous pourrez ainsi lancer vos héros à la recherche des anciens mystères de l’Atlantide, les envoyer sur la Lune ou sur Mars, à bord du premier astronef terrien, ou encore les confronter aux secrets du voyage temporel. Dans tous les cas, des personnages comme Nemo, Edison ou Lord Kelvin peuvent aisément être impliqués dans les événements du Feuilleton. Une autre option consiste à reprendre le thème de la Guerre Secrète en inversant quelques rôles : si notre version de Thomas Edison ne correspond pas à votre vision du célèbre inventeur, pourquoi ne pas faire de lui un des Invisibles, voire le fondateur du Club ? Dans le même ordre d’idée, rien ne vous empêche de faire du Capitaine Nemo un des membres du Symposium : le personnage dépeint par Jules Verne est suffisamment ambigu pour servir de base à un excellent méchant *.
* Dans ce cas, nous vous renvoyons à l’extraordinaire essai de W.H. Starr, « Un Subterfuge Submersible » publié en addendum du roman de Philip José Farmer, « Chacun Son Tour » : l’auteur y fait la (brillante) démonstration que l’homme décrit par Jules Verne sous le nom de Nemo n’est autre que le sinistre Professeur Moriarty, l’ennemi juré de Sherlock Holmes !
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