02 · Introduction
Le gobelet de cristal capta la lumière du feu et la dispersa aux quatre coins de la pièce, comme Ciramir, fils d’Eärendur et légat du Gondor, le faisait tourner dans sa main. C’était un objet d’art finement travaillé, comme tout ce qui venait des cristalleries renommées de Fornost Erain, en Arthedain, province du Nord, amie et quelquefois rivale du Cardolan. Des gobelets comme celui-ci ornaient les tables des Charpentiers de Marine de Mithlond, celle de la reine à Fornost et la grossière table de camp du Roi Ostoher dans les Coteaux, où l’armée du Cardolan campait cette nuit, toujours vigilante, au cas où le terrible ost d’Angmar attaquerait de nouveau.
C’était un plaisir si simple que de dîner dans de la vaisselle délicatement ouvragée. Il était presque drôle, en un sens, que quand le Roi s’en fut sur les frontières Nord du Cardolan où il devait subir les assauts véhéments du Roi-Sorcier, des provisions spéciales, des marque-places, des napperons en lin et son propre gobelet de cristal y fussent emmenés avec lui. Des rapports (comme celui qui venait de parvenir à Tharbad, à bien des lieues au Sud) faisaient déjà état de combats désespérés dans la contrée ravagée de Bree, au croisement de la Grand-Route Nord et de la Route Est-Ouest. Cependant, au vu de la façon dont le Cardolan et l’Arthedain s’étaient accoutumés à une guerre constante, tant avec le royaume du Roi-Sorcier que l’un avec l’autre, Ciramir se demandait si les Hommes du Nord étaient vraiment conscients des pleines répercussions de leur victoire ou de leur défaite. Jamais ni l’un ni l’autre n’avait succombé à Angmar, comme c’était le cas pour le Rhudaur, un royaume frère qui était maintenant réduit à l’état de pantin ; lorsque le Noir Royaume avait attaqué, ils avaient toujours fait fi de leurs différences et marché de concert pour y faire front. Mais, en l’absence de cette menace, les deux royaumes du Nord retombaient invariablement dans des querelles, tirant l’épée l’un contre l’autre pour quelque minuscule parcelle de terrain. Même durant le règne des présents rois, Ostoher du Cardolan et Arvelen d’Arthedain, tous deux pacificateurs, la tension et la menace de dissension avaient été omniprésentes.
Ciramir n’était la dupe de personne. Il connaissait les hypocrites à langues de vipères qui hantaient, sous de beaux atours, les cours d’Arthedain et du Cardolan, tout comme ils avaient hanté la Maison du Roi au Rhudaur. Il savait qui ils servaient et combien leurs efforts rendaient le Roi-Sorcier plus efficace encore. Ils fréquentaient Minas Anor tout aussi bien, espérant peut-être dresser le frère contre le frère au Gondor.

Alors que le légat tenait le gobelet tout en le scrutant, la légère couleur bourgogne de ce dernier lui teinta la main d’une nuance sanglante. Une brise glaciale soudaine harcela les rideaux.
Ciramir se leva, le gobelet toujours dans sa main, et se dirigea vers la fenêtre pour la fermer. Il regarda dehors vers le Nord, par-delà l’étendue de Tharbad, la large grand-route dallée qui se déroulait vers le lointain, faiblement éclairée par la lune. Là-bas, quelque part derrière les collines ombreuses à peine discernables à l’horizon, les armées du Cardolan et d’Arthedain attendaient le prochain assaut des troupes du Roi-Sorcier.
Soudain il remarqua un cavalier lancé à vive allure sur la grand-route. La lune, à demi dissimulée par les nuages, se reflétait vaguement sur le caparaçon du destrier et sur la cotte de mailles du cavalier, que le vent dévoilait en balayant sa cape.
Un cavalier ? A cette heure ?
Le légat oublia la brise qui l’avait réfrigéré et posa le gobelet sur l’appui de la fenêtre. Son attention allait toute à l’homme qui s’approchait bon train de la Porte Nord de la ville. Il était clair que ce n’était pas un voyageur ordinaire, car il traversa rapidement les campements des réfugiés le long de la rivière. On lui ouvrit la porte sur l’instant ; sans ralentir, il piqua des deux sur l’avenue qui menait à la Maison Royale.
Les rumeurs enflaient et se répandaient avec rapidité dans le sillage du cavalier. Alors que Ciramir se tenait à la fenêtre, un commis lui rapporta les nouvelles, comme un écho de ce qui se disait au même moment en contrebas dans la rue : l’armée était détruite, le Roi et ses fils avaient péri et il ne restait pas même de soldats du Cardolan en suffisance pour les mettre en terre. Des Hommes d’Arthedain et des Elfes de Lindon avaient déposé Ostoher dans son tumulus. Le Roi-Sorcier avait été défait, mais à quel terrible prix : Tharbad, déjà bourrée de réfugiés, serait bientôt envahie par des milliers d’autres. Et si quelque partie de l’armée du Roi-Sorcier avait survécu, elle serait sous peu aux portes de la ville.
Et sinon ? Ce serait la guerre quand même. L’Arthedain essaierait, s’il le pouvait, de capitaliser sur le coup terrible porté au Cardolan, qui se retrouvait sans roi. Lequel, s’il fallait en croire la rumeur, n’avait laissé pour tout héritier qu’une jeune fille de seize ans.
Bizarre, pensa Ciramir en lui-même, qu’il fasse si froid en Urui. Bien que plutôt spectateur par nature, Ciramir sut qu’était venu le temps d’agir et, s’il y avait quelque fond de vérité dans ce qu’il avait entendu, d’agir vite. Se détournant de la fenêtre, il se dirigea vers la porte de son étude.
Un pan de sa robe accrocha le gobelet de cristal alors qu’il traversait la pièce et l’entraîna dans son mouvement. Il resta en suspens, se balança sur le bord de l’appui un long moment, puis s’écrasa sur le sol dallé où il vola en éclats, désormais impossibles à identifier, encore moins récupérables.
2.1 Histoire du Cardolan
Quand, tard durant le Deuxième Age, les Fidèles échappèrent à la submersion de Númenor, ils traversèrent la mer à la voile et vinrent sur les Terres du Milieu fonder les deux « Royaumes Exilés », le Gondor au Sud et l’Arnor au Nord. Comme il est rapporté ailleurs, à la fin de cet Age, ces royaumes participèrent à la guerre de la Dernière Alliance contre Sauron.
Après cela, pendant plus de huit siècles, le royaume septentrional d’Arnor fut gouverné par les héritiers d’Elendil et d’Isildur. Le huitième Roi de la Lignée Septentrionale, Eärendur, mourut en 861. Cette année-là, en raison de dissensions entre ses fils, le royaume d’Arnor fut divisé en trois : l’Arthedain, le Cardolan et le Rhudaur. En Arthedain, les Dúnedain étaient les plus puissants et les plus nombreux, alors qu’en Rhudaur ils étaient fort peu. Sous l’influence du royaume du Roi-Sorcier d’Angmar, le Rhudaur se tourna graduellement vers le mal et devint un rival aigri pour ses voisins occidentaux. Malgré de fréquentes escarmouches, l’Arthedain et le Cardolan unissaient invariablement leurs forces face au péril plus grave que représentait pour eux Angmar. Pour sa part, l’Arthedain aurait été capable de se défendre contre une coalition des deux autres royaumes, mais passait rarement à l’offensive contre l’un ou l’autre pour plus d’une saison à la fois.
Angmar ouvrit pour la première fois les hostilités de façon manifeste sous le règne d’Argeleb d’Arthedain, durant la seconde moitié du 14ème siècle du 3A. Argeleb avait revendiqué son droit à la souveraineté sur l’ensemble du territoire d’Arnor, depuis la Houssaie jusqu’à la Rivière Lhûn, mais les autres royaumes résistèrent ; le Roi-Sorcier espérait tirer avantage de cette dissension au sein des Dúnedain, et il attaqua les Collines du Climat. L’Arthedain et le Cardolan mirent de côté leurs mésententes et repoussèrent l’ost d’Angmar, l’Arthedain fortifia les Collines du Climat et spécialement les environs immédiats d’Amon Sûl, en vue de protéger le Palantír que renfermait la Tour. Pratiquement jusqu’à la fin du règne d’Argeleb, l’Arthedain contesta au Rhudaur le droit à la possession de ces collines, le Cardolan restant neutre. En 1356, Argeleb fut tué au cours d’un combat avec le Rhudaur et son fils aîné, Arveleg, monta sur le trône à Royal Fornost, inaugurant ce qui se révélerait une ère de grande amitié entre l’Arthedain et le Rhudaur.
En 1381, le Roi Minalcar du Cardolan mourut et Ostoher lui succéda. A la différence de nombre de leurs prédécesseurs, Ostoher et Arveleg, tous deux pondérés et possédant l’étoffe de chefs d’état, réalisaient le danger d’une dissension entre l’Arthedain et le Cardolan face au royaume du Roi-Sorcier d’Angmar. Durant la seconde partie du 14ème siècle du 3A, les deux royaumes entreprirent tous deux des projets de fortifications, de même que des améliorations logistiques, telle la construction de nouvelles routes. Ostoher développa l’entraînement et la qualité de son armée de métier et augmenta la proportion des troupes que les Hiri devaient lever en temps de guerre. Au début de son règne, il consolida l’infanterie du Cardolan tant que pour se prémunir contre la menace d’Angmar que contre un éventuel changement d’humeur de l’Arthedain.
L’intention de Sauron en envoyant son Seigneur Nazgûl au Nord pour y fonder Angmar avait été de faire peser une menace sur le Royaume d’Arnor, non seulement militaire mais aussi par la subversion et les manœuvres politiques. Ce but avait été admirablement atteint au bout des quelques premiers siècles de sa fondation. L’Arnor fut morcelé en trois royaumes, dont deux étaient naturellement rivaux, alors que le troisième était passé presque entièrement sous l’influence du Roi-Sorcier. Les tribus d’Orques du Mont Gundabad, l’extrémité la plus au Nord des Monts Brumeux, s’étaient rangées sous la bannière d’Angmar ; des Trolls habitaient les Ettenmoors et le Pays d’Angle, en chassant beaucoup d’hommes ainsi que quelques Periannath. D’autres choses mauvaises commencèrent à se multiplier, certaines dans des endroits aussi loin vers l’Ouest que les Collines du Climat ou qu’Eredoriath. Bien que l’Arthedain et le Cardolan défendissent ces contrées depuis 1360 jusqu’à l’époque de la grande invasion, le plus grand danger que faisaient peser ces créatures résidait dans leur capacité à attaquer des lieux isolés, comme des fermes familiales et des postes-frontières, et de petits groupes en voyage sur la route entre le pays de Bree et la vallée de Rivendell. On connut la peur et les épreuves sur les frontières orientales d’Arthedain et du Cardolan, les quelques caravanes qui voyageaient vers l’Est, au départ des Havres Gris ou des Montagnes Bleues, étaient soit trop petites pour attirer l’attention, soit trop grandes et trop bien protégées pour qu’on osât les attaquer.
Alors que la plus grande partie de l’armée occidentale était refoulée à l’Ouest des Collines du Climat, la tour d’Amon Sûl (S. Apogée du Climat) fut assiégée, prise d’assaut et rasée jusqu’à la base. Ce ne fut que plus tard qu’un messager tremblant s’en vint à Carn Dûm annoncer au Roi-Sorcier que le Palantír avait été récupéré et emmené à Royal Fornost par l’armée en retraite. Comment le Palantír put échapper au siège reste un mystère à ce jour, car c’était un butin que le Seigneur des Nazgûl désirait grandement.
En combat singulier, le soldat Dúnadan, tout comme le soldat occidental, était de loin supérieur à son opposant oriental ; cependant, le nombre des orientaux –Easterlings, Hommes des Collines, Orques, Olog-Hai et autres et la férocité avec laquelle ils combattaient- frappèrent de stupeur les deux armées, surtout celle du Cardolan. Les armées alliées furent repoussées vers l’Ouest à travers le Pays de Bree ravagé jusqu’aux Coteaux aux Tumulus. Dans la chaleur du plein été elles se disposèrent pour le face à face final, duquel elles sortirent finalement victorieuses, détruisant complètement l’ost des envahisseurs Angmarim, bien qu’à un terrible coût, puisqu’il incluait l’extinction complète de la branche mâle de la lignée royale du Cardolan.
2.2 Histoire de Tharbad
Tharbad fut fondée au Deuxième Age par Tar-Aldarion, qui voulait un port fluvial pour sa flotte pendant l’exploration de l’intérieur des Terres du Milieu. Il s’ensuivit que, pendant les quelques premiers milliers d’années de son existence, Tharbad fut un exemple éminent de l’art des planificateurs urbains. Ses larges avenues, ses parcs publics et ses rues bien tracées firent l’envie des autres cités nordiques, car Tharbad avait été édifiée par les Nùménoréens au faîte de leur puissance. Néanmoins, le temps n’a pas été tendre pour Tharbad. Des années de négligence, de guerre et de surpopulation ont altéré le plan des rues, exception faite des quartiers gouvernementaux et royaux ; les Cardolaniens eux-mêmes seraient les premiers à admettre qu’ils manquent des connaissances nécessaires pour maintenir en l’état fontaines et parcs.
Bien qu’il subsiste une certaine majesté, la plupart des quartiers de la ville ont sombré dans le déclin et abritent maintenant des habitants d’une honnêteté discutable. Ajoutez à cela le grand nombre de réfugiés issus du reste du royaume qui ont édifié un bidonville, et vous comprendrez qu’il était difficile, en 1409, d’appeler Tharbad une grande cité.
Quoiqu’il en soit, les vieux quartiers de la ville sont demeurés plus ou moins tels qu’ils étaient. La cité peut être divisée en quatre zones, avec des subdivisions en fonction des habitants ou des activités qui s’y mènent : Nord de la rivière, Sud de la rivière, Ouest et Est de la grande chaussée.
Au Nord de la rivière
Ce secteur de Tharbad naquit il y a quelques 600 ans, lorsque les souffleurs de verre de Fornost émigrèrent au Sud. La Guilde de Fornost, à l’occasion d’une compétition, se scinda en deux maisons rivales, les Calimiri et les Rathlori. Les Calimiri, perdants, émigrèrent à Tharbad et demandèrent aux pères de la cité des terrains pour y établir leur propre quartier. Une série de digues, déjà élevée sur la rive Nord du Gwathló, furent étendues pour offrir aux artisans une protection en cas d’attaque. Cela leur permit de rester et d’édifier fourneaux et maisons. A l’Ouest de la route sont les entrepôts et les habitations des familles des souffleurs de verre. Sur la route elle-même s’élève une grande porte à péage, à la fois pour empêcher les étrangers d’entrer et pour fournir au gouvernement de la ville un revenu dont il a grandement besoin. A l’Est de la route, il y a les fourneaux des souffleurs de verre, les galeries d’exposition, des boutiques que fréquentent les artisans pendant leur pause-repas et l’immeuble de la Guilde. A l’extérieur des digues et de la porte à. péage se trouve la ville des réfugiés, qui consiste en fossés de drainage et en cabanes construites à la hâte. Ce bidonville est horriblement surpeuplé de paysans qui ont fui le Roi-Sorcier et son armée et qui n’ont pu retourner à leurs maisons, détruites par l’une ou l’autre des armées. La maladie s’y étend et a même commencé à envahir les foyers des souffleurs de verre.
Au Sud de la rivière
Cette zone de Tharbad fut étendue pour y accueillir les Gondoriens qui entretenaient la chaussée et la route. Elle est devenue de facto le quartier des étrangers, avec des négociants étrangers à l’Ouest de la route, la demeure du légat du Gondor et sa garnison à l’Est de celle-ci et une porte à péage enjambant la route, comme sur la rive Nord. A la différence de la rive Nord, l’expansion de cette partie de Tharbad au-delà des digues s’est faite de façon organisée. Les familles des soldats gondoriens y vivent, de même que divers commerçants qui les approvisionnent.
A l’Ouest de la route
L’île était le noyau de la ville originelle, tracée par les ingénieurs de Tar-Aldarion. Comme les navires ne pouvaient passer par voie de terre, c’était un site d’intense négoce et d’embarquement des denrées. Le secteur situé à la pointe de l’île est réservé en premier lieu aux entrepôts, aux docks et à tous les commerces auxquels les marins aiment à accorder leur clientèle quand ils sont à terre : boutiques de vêtements, tavernes, tatoueurs, maisons closes et le reste. Cet endroit de la cité est aussi le foyer de divers gangs et seigneurs du crime et la corruption y sévit. Périodiquement, le Maire annonce le démembrement de la pègre, fait arrêter quelques tenancières en vue et quelques virtuoses de l’escroquerie, mais en l’espace de quelques semaines, les affaires reprennent comme à l’accoutumée. Plus loin dans l’île, se trouve un quartier beaucoup plus respectable, qui abrite les négociants et leurs familles. Le tracé des rues y est conforme à l’ancien modèle, avec plusieurs squares aménagés pour que les filles des riches marchands puissent venir y prendre l’air, et même quelques fontaines en état de marche.
A l’Est de la route
C’est ce secteur de Tharbad qui offre les plus grands contrastes. Du côté Est de la route elle-même, on trouve les demeures des Hiri et du Roi, de même que des boutiques de luxe, des immeubles gouvernementaux et les hôtels particuliers des marchands les plus fortunés. Juste derrière ce que les résidents appellent l’Allée du Roi, se tient le petit peuple de Tharbad : serviteurs, petits artisans et boutiquiers qui maintiennent la ville à, flot par leur activité. Leur quartier s’est beaucoup altéré depuis les jours de gloire du Cardolan, des rues latérales et des allées y apparaissant chaque fois qu’on subdivisait un pâté de maisons pour y inclure plus de logements. A l’extrémité orientale de l’île, s’étend le quartier le plus pauvre de Tharbad, amas délabré de venelles et de bâtisses fréquentées principalement par des voleurs, des Dunlendings pauvres, des catins et toutes sortes de gens au bout du rouleau. Il y a bien quelques entrepôts, mais on y stocke surtout des denrées pour les petits commerçants ; les grands dépositaires des quartiers occidentaux ne s’y approvisionnent pratiquement pas.
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